Fleur solitaire ourlée de neiges, blanche ainsi
Qu’elles mais plus hardie, à nouveau je te vois
Le front penché, tel l’hôte qu’on n’attendait pas,
Qui craint de déranger. Bien que l’orage ici
S’abatte sur les champs, descendu des sommets,
Et le soleil levant jour après jour harcèle ;
Tu es la bienvenue, tel l’ami dont le zèle
Vainc la promesse ! Et bientôt, de son oeil bleu, Mai
Contemplera ces bords qu’inonde la clarté
Des jonquilles serrées diffusant leurs odeurs
Au gré du mol vent d’ouest, de ses joyeux compères.
Mais je n’oublierai pas ta modeste beauté,
Chaste fleur, du Printemps hardi avant-coureur,
A l’écoute, pensif, des années passagères.
***
TO A SNOWDROP
Lone Flower, hemmed in with snows, and white as they
But hardier far, once more I see thee bend
Thy forehead as if fearful to offend,
Like an unbidden guest. Though day by day
Storms, sallying from the mountain-tops, waylay
The rising sun, and on the plains descend;
Yet art thou welcome, welcome as a friend
Whose zeal outruns his promise ! Blue-eyed May
Shall soon behold this border thickly set
With bright jonquils, their odours lavishing
On the soft west-wind and his frolic peers;
Nor will I then thy modest grace forget,
Chaste Snowdrop, venturous harbinger of Spring,
And pensive monitor of fleeting years !
Jadis dans une vallée, chez de pauvres bergers,
Paraissait, dès l’année nouvelle
Et les premiers babils des alouettes,
Une fille, merveilleuse et belle.
Elle n’était point de la vallée,
On ne savait d’où elle venait,
Et, dès qu’elle avait pris congé,
Bien vite on reperdait sa trace.
L’approcher rendait bienheureux
Et tous les coeurs se dilataient,
Mais une dignité, une sorte de grandeur
Empêchaient qu’on fût familier.
Elle apportait des fleurs, des fruits
Mûris dans une autre campagne,
Sous le soleil d’un autre ciel,
Dans une nature plus heureuse.
Et faisait un don à chacun,
À l’un des fruits, des fleurs à l’autre,
Jeune homme ou vieillard marchant mal,
Chacun rentrait chez lui comblé.
Tout hôte était le bienvenu,
Mais quand venaient des amoureux,
Ils avaient la meilleure offrande,
La plus belle fleur était pour eux.
***
Das madchen aus der fremde
In einem Tal bei armen Hirten
Erschien mit jedem jungen Jahr,
Sobald die ersten Lerchen schwirrten,
Ein Mädchen, schön und wunderbar.
Sie war nicht in dem Tal geboren,
Man wusste nicht, woher sie kam,
Und schnell war ihre Spur verloren,
Sobald das Mädchen Abschied nahm.
Beseligend war ihre Nähe,
Und aile Herzen wurden weit,
Doch eine Würde, eine Höhe
Entfernte die Vertraulichkeit.
Sie brachte Blumen mit und Früchte,
Gereift auf einer andern Flur,
In einem andern Sonnenlichte,
In einer glücklichern Natur.
Und teilte jedem eine gabe,
Dem Früchte, jenem Blumen aus,
Der Jüngling und der Greis am Stabe,
Ein jeder ging beschenkt nach Haus.
Willkommen waren aile Gäste,
Doch nahte sich ein liebend Paar,
Dem reichte sie der Gaben beste,
Der Blumen ailerschönste dar.
Revenu sur la crête, le château n’y était plus.
Mais tu étais là, toi. Tu es donc là,
debout dans les pierres.
Le réseau de rubis brille à travers la blancheur.
La houle figée ne s’épandra pas.
Durs regards qui dévorez l’ombre et le jour.
Ecoute la végétation de la rivière,
que lisse chaque flot calme
dans la patience vie du fond,
la bergamote et les grands marronniers.
Si je ne t’attends plus, n’aie pas peur de ton visage.
Le jardin invite au bonheur,
à l’agréable compagnie.
bienvenue, ô saison des fleurs !
Voici le temps des beuveries.
a brise du matin apporte
ses doux effluves à chacun.
Oh oui ! Oh oui ! Comme elle est douce,
l’odeur du souffle protecteur !
La peine est éclose la rose
qu’elle chante un chant du départ :
Gémis donc, pauvre rossignol,
car ton cri nous va droit au cœur.
Voici, oiseau mélodieux,
pour toi une bonne nouvelle :
En amour, il faut bien gémir
toute la nuit, ô triste amant !
Le bonheur ne s’achète pas
au bazar du monde, ici-bas :
Il se trouve dans les façons
des voyous, des mauvais garçons.
Au lys pur j’ai entendu dire
— de ses lèvres à mon oreille
Qu’il ne faut pas être chargé,
dans le monde, ce vieux couvent.
O Hâfez, le renoncement
est le vrai chemin du bonheur.
Il faut bien te garder de croire
que la vie des mondains soit bonne
***
(Hâfez Shirâzi)(Hafiz)
Recueil: L’amour, l’amant, l’aimé
Traduction: Vincent-Masour Monteil
Editions: Actes Sud
I
Ma France à moi elle est joyeuse
Elle dit bonjour et comment allez-vous
Mais elle sait dire non elle est frondeuse
On ne la f’ra jamais mettre à genoux
Ma France à moi celle que j’adore
Celle qui chantait le chant des partisans
Celle des Klarsfeld celle de Senghor
Celle de Prévert et la France des paysans
France de Stendhal Chamfort Molière
France de Balzac La Fontaine et Victor
Des frères Lumière d’Apollinaire
D’Alfred Jarry des chants de Maldoror
Ma France à moi qu’avant tout j’aime
C’est celle de la liberté d’expression
Les mots d’amour voire les blasphèmes
Sont l’essentiel de ma respiration
II
France de Matisse Monet Soulages
France de Desproges et des tweets de Pivot
France de Coluche France du partage
France de Daumier Gotlib et Picasso
Ma France à moi peut-êt’ croyante
Mais a parfaitement le droit d’être athée
Bible ou Coran si ça lui chante
Elle dit pardon c’est pas ma tasse de thé
Ma France à moi elle est gourmande
D’accordéon de jazz et de Verdi
Elle chérit ses enfants d’légende
Ceux du Vel’ d’hiv’ et ceux du paradis
L’obscurantisme d’un autre âge
Les fanatismes elle en a fait son deuil
Aucun racisme aucun clivage
Ne sont bienv’nus sur sa terre d’accueil
III
Nos femmes en France embrassent et dansent
Libres d’aimer d’faire valser les textos
Z’apprécient guère qu’on les tabasse
Ni d’êt’ voilées ce n’sont pas des bateaux
Eh oui ma France adore ses femmes
Les Barbara Colette Marie Curie
Les De Beauvoir celles qui s’enflamment
Lucie Aubrac Simone Veil Adjani
Ma France de Jaurès fût compagne
Et des savants des chercheurs elle raffole
Jules Ferry Pasteur Charlemagne
C’est grâce à eux qu’on va tous à l’école
Bien sûr ma France elle est laïque
De penser libre et libre de parole
C’est la France de la république
Les religions s’apprenn’ pas à l’école
IV
Cette France que certains haïssez
A ceux qui l’aiment il vous faut la laisser
Cette chanson libre jaillie d’mon cœur
J’aim’rais qu’les écoliers l’apprenn’ par cœur
Car cette Franc’-là tel est mon vœu
Je souhait’ qu’elle soit demain leur France à eux
Sous le corset d’étain des rivières surprises
Sur nos corps ennemis la nuit que nous faisons
Dans le secret du vent éclaté sur nos têtes
La Parole bienvenue retourne à sa naissance.
Mais si un jour
il m’est donné de réussir
ce que j’ai de sacré dans le cœur,
le poème,
sois alors bienvenu,
ô calme du royaume des ombres…
Un jour, j’aurai vécu
comme vivent les dieux.