La lumière creuse les masques sans un cri.
Douleur plus durable que le feu,
ma discordante déchirante.
La nuit s’infléchit vers les blessures
qui saignent entre la muraille à effacer
et le regard à supprimer.
Des chrysalides bougent lentement sur un chemin boiteux
raturant les nourritures archaïques
sous les chuchotements imperceptibles d’une aube lointaine.
Gardons l’oeil en éveil
à travers le balbutiement des lucioles de solitude.
Vivre/survivre dans la jungle à la terreur des chimères.
Faute de lumière, apprenons à mûrir
en suçant le miel occulte des ténèbres.
Les feux du désir peu à peu mangent la nuit.
Jardin rempli des charmes
Que vous êtes charmant.
Vous suspendez mes larmes
Et les maux que je ressens.
Tous les plaisirs j’éprouve
Dans ce lieu enchanté.
Heureux si je retrouve
Ma chère liberté.
2
J’adore une inhumaine
Qui ne m’aime pas .
Insensible à ma peine
Elle cause mon trépas.
Je gémis, je soupire
Enchaîné par l’amour.
Je conte mon martyr
Aux échos d’alentour.
3
Pour dissiper ma peine
Et mon cuisant chagrin
Je vais, je me promène.
Quelque tour au jardin
L’amour me favorise :
Dans ce jardin fleuri
Je vis, quelle surprise,
Ma bergère endormie.
4
Quel transport me dévore !
Qu’entends-je, où suis-je hélas !
L’amour m’occupe encore
Qui est donc, qui voilà ?
C’est Colin ou je rêve.
Le sommeil l’a surpris
Il faut que je me lève
Pour joindre mes brebis.
5
Au bord d’une fontaine
Elle était étendue
Alors mes yeux promènent.
Sa gorge toute nue.
Non jamais dans Cythère
L’amour ne fut si beau.
Cette entrevue si chère
A donné tous mes maux.
6
Je vis sur une rose
Un papillon léger,
De la sucer il n’ose
Sans prévoir le danger.
De là je vis une belle
Caresser son amant.
Que ne puis-je ma chère
En faire tout autant.
7
Doux zéphyr de l’aurore
Voltigez doucement,
La beauté que j’adore
Dort bien tranquillement.
Doux oiseaux de nos plaines
Chantez un peu plus bas.
Laissez dormir Climène
Ne l’interrompez pas.
8
Où courez-vous si vite
Insensible beauté ?
Pour vous mon cœur palpite
…. Arrêtez, arrêtez…
A des discours si tendres
Colin soit mon vainqueur.
Je ne peux plus attendre,
Je te donne mon cœur.
On allait au bord de la mer
Avec mon père, ma sœur, ma mère
On regardait les autres gens
Comme ils dépensaient leur argent
Nous il fallait faire attention
Quand on avait payé le prix d’une location
Il ne nous restait pas grand-chose
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l’eau
Les palaces, les restaurants
On ne faisait que passer d’vant
Et on regardait les bateaux
Le matin on se réveillait tôt
Sur la plage pendant des heures
On prenait de belles couleurs
On allait au bord de la mer
Avec mon père, ma sœur, ma mère
Et quand les vagues étaient tranquilles
On passait la journée aux îles
Sauf quand on pouvait déjà plus
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l’eau
On avait le cœur un peu gros
Mais c’était quand même beau
On regardait les bateaux
La la la la la…
(Michel Jonasz)(Pierre Grosz)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Ai-je sucé les sucs d’innommés magistères ?
Quel succube au pied bot m’a-t-il donc envoûté ?
Oh ! Ne l’être plus, oh ! Ne l’avoir pas été !
Suc maléfique, ô magistères délétères !
Point d’holocauste offert sur les autels des Tyrs,
Point d’âpres cauchemars, d’affres épileptiques !
Seuls les rêves pareils aux ciels clairs des tryptiques,
Seuls les désirs nimbés du halo des martyrs !
Qui me rendra jamais l’hermine primitive,
Et le lis virginal, et la sainte forêt
Où, dans le chant des luths, Viviane apparaît
Versant les philtres de sa lèvre fugitive !
Hélas ! Hélas ! Au fond de l’Erèbe épaissi,
J’entends râler mon coeur criblé comme une cible.
Viendra-t-on te briser, sortilège invincible ? –
Hâte-toi, hâte-toi, bon Devin, car voici
Que l’automne se met à secouer les roses,
Et que les jours rieurs s’effacent au lointain,
Et qu’il va s’éteignant le suave matin :
Et demain, c’est trop tard pour les métamorphoses !
Je suis le moujik, le malheureux au dos courbé
Tout le monde tape sur le moujik.
On lui suce le sang et les veines,
On déchire ses forces,
Ses mains sont pleines d’ampoules.
Je suis le moujik, le fils de la souffrance,
J’ai été élevé à la bouillie de paille,
Les fanes me gonflent le ventre,
Je suis chaussé de lapti,
Pauvre est mon vêtement.
Je suis le moujik, le fils de la misère,
Je ne mange ni ne dors assez,
Je plie sous le poids de la peine,
Je travaille pour deux sous pas jour,
Je supporte toutes les moqueries.
Je suis le moujik, je n’entends pas les cloches,
Et un ver toujours me ronge :
Est-ce qu’il ne ment pas le pope en chaire
Qui dit que le tsar tient sa couronne de Dieu ?
Oh, il ne peut en être ainsi !
Je suis le moujik, j’ai ma fierté,
Je me courbe, mais attendez !
Je me tais, me tais et supporte,
Mais bientôt je vais crier :
« Paysan ! Prends ton fusil ! »
La semence nocturne a mûri dans ma tête,
dans mon nom j’ai scellé l’inconnu sans visage.
Croyant saisir le fruit, l’insecte, l’arc-en-ciel,
et sucer dans le roc l’huile vierge ou le miel,
j’ai glissé vers la nuit sur le miroir des sons :
l’écureuil encagé tourne seul sur sa roue,
au fond du puits rit le silence
où l’abîme s’ébroue.
Sur l’infime épaisseur des mots nous patinons
à reculons depuis l’enfance;
nous chantons, nous dansons
vers l’infini sans regard et sans nom.
A peine un éclair sur la glace,
dans une poésie est inscrite la trace
de l’oiseau qui raya la fragile surface.
***
(Claude Vigée)
Recueil: Anthologie
Traduction: Traduit en langue corénne par Madame Holl Han Kaa
Editions: Revue Arts et Littérature de Corée
Auparavant la vérité
descendait la colline sur les paroles du berger ;
et les brebis n’étaient pas seules à les saisir. Je me
souviens
de ces collines vertes
sous les pluies du printemps, glaciales par vent
d’avril et lumineuses comme le soleil du nord. C’était
un matin. Les femmes préparaient encore le
four à pain — et déjà un rythme obscur annonçait
la naissance des fruits, c’est-à-dire,
l’équivoque de la faux au moment
de la récolte.
C’étaient bien ses paroles. Un
mouvement qui parcourait la surface
des rizières, qui ridait l’échine
des dunes, qui repoussait les mouettes vers
l’estuaire. Cependant, les vieux
le comprenaient; et quelques innocents, dont
l’esprit se confondait à la transparence
de l’eau, répétaient ce qu’il disait en un murmure
de ruisseau. Mais ce n’était pas à eux qu’il
s’adressait.
Il évita l’ambiguïté, les sens complexes
de la philosophie, le fond noir
du poème. De fait, il n’allait jamais jusqu’au bout
de ses histoires — comme s’il ne pouvait pas
les terminer.. ou qu’il ne savait plus rien, au-delà
de ce que nous savons, maintenant que nous sommes peu
à se souvenir de lui. Moi, pourtant, je l’ai revu —
assis sur ce banc de gare, feuilletant un vieux
journal et suçant un vieux mégot —
avec le souffle avide d’un apprenti
en hésitations.
(Nuno Jùdice)
Recueil: Un chant dans l’épaisseur du temps suivi de méditation sur des ruines
Traduction: Michel Chandeigne
Editions: Gallimard