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Poésie

Posts Tagged ‘creuser’

CONTRE-MORT (Bernard Noël)

Posted by arbrealettres sur 27 avril 2024



Illustration: Gunther von Hagens
    
CONTRE-MORT

moi
qui chaque jour creuse sous ma peau
je n’ai soif
ni de vérité ni de bonheur ni de nom
mais de la source de cette soif
je ne promène pas mon petit démon bien policé
j’en ai dix mille me rongeant
et je leur souris
non pas comme une Joconde
non pas comme un bouddha satisfait de son détachement
non pas comme un yogi à l’âme soigneusement musclée
mais comme un homme
auquel tous les chemins ne sont pas bons
et
à mesure que le creux là-dessous va grandissant
d’étranges machines apparaissent dans mon corps
et d’abord cet oeil qui a percé à la racine du nez
et qui me fait douter de la valeur de mes yeux
condensation du regard
triangle à l’intérieur de mon crâne

triangle sans base
tel un entonnoir où s’engouffrent les cris
venus de la moelle épinière et du ventre
(du ventre dans lequel pousse
un énorme faisceau de racines flexibles
et dures comme des aiguilles d’acier)

triangle dont les parois incandescentes
tracent dans le cerveau une brûlure drainante
une brûlure qui est la présence même
la présence des choses
qui entrent en moi comme une décharge
une décharge brisant les écailles
brisant la paille et la poutre
brisant le filtre et les dents

il faudrait dire comment
dire la vision claire de cet oeil
qui n’a ni tendresse ni cynisme ni compassion
mais qui est vide et inexorable

tel un nuage d’abeilles au-dessus du gouffre
la présence approche
pattes de miel
douceur tiède
et
soudain
les mille piqûres des dards
il n’y a pas d’autre issue que le saut
mais

LE VIDE PORTE

les yeux regardent à travers le seul oeil
et dans l’épaisseur de midi
les choses entrent dans mon corps
l’espace se retrousse
dedans est immense
alors
tentation d’organiser aussitôt la conquête et d’en jouir
il fait soleil sous les épaules

[…]

(Bernard Noël)

Recueil: Extraits du corps
Editions: Gallimard

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Peut-être avons-nous le sentiment d’avancer (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




Illustration: Gilbert Garcin
    
Peut-être
avons-nous
le sentiment d’avancer
quand nous tournons en rond
et que nous creusons
sans même y prendre garde
avec persévérance
la fosse
où nos os blanchiront
ainsi
nous marchons
nus frêles
et tremblants
à notre obscur destin.

*

Peinant et suant
comme bêtes de somme
sous le soleil
d’aplomb poing tendu
vers le ciel vide
avec entre les dents
ce petit os à ronger
— mais nul ne sait
quand cela cessera.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

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Je creuse un trou (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 13 avril 2024




    
Je creuse un trou
pour chercher une parole enfouie. Si je la trouve

la parole comblera le trou. Si je ne la trouve pas,
le trou restera pour toujours ouvert dans ma voix.

La recherche de l’enfouir
suppose qu’on adopte les vides sans résultat.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Ne pas regarder (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 12 avril 2024



Illustration: Patrick Marquès
    
Ne pas regarder, simplement :
creuser les choses ou les remplir du regard.

Ne pas penser, simplement :
faire ce qu’on pense rien qu’en le pensant.

Ne pas aimer, simplement :
descendre par l’amour aux tréfonds de ce qu’on aime.

Ne pas vivre, simplement :
porter la substance de la vie jusqu’à la rive opposée.

Ne pas mourir, simplement :
aplanir du poids de la mort le sentier interminable.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Contrainte (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024




Contrainte

Court et s’attarde sur mon front
lente et s’abîme en mon sang
l’heure passe sans passer
en moi se sculpte et se dissipe

Je suis le pain pour sa faim
moi le coeur qu’elle déserte
l’heure passe sans passer
effaçant ce que j’écris

Amour qui passe et peine fixe
en moi combat repose en moi
l’heure passe sans passer
corps de mercure et de cendre

Creuse ma poitrine et ne me touche
pierre perpétuelle qui ne pèse
l’heure passe sans passer
et c’est une blessure qui s’enflamme

Le jour est court l’heure immense
heure sans moi moi et sa peine
l’heure passe sans passer
en moi s’enfuit en moi s’enchaîne

***

Apremio

Carre y se demora en mi frente
lenta y se despeña en mi sangre
la hora pasa sin pasar
y en mí se esculpe y desvanece

Yo soy el pan para su hambre
yo el corazón que deshabita
la hora pasa sin pasar
y esto que escribo lo deshace

Amor que pasa y pena fija
en mi combate en mi reposa
la hora pasa sin pasar
cuerpo de azogue y de ceniza

Cava mi pecho y no me toca
piedra perpetua que no pesa
la hora pasa sin pasar
y es una herida que se encona

El día es breve la hora inmensa
hora sin mí yo con su pena
la hora pasa sin pasar
y en mí se fuga y se encadena

(Octavio Paz)

Illustration: Ibara

 

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ON QUITTERA TOUJOURS LA MER (Ludovic Janvier)

Posted by arbrealettres sur 4 mars 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
ON QUITTERA TOUJOURS LA MER

On quittera toujours la mer à reculons
c’est toujours le même regret
c’est la même lenteur debout
qui vous déchire d’avec le pays
chaque adieu vous retourne infiniment
chaque pas qu’on pose hors de l’eau
veut creuser jusqu’à l’eau encore

(Ludovic Janvier)

Recueil: La mer à boire
Editions: Gallimard

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Entre moi (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 2 mars 2024



Luba Yakymtchouk
    
Entre moi et ma mère des centaines de tombes ont été creusées
Et je ne sais comment les enjamber
Entre moi et mon père des centaines d’obus volent
Et je ne parviens pas à les considérer comme des oiseaux
Entre moi et ma soeur, il y a une porte de cave métallique
Bloquée de l’intérieur par une pelle
Entre moi et ma grand-mère un paravent de prières
Des murs fins de soie, à travers lesquels on ne peut rien entendre, absolument rien entendre

(Luba Yakymtchouk)

***

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin)
Editions: des femmes

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Entre ma mère et moi (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    
Entre ma mère et moi,
des centaines de tombes ont été creusées.
Et je ne sais comment les enjamber

(Luba Yakymtchouk)

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CHOSES NOUÉES (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




Illustration: Johann Melchior Georg Schmidtner
    
CHOSES NOUÉES
Excursion

La mer à Skaramangas est nouée,
compacte. Les pétroliers dégagent
une fumée noire d’immobilité.
Mettons que tu existes.

Le parcours se dilate suspendu au regard.
Un nuage sale tache les routes là-haut,
en bas l’âme pure est reportée encore.
Mettons que tu existes.

La bride du cheval restera nouée à l’arbre.
Dans ma cervelle, beaucoup de pareils noeuds,
beaucoup de pareils liens.
Mettons que tu existes.

Dans le rétroviseur se regarde
un puits à sec.
La terre ici et là fraîchement creusée.
Le même soin
pour les morts et les graines.
La terre frémit.
Mettons que tu existes.

À Mycènes exclamations et tombeaux.
Pierre tourmentée par la célébrité.
Passions de bonne famille, dignes de mémoire.
Nos passions à nous
n’auront pas le moindre visiteur,
l’oubli les attend, affamé toujours.
Mettons que tu existes.

À Nauplie encore un bateau blanc.
pas tout à fait bateau et pas tout à fait blanc.
Mettons que tu existes.

Laissant les équivoques
nous sommes entrés dans les roseaux
les citronniers les cyprès.
Image fruitière — je t’arrose.
Mettons que tu existes.

Au loin dans la montée
halète un petit train noir.
Comme une délivrance à bout de forces.
Mettons que tu existes.
Comme l’eau coulant dans des régions désertes,
comme une balle dans le coeur d’un oiseau empaillé.
Superflus.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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La lumière creuse les masques sans un cri (Frankétienne)

Posted by arbrealettres sur 20 février 2024




    
La lumière creuse les masques sans un cri.
Douleur plus durable que le feu,
ma discordante déchirante.

La nuit s’infléchit vers les blessures
qui saignent entre la muraille à effacer
et le regard à supprimer.

Des chrysalides bougent lentement sur un chemin boiteux
raturant les nourritures archaïques
sous les chuchotements imperceptibles d’une aube lointaine.

Gardons l’oeil en éveil
à travers le balbutiement des lucioles de solitude.
Vivre/survivre dans la jungle à la terreur des chimères.

Faute de lumière, apprenons à mûrir
en suçant le miel occulte des ténèbres.
Les feux du désir peu à peu mangent la nuit.

(Frankétienne)

Recueil: Anthologie secrète
Editions: Mémoire d’encrier

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