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Poésie

Posts Tagged ‘frêle’

Rondeau lyrique (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    
Rondeau lyrique

Les cœurs dorment dans des coffrets
Que ferment de belles serrures ;
Sous les émaux et les dorures
La poussière des vieux secrets
Et des lointaines impostures
Se mêle aux frêles moisissures
Des plus récentes aventures :
Chère, ôtez vos doigts indiscrets,
Les cœurs dorment.

Vos doigts ravivent des blessures
Et vos regards sont des injures,
Laissez-les reposer en paix.
Comme des rois dans leurs palais
Ou des morts dans leurs sépultures,
Les cœurs dorment.

(Rémy de Gourmont)

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LE SOIR (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024



Illustration
    
LE SOIR

Heure incertaine, heure charmante et triste : les roses
Ont un sourire si grave et nous disent des choses
Si tendres que nos coeurs en sont tout embaumés ;
Le jour est pâle ainsi qu’une femme oubliée,
La nuit a la douceur des amours qui commencent,
L’air est rempli de songes et de métamorphoses ;
Couchée dans l’herbe pure des divines prairies,
Lasse et ses beaux yeux bleus déjà presque endormis,
La vie offre ses lèvres aux baisers du silence.

Heure incertaine, heure charmante et triste : des voiles
Se promènent à travers les naissantes étoiles
Et leurs ailes se gonflent, amoureuses et timides,
Sous le vent qui les porte aux rives d’Atlantide ;
Une lueur d’amour s’allume comme un adieu
À la croix des clochers qui semblent tout en feu
Et à la cime hautaine et frêle des peupliers :
Le jour est pâle ainsi qu’une femme oubliée
Qui peigne à la fenêtre lentement ses cheveux.

Heure incertaine, heure charmante et triste : les heures
Meurent quand ton parfum, fraîche et dernière fleur,
Épanche sur le monde sa candeur et sa grâce :
La lumière se trouble et s’enfuit dans l’espace,
Un frisson lent descend dans la chair de la terre,
Les arbres sont pareils à des anges en prière.
Oh ! reste, heure dernière ! Restez, fleurs de la vie !
Ouvrez vos beaux yeux bleus déjà presque endormis…

Heure incertaine, heure charmante et triste : les femmes
Laissent dans leurs regards voir un peu de leur âme ;
Le soir a la douceur des amours qui commencent.
Ô profondes amours, blanches filles de l’absence,
Aimez l’heure dont l’oeil est grave et dont la main
Est pleine des parfums qu’on sentira demain ;
Aimez l’heure incertaine où la mort se promène,
Où la vie, fatiguée d’une journée humaine,
Entend chanter enfin, tout au fond du silence,
L’heure des songes légers, l’heure des indolences !

(Rémy de Gourmont)

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Descente du Gange (Mina Loy)

Posted by arbrealettres sur 21 avril 2024




    
Descente du Gange

Divine cascade
de pierre murmurante

où les Déesses hôtesses
convient

de frêles ascètes émaciés
et les éléphants sacrés

à une attente sans fin –

acceptation inlassable
du flux immobile.

(Mina Loy)

Recueil: Il n’est ni vie ni mort
Traduction: de l’anglais Olivier Apert
Editions: NOUS

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Peut-être avons-nous le sentiment d’avancer (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




Illustration: Gilbert Garcin
    
Peut-être
avons-nous
le sentiment d’avancer
quand nous tournons en rond
et que nous creusons
sans même y prendre garde
avec persévérance
la fosse
où nos os blanchiront
ainsi
nous marchons
nus frêles
et tremblants
à notre obscur destin.

*

Peinant et suant
comme bêtes de somme
sous le soleil
d’aplomb poing tendu
vers le ciel vide
avec entre les dents
ce petit os à ronger
— mais nul ne sait
quand cela cessera.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

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Une frêle embarcation (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




    
Une frêle embarcation
dérivant
sur l’océan
sans savoir pourquoi
cherchant une direction
sous le ciel brouillé
voici
(peut-être)
ce que nous sommes
mais le coeur pèse tant
et nous sombrons
dans l’onde
incertaine et trouble
sans recours
adressant de vaines suppliques
à l’ombre
qui se tient dressée
derrière nous.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

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Un jour (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024




    
Un jour

Attends-moi, ami, jusqu’au terme de ce jour;
Ce jour si parfait de l’été
Qui me retient de charmes sans fin,
Chaleur, musc des roses, enchantement des lumières.
Je vais m’arrêter, orner mon sein d’une fleur;
Anémone est son nom; elle vient de me tenir
Les plus doux, les plus légers propos qu’entende un coeur.
Je vais sur l’herbe m’allonger
Et plonger mes mains dans l’eau ridée du ruisseau
Puis me retourner, contempler le ciel bleu-blanc,
Et rire, pour écouter le rire des collines.
Je veux de ce jour qu’il soit mien,
Et au dernier baiser du soleil à la terre
Je vous rejoindrai toi et ta sobriété,
J’irai à ta guise, sans halte, sans regret,
Sans même garder sur mon sein la frêle fleur.
Attends seulement le terme de ce jour.

***

One Day

Wait for me friend, until the day be past:
This one most perfect summer day,
That hold me with an hundred varying spells
Of warmth, of rose scents and entrancing lights.
I’ll stop to place this flower on my breast;
‘Tis called anemone, and spake to me but jus, a moment gone
The softest, faintest speech that heart could listen to.
Now will I lie upon the sward
Plunging my hands deep in the rippling brook.
Now turn and gaze into the blue white sky
And laugh, and only laugh to hear the hills laugh back at me.
Let me but call the day my own,
And when the sun’s last kiss bath touched the earth
Then will I join thee on thy sober way
Whither thou wilst—nor linger—nor regret
Nor even keep the little flower at my breast.
Only but wait until the day be past.

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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La chambre (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024




    
La chambre

Merveilleuse histoire à conter, ma foi:
Belle et frêle, ardente, une femme choit.
C’était peut-être faux, peut-être vrai:
Les faits à tous deux nous indifféraient.
Mais le vin, la fumée de ton cigare
Transformaient le tout en plaisante histoire
Plus qu’en sujet d’opprobre ou de péché:
À la femme déchue que reprocher?
Rien, tant qu’il n’y avait à découvrir
Que sa beauté, sa fougue et son plaisir.
Mais tu partis, on baissa les lumières,
La brise entra, et la pâleur lunaire:
Et je perçus une voix féminine,
Impuissante plainte au mutisme incline.
Montée du tréfonds d’infinies ténèbres
Elle emplit la pièce d’une angoisse funèbre.
Morte, cette femme ne pouvait nier:
Les femmes aux plaintes sont destinées.
Aussi me fallut-il la nuit durant,
Moi l’étrangère, écouter ce tourment…
Les femmes aux plaintes sont destinées,
Les hommes à écouter… et soupirer…

***

The Haunted Chamber

Of course ’twas an excellent story to tell
Of a fair, frail, passionate woman who fell.
It may have been false, it may have been true.
That was nothing to me—it was less to you.
But with bottle between us, and clouds of smoke
From your last cigar, ’twas more of a joke
Than a matter of sin or a matter of shame
That a woman had fallen, and nothing to blame
So far as you or I could discover,
But her beauty, her blood and an ardent lover.
But when you were gone and the lights were low
And the breeze came in with the moon’s pale glow
The far, faint voice of a woman, I heard,
‘Twas but a wail, and it spoke no word.
It rose from the depths of some infinite gloom
And its tremulous anguish filled the room.
Yet the woman was dead and could not deny,
But women forever will whine and cry.
So now I must listen the whole night through
To the torment with which I had nothing to do—
But women forever will whine and cry
And men forever must listen—and sigh—

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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VOYAGEURS (Ursula K. Le Guin)

Posted by arbrealettres sur 8 octobre 2023




    
VOYAGEURS

I
Nous sommes venus de la rive lointaine,
lumière d’étoile, et nous y retournerons
dans une frêle embarcation
grande comme deux mains tendues.

II
Réfléchir à la compassion.
Une luciole dans un jardin obscur.
Un lombric nu
sur une allée de béton.

III
Je pense à la traversée que
nous ferons ensemble
dans la barque sans rame
du fleuve sans rive.

***

TRAVELERS

I
We came from the far side of the
river of starlight and will cross back
over in a little boat
no bigger than two cupped hands.

II
Thinking about compassion.
A firefly in a great dark garden.
An earthworm naked
on a concrete path.

III
I think of the journey
we will take together
in the oarless boat
across the shoreless river.

(Ursula K. Le Guin)

Recueil: Derniers poèmes
Editions: Aux Forges de Vulcain

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Ton sol intérieur est là (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 4 octobre 2023




Illustration: Ron Mueck  
    
Ton sol intérieur est là
avec ses golfes et ses terres sans merci,
Et tu es celui qui monte dans une barque
et part tout seul dans le silence de lui-même,

Tu regardes passer tes propres falaises
où tu ne vois pas âme qui vive
Mais parfois des silhouettes noires
prises de grande panique
Comme les souvenirs éperdus d’une tête
qu’on vient de trancher.

Mais tu n’es pas un assassin
et tu te nommes malheureux.
Tu n’as jamais eu d’autre nom,
Et c’est toute ta compagnie.

Nuit en moi, nuit au dehors,
Elles risquent leurs étoiles,
Les mêlant sans le savoir.
Et je fais force de rames
Entre ces nuits coutumières,
Puis je m’arrête et regarde.
Comme je me vois de loin !

Je ne suis qu’un frêle point
Qui bat vite et qui respire
Sur l’eau profonde entourante.
La nuit me tâte le corps
Et me dit de bonne prise.
Mais laquelle des deux nuits,
Du dehors ou du dedans ?

L’ombre est une et circulante,
Le ciel, le sang ne font qu’un.
Depuis longtemps disparu,
Je discerne mon sillage
À grande peine étoilé.

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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