Les cœurs dorment dans des coffrets
Que ferment de belles serrures ;
Sous les émaux et les dorures
La poussière des vieux secrets
Et des lointaines impostures
Se mêle aux frêles moisissures
Des plus récentes aventures :
Chère, ôtez vos doigts indiscrets,
Les cœurs dorment.
Vos doigts ravivent des blessures
Et vos regards sont des injures,
Laissez-les reposer en paix.
Comme des rois dans leurs palais
Ou des morts dans leurs sépultures,
Les cœurs dorment.
Vous viendrez…
Vous ne serez jamais venu
À mon coeur hormis, me trouvant toute prête,
Le temps juste et sans que le vôtre s’arrête
D’y faire le bien et le mal inconnus.
Je vous aimerai. Vous aimerez ailleurs.
Vous m’aurez percé les yeux et la poitrine
D’une toujours autre et plus vivace épine.
Je vous aimerai d’amour plein de frayeur.
Vous m’aurez, présente, oubliée autre part.
Vous m’aurez faisant route ensemble blessée
Du coup sans abri qui s’ignore et laissée
Tomber sans secours, et saigner sans regard.
Ah ! vous aussi, vous, voyageur que voici,
Vous m’aurez plus loin que vos amours aimée !
Vous m’aurez — en vain étais-je désarmée —
Vous aussi m’aurez soufferte, vous aussi!
Vous aurez à faux, ô douloureux à tort,
Essuyé de moi quelque injure glacée.
Vous m’aurez un soir crue indigne et chassée…
Je vous aimerai, de vous loin, de vous hors.
Vous m’aurez dans l’ombre où je vous attendrai
Tant brisée enfin qu’il faudra que je meure.
Vous aussi mourrez ! … Il se fera sur l’heure
En nous une lumière immense…
Vous viendrez.
(Marie Noël)
Recueil: Les chants de la Merci suivi de Chants des Quatre-Temps
Traduction:
Editions: Gallimard
Ils ignoraient
Que la beauté de l’homme est plus grande que l’homme
Ils vivaient pour penser ils pensaient pour se taire
Ils vivaient pour mourir ils étaient inutiles
Ils recouvraient leur innocence dans la mort
Ils avaient mis en ordre
Sous le nom de richesse
Leur misère leur bien-aimée
Ils mâchonnaient des fleurs et des sourires
Ils ne trouvaient de coeurs qu’au bout de leur fusil
Ils ne comprenaient pas les injures des pauvres
Des pauvres sans soucis demain
Des rêves sans soleil les rendaient éternels
Mais pour que le nuage se changeât en boue
Ils descendaient ils ne faisaient plus tête au ciel
Toute leur nuit leur mort leur belle ombre misère
Misère pour les autres
Nous oublierons ces ennemis indifférents
Une foule bientôt
Répétera la claire flamme à voix très douce
La flamme pour nous deux pour nous seuls patience
Pour nous deux en tout lieu le baiser des vivants.
(Paul Eluard)
Recueil: Paul Eluard par Louis Parrot
Editions: Seghers
2
Visages bons au feu visages bons au froid
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
3
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple
4
La mort coeur renversé
5
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
6
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses
7
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
8
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
9
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
10
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
11
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
12
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
13
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir
14
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
(Paul Eluard)
Recueil: Paul Eluard par Louis Parrot
Editions: Seghers
Au tribunal d’amour, après mon dernier jour,
Mon coeur sera porté diffamé de brûlures,
Il sera exposé, on verra ses blessures,
Pour connaître qui fit un si étrange tour,
À la face et aux yeux de la Céleste Cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il saignera sur toi, et complaignant d’injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :
Tu diras : C’est Vénus qui l’a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses !
N’accuse point Vénus de ses mortels brandons,
Car tu les as fournis de mèches et flammèches,
Et pour les coups de trait qu’on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches.
(Théodore Agrippa d’Aubigné)
Recueil: Poèmes par coeur
Traduction:
Editions: Seghers
La souffrance est comme un ciseau
Qui tranche dans la chair vivante
Et j’en ai subi l’épouvante
Comme de la flèche à l’oiseau
Du feu du désert à la plante
Comme la glace sur les eaux
Mon coeur a subi les injures
Du malheur et de l’injustice
Je vivais en un temps impur
Où certains faisaient leurs délices
D’oublier leurs frères leurs fils
Le hasard m’a clos dans ses murs
Mais dans ma nuit je n’ai rêvé que de l’azur.
*
Je pouvais tout et je ne pouvais rien
Je pouvais tout aimer mais pas assez.
Ouvrez l’oeil mon ami
ouvrez l’oeil et le bon
et fermez bien la bouche
Souvenez-vous dans vos prières
de toutes les gaffes commises
des injures jetées lancées
Rappelez-vous sans vergogne
des cicatrices de votre coeur
et des nausées de vanité
Ouvrez la bouche l’oeil le nez
si vraiment vous y tenez
et puis allez vous promener
(Philippe Soupault)
Recueil: Poèmes et poésies
Traduction:
Editions: Grasset
Vers toi s’envolent, Dieu, les couteaux de l’injure
Tu es si beau tu es si calme tu es si nu.
Avançons du côté de l’injure,
Les fleurs d’avanie
Seules les perceront le ciel de carton des douleurs humaines.
Graver l’écorce
Jusqu’à saigner
Clouer les portes
S’emprisonner
Vivre des songes
A trop veiller
Prier des ombres
Et tant marcher
J’ai beau me dire
Qu’il faut du temps
J’ai beau l’écrire
Si noir sur blanc
Quoi que je fasse
Où que je sois
Rien ne t’efface
Je pense à toi
Passent les jours
Vides sillons
Dans la raison
Mais sans amour
Passe ma chance
Tournent les vents
Reste l’absence
Obstinément
J’ai beau me dire
Que c’est comme ça
Que sans vieillir
On n’oublie pas
Quoi que je fasse
Où que je sois
Rien ne t’efface
Je pense à toi
Et quoi que j’apprenne
Je ne sais pas
Pourquoi je saigne
Et pas toi
Y’a pas de haine
Y’a pas de roi
Ni Dieu, ni chaîne
Qu’on ne combat
Mais que faut-il
Quelle puissance ?
Quelle arme brise
L’indifférence ?
Oh, c’est pas juste
C’est mal écrit
Comme une injure
Plus qu’un mépris
Quoi que je fasse
Où que je sois
Rien ne t’efface
Je pense à toi
Et quoi que j’apprenne
Je ne sais pas
Pourquoi je saigne
Et pas toi…