Mon amour, était-ce toi ou mon seul élan,
le nom que ma parole a donné à son désir.
As-tu existé, toi l’autre? Était-il véritable,
sous de larges pommiers entre les pignons,
ce long corps étendu tant d’années?
L’azur a-t-il été un vrai morceau du temps?
N’ai-je pas imaginé une vacance dans l’opaque?
Étais-tu venue, toi qui t’en es allée?
Ai-je été ce feu qui s’aviva, disparut?
Tout est si loin. L’absence brûle comme la glace.
Les ramures de mémoire ont charbonné.
Je suis arrêté pour jusqu’à la fin ici,
avec un souvenir arrêté qui n’a plus de figure.
Si c’est un rêve qu’éternel amour,
qu’importe j’y tiens.
J’y suis tenu ou je m’y trouve abandonné.
Désert irrémédiable et la creuse fierté.
Quand tu reviendras avec un autre visage,
je ne te reconnais pas, je ne sais plus voir, tout n’est rien.
Hier fut. Il était mêlé de bleu et frémissait,
ordonnancé par un regard qui change.
Une chevelure brillait, violemment dénouée,
recomposée autour de moi, je le croyais.
Le temps remuait parmi l’herbe souterraine.
Éclairés de colère et de rire, les jours battaient.
Hier fut.
Avant que tout ne s’ébranlât un amour a duré,
verbe qui fut vivant, humain amour mortel.
Mon amour qui tremblait par la nuit incertaine.
Mon amour cautionné dans l’oeil de la tempête
et qui s’est renversé.
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
Il était une dame tartine,
Dans un beau palais de beurre frais,
La muraille était de praline,
Le parquet était de croquet,
La chambre à coucher,
De crème de lait,
Le lit de biscuits,
Les rideaux d’anis.
Elle épousa monsieur Gimblette
Coiffé d’un beau fromage blanc
Son chapeau était de galette
Son habit était d’vol-au-vent
Culotte en nougat,
Gilet d’chocolat,
Bas de caramel,
Et souliers de miel.
Leur fille, la belle Charlotte,
Avait un nez de massepain,
De superbes dents de compote,
Des oreilles de craquelin.
Je la vois garnir,
Sa robe de plaisirs
Avec un rouleau
De pâte d’abricot.
Le puissant prince Limonade
Bien frisé, vient lui faire sa cour
Ses longs cheveux de marmelade
Ornés de pommes cuites au four
Son royal bandeau
De petits gâteaux
Et de raisins secs
Portait au respect.
On frémit en voyant sa garde
De câpres et de cornichons
Armés de fusils de moutarde
Et de sabre en pelure d’oignons
Sur de drôles de brioches
Charlotte vient s’asseoir,
Les bonbons d’ ses poches
Sortent jusqu’au soir.
Voici que la fée Carabosse,
Jalouse et de mauvaise humeur,
Renversa d´un coup de sa bosse
Le palais sucré du bonheur
Pour le rebâtir,
Donnez à loisir,
Donnez, bons parents,
Du sucre aux enfants.
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
Un jour d’été, promenade sur le lac
Ennuyée de brume, trempée de rosée,
Retenue un moment je demeure,
Pour lui tenir la main en chemin,
au dessus du lac aux fleurs de lotus,
Toute une bruine, aux prunes mûres, de pluie fine.
Charmante ingénue sans craindre qu’il me devine,
Toute habillée assoupie renversée sur son coeur…
Enfin voici qu’on se lâche les mains, c’est l’heure
De s’en retourner lente s’accouder à la coiffeuse.
***
(Zhu Shu Zhen) (vers 1131)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Il n’y a pas de théorème du désir
Pas plus qu’il n’y a de théorème de la saveur d’une eau de montagne
pans la bouche de l’exténué
Il boit sa vie
Il n’y a qu’une vérité à mille chemins
Devant le corps aimé
Il est une aube plénière
Dont la lumière appelle la pensée-mésange de l’amant :
S’il y a une vérité dans le désir
Seule l’atteint cette pensée à mille chemins
Le coeur aussi se donne comme un paysage
Seul donc le désir de s’y perdre le mérite
Car ici l’ignorance nous accroît
C’est très simple l’immense pour qui s’est intérieurement dévêtu
Une paupière une hanche un souffle sur la joue
Cela d’un coup efface le monde
La fureur l’excès leur langage
C’est toujours à partir de ce vide
Que nous aimons
En lui que nous buvons notre vie
Est-ce de l’ordre de l’explosion ?
Explosion silencieuse et immobile
À la jonction de deux corps
Qui est la conjonction de deux limites
Ainsi détruites ?
Serait-ce l’apparition d’un espace neuf
Contraire mais lié
À l’espace ordinaire des besognes de l’existence ?
La porte d’or
Par où l’on revient dans sa vie
Déshabitué éclairé
Retour d’exil :
Gestes enfin habités
Regards tenus
Expansion d’une prairie intérieure
Avec affleurement de sources
Celles que l’amant entend
Quand il pose son oreille sur le sommeil de l’aimée
Beau chahut l’amour dans la maison des hommes
Table renversée écrous levés
Est-ce bien de l’ordre de l’explosion ?
Mais lente mais douce
Et sa rumeur qui dort dans la main du coeur
(Jean-Pierre Siméon)
Recueil: Le désir en nous comme un défi au monde 84 Poètes d’aujourd’hui
Traduction:
Editions: Le Castor Astral
A l’orée du jour chuchote une pluie douce
Chaque goutte d’eau semble encore hésiter
puis s’enhardit, les doigts nombreux de l’averse
tambourinent légèrement la terre qui avait soif
Renverser le visage laisser la pluie ruisseler
sur le front les joues boire les gouttes d’eau
fermer les yeux et ne plus rien désirer d’autre.
(Claude Roy)
Recueil: Poèmes de Claude Roy
Traduction:
Editions : Bayard Jeunesse
Quand y a la mer et puis les ch´vaux
Qui font des tours comme au ciné
Mais qu´ dans tes bras, c´est bien plus beau
Quand y a la mer et puis les ch´vaux
Quand la raison n´a plus raison
Et qu´ nos yeux jouent à s´ renverser
Et qu´on n´ sait plus qui est l´ patron
Quand la raison n´a plus raison
Quand on rat´rait la fin du monde
Et qu´on vendrait l´éternité
Pour cette éternelle seconde
Quand on rat´rait la fin du monde
Quand le diable nous voit pâlir
Quand y a plus moyen d´ dessiner
La fleur d´amour qui va s´ouvrir
Quand le diable nous voit pâlir
Quand la machine a démarré
Quand on n´ sait plus bien où l´on est
Et qu´on attend c´ qui va s´ passer
Mon enfant tout petit
a fait encore une bêtise grave.
Il a grimpé sur la rambarde de l’univers,
a heurté de la main
l’assiette rouge
pendue au mur du ciel,
et il a renversé sur lui toute la lumière.
Dieu est resté perplexe
en voyant le soleil
vêtu d’habits d’enfant
descendre au pas de course
l’escalier de mon imagination
pour arriver chez moi.
Et moi, me voici
maintenant
qui gronde avec sévérité
mon enfant tout petit
tout en volant secrètement
Ayant suivi le cours du torrent subjectif,
Te voici renversé par le front de la Bête,
Et tu perdras ta face,
Et les poissons tranchants vont t’entrer dans la tête
Pour voir ce qui s’y passe.
Que ne suis-je resté dans l’état poétique,
Personne n’y comprenait rien,
Mais le monde était là, si profond, si magique,
Et moi le seul magicien.