Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2024
Illustration: Max Ernst et Marie-Berthe Aurenche
Les écrits s’en vont
Le satin des pages qu’on tourne dans les livres moule une femme si belle
Que lorsqu’on ne lit pas on contemple cette femme avec tristesse
Sans oser lui parler sans oser lui dire qu’elle est si belle
Que ce qu’on va savoir n’a pas de prix
Cette femme passe imperceptiblement dans un bruit de fleurs
Parfois elle se retourne dans les saisons imprimées
Et demande l’heure ou bien encore elle fait mine de regarder des bijoux bien en face
Comme les créatures réelles ne font pas
Et le monde se meurt, une rupture se produit dans les anneaux d’air
Un accroc à l’endroit du coeur
Les journaux du matin apportent des chanteuses dont la voix a la couleur
du sable sur des rivages tendres et dangereux
Et parfois ceux du soir livrent passage à de toutes jeunes filles qui mènent des bêtes enchaînées
Mais le plus beau c’est dans l’intervalle de certaines lettres
Où des mains plus blanches que la corne des étoiles à midi
Ravagent un nid d’hirondelles blanches
Pour qu’il pleuve toujours
Si bas si bas que les ailes ne s’en peuvent plus mêler
Des mains d’où l’on remonte à des bras si légers que la vapeur des prés dans ses gracieux entrelacs au-dessus des étangs est leur imparfait miroir
Des bras qui ne s’articulent à rien d’autre qu’au danger exceptionnel d’un corps fait pour l’amour
Dont le ventre appelle les soupirs détachés des buissons pleins de voiles
Et qui n’a de terrestre que l’immense vérité glacée des traîneaux de regards
sur l’étendue toute blanche
De ce que je ne reverrai plus
A cause d’un bandeau merveilleux
Qui est le mien dans le colin-maillard des blessures.
(André Breton)
Posted in poésie | Tagué: (André Breton), accroc, aile, air, amour, anneau, appeler, apporter, au-dessus, écrit, étang, étendue, étoile, bandeau, bas, bête, beau, belle, bijou, blanc, blessure, bras, bruit, buisson, chanteur, coeur, colin-maillard, contempler, corne, corps, couleur, créature, danger, dangereux, détaché, demander, dire, enchaîné, endroit, entrelacs, exceptionnel, femme, fleur, glace, gracieux, heure, hirondelle, immense, imparfait, imperceptible, imprimer, intervalle, jeune fille, journal, léger, lettre, lire, livre, livrer, main, matin, mérveilleux, mêler, mener, midi, mine, monde, mouler, mourir, nid, oser, page, passage, passer, pleuvoir, pré, prix, ravager, réel, regard, regarder, remonter, rivage, rupture, s'articuler, s'en aller, sable, saison, satin, savoir, se produire, se retourner, soupir, tendre, terrestre, toujours, tourner, traîneau, tristesse, vapeur, vérité, ventre, voile, voix | Leave a Comment »
Posted by arbrealettres sur 3 novembre 2023
Illustration: Henri Matisse
DUO D’AMOUR FOU (extrait « Epiphanies »)
La scène est au soleil de midi, l’été, entre plaine et forêt.
Le Poète : Le lit des choses est grand ouvert.
Je me suis endormi, pensant que c’était trop beau
et que la terre s’échapperait.
Je craignais tout des ventilations absurdes d’une nuit en colère.
Les matins me fustigeaient.
Je vivais crédulement.
Sourcier infatigable, je cherchais l’Orifice originel,
premier ouvrage par où passer la tête et crier au Soleil.
J’ai trouvé ! Je confectionne sur mesure une amoureuse.
Ma femme sera mon paysage sensuel, le diorama de mon âme.
Le monde s’est embelli.
J’aspire littéralement l’avenir.
La clarté du jour m’assiste.
Je grimpe à l’échelle de corde de l’enthousiasme.
O c’est plus que jamais l’heure des diamants érectiles !
Les alentours se métamorphosent.
De coutume le cœur de la biche ne boule pas ainsi, l’eau a moins de charme,
les oiseaux ne tombent pas si verticalement sur le ciel,
l’air n’offre pas sa charpente avec autant de pompe ou de vigueur.
Je vois enfin le plus beau frisson de l’arbre.
Et le silence a trop vite plongé son glaive dans la pierre
pour que je ne devine rien : Tu es là.
L’Amoureuse : Je t’aime.
Le Poète : Je t’ai vue de toutes parts.
Je n’osais décoller tes lèvres du poème.
Il y a tant de choses qui nous invitent
aux festins de la terre.
Toi présente je n’ai plus que ta vérité
pour sauver les mots de leur honte.
Je voudrais pouvoir me taire.
Or pourquoi ai-je toujours une question à poser ?
L’Amoureuse : Dis-moi.
Le Poète : A quoi reconnais-tu que je t’aime ?
L’Amoureuse : A ta volonté. Et toi ?
Le Poète : Au plaisir que tu as à m’obéir.
L’Amoureuse : Ne suis-je point ta femme ?
Le Poète : Il est vrai.
Tu te donnes fière, fine, florissante, agenouillée,
rejetée en arrière, arche harmonieuse
d’où les serviteurs fous de lumière s’envolent ;
étale, pour tracer à la langue les routes fraîches qui mènent au cri.
L’Amoureuse : Quand il fait jour je pense à la nuit
Le Poète : et la nuit je fêle ta voix,
je m’initie à ton parfum, tes seins fermissent,
tu tires mes yeux
L’Amoureuse : et tu me frises
et me tutoies avec des gants.
Le Poète : Je tords la joie de vivre.
Je te visite entière. Je t’irise.
A mon aise je t’incendie.
L’Amoureuse : Tu me parcours
Le Poète : C’est alors que j’oublie le revers des villes,
le souci de vivre au milieu des flèches.
Je retrouve intacte mon enfance.
Je jouerais des siècles avec tes boucles.
Je t’emmènerai au Pays des Manières limpides.
Je t’accrocherais un cristal de neige éternelle au corsage.
Tu choisirais tes lacs, tes rives, tes chaînes de montagnes.
Tu commanderais ton ciel, ta saison, les robes des lendemains.
Pour toi, sur les chemins de ronde,
nous sortirions minuit de nos poches
et nous ferions du feu.
L’Amoureuse : Comme je t’appartiens !
Tu as le sens des mouvements qui me grisent,
et la diction d’un fanal.
Mes flots se teintent.
Tu renverses l’azur en moi.
Tu jalonnes mon ventre d’ifs tout allumés.
C’est la fête. Je t’accompagne.
Nous descendons au ralenti un escalier de pourpre,
je me voile dans l’écume, le vent se lève,
tu t’effaces devant les portes, où suis-je ?
Mais tu ne réponds pas, tu m’inspires des flambeaux de passage,
tu déplies soigneusement la volupté, tu détournes ma soif,
tu me prolonges, tu me chrysalides
et je suis de nouveau élue.
Alors je danse, je danse, je danse !
comme une flamme debout sur la mer !
les paupières fermées. Je suis nue, j’en ai conscience
et je te remercie parce que la fin de la folie est imprévisible.
Tu échafaudes des merveilles.
Tu me crucifies à toi.
Je suis bien.
Laisse-moi te dire : j’ai besoin d’être voyagée comme une femme.
Depuis des jours et des nuits tu me révèles.
Depuis des nuits et des jours
je me préparais à la noce parfaite.
Je suis libre avec ton corps.
Je t’aime au fil de mes ongles,
je te dessine.
Le cœur te lave. Je t’endimanche.
Je te filtre dans mes lèvres.
Tu te ramasses entre mes membres.
Je m’évase.
Je te déchaîne
Le Poète : Je t’imprime
L’Amoureuse : je te savoure
Le Poète : je te rame
L’Amoureuse : je te précède
Le Poète : je te vertige
L’Amoureuse : et tu me recommences
Le Poète : je t’innerve te musique
L’Amoureuse : te gamme te greffe
Le Poète : te mouve
L’Amoureuse : te luge
Le Poète : te hanche te harpe te herse te larme
L’Amoureuse : te mire t’infuse te cytise te valve
Le Poète : te balise te losange te pylône te spirale te corymbe
L’Amoureuse : l’hirondelle te reptile t’anémone
te pouliche te cigale te nageoire
Le Poète : te calcaire te pulpe te golfe te disque
L’Amoureuse : te langue le lune te givre
Le Poète : te chaise te table te lucarne te môle
L’Amoureuse : te meule
Le Poète : te havre te cèdre
L’Amoureuse : te rose te rouge te jaune
te mauve te laine te lyre te guêpe
Le Poète : te troène
L’Amoureuse : te corolle
Le Poète : te résine
L’Amoureuse : te margelle
Le Poète : te savane
L’Amoureuse : te panthère
Le Poète : te goyave
L’Amoureuse : te solive te salive
Le Poète : te scaphandre
L’Amoureuse : te navire te nomade
Le Poète : t’arque-en-ciel
L’Amoureuse : te neige
Le Poète : te marécage
L’Amoureuse : te luzule
Le Poète : te sisymbre te gingembre
t’amande te chatte
L’Amoureuse : t’émeraude
Le Poète : t’ardoise
L’Amoureuse : te fruite
Le Poète : te liège
L’Amoureuse : te loutre
Le Poète : te phalène
L’Amoureuse : te pervenche
Le Poète : te septembre octobre novembre décembre
et le temps qu’il faudra
(Henri Pichette)
Posted in poésie | Tagué: (Henri Pichette), absurde, accompagner, agenouillé, aimer, air, aise, alentours, allumé, amande, amour, amoureuse, anémone, appartenir, arbre, arc-en-ciel, arche, ardoise, aspirer, assister, avenir, azur, âme, échafauder, échelle, écume, élu, émeraude, épiphanie, érectile, étale, été, éternel, évaser, baliser, bîche, beau, besoin, boucle, bouler, calcaire, cèdre, chaîne, chaise, charmé, charpente, chatte, chemin, chercher, choisir, chrysalide, ciel, cigale, clarté, coeur, colère, commander, confectionner, conscience, corde, corps, corsage, corymbe, craindre, crédule, cri, crier, cristal, crucifier, cytise, danser, décembre, déchaîner, décoller, déplier, détourner, debout, descendre, dessiner, deviner, diamant, diction, diorama, disque, duo, eau, effacer, embellir, emmener, en-arrière, endimancher, enfance, enthousiasme, entier, escalier, falloir, fanal, fêler, fête, femme, fermé, fermir, festin, feu, fier, fil, filtrer, fin, flambeau, flamme, flèche, florissant, flot, folie, forêt, fou, frais, friser, frisson, fruiter, fustiger, gamme, gant, gingembre, givre, glaive, golfe, goyave, greffer, grimper, griser, guêpe, hanche, harmonieux, harpe, havre, herse, heure, hirondelle, honte, if, imprévisible, imprimer, incendier, infatigable, infuser, innerver, inspirer, intact, inviter, iriser, jalonner, jaune, joie, jouer, jour, lac, laine, lame, langue, laver, lèvres, lendemain, liège, libre, limpide, lire, losange, loutre, lucarne, luger, lumière, lune, luzule, lyre, manière, marécage, margelle, matin, mauve, môle, membre, mener, mer, merveille, meuler, midi, milieu, minuit, mirer, monde, montagne, mot, mouvement, musique, nageoire, navire, neige, noce, nomade, Novembre, nu, nuit, obéir, octobre, offrir, oiseau, ongle, orifice, originel, osere, oublier, ouvert, ouvrage, panthère, parcourir, parfait, parfum, passage, passer, paupière, pays, paysage, pervenche, phalène, pierre, plaine, plaisir, plonger, poème, poète, poche, pompe, porte, poser, pouliche, pourpre, précéder, préparer, présent, prolonger, pulpe, pylône, question, ramasser, ramer, répondre, résine, révéler, recommencer, reconnaître, remercier, renverser, reptile, retrouver, revers, rive, robe, rose, rouge, route, s'accrocher, s'échapper, s'endormir, s'envoler, s'initier, saison, salive, sauver, savane, savourer, scaphandre, se donner, se lever, se métamorphoser, se taire, se teinter, sein, sens, sensuel, septembre, serviteur, siècle, silence, sisymbre, soif, soigneusement, soleil, solive, sortir, souci, sourcier, spirale, table, tête, temps, terre, tirer, tomber, tordre, tracer, troène, trouver, tutoyer, valve, vérité, vent, ventilation, ventre, vertical, vertige, vigueur, ville, visiter, vivre, voiler, voir, voix, volonté, volupté, voyager, yeux | Leave a Comment »
Posted by arbrealettres sur 5 juillet 2021
Maman ne cesse de rire…
Maman ne connaît pas
Le nom du Premier ministre
Elle n’a jamais entendu parler
Du Gouverneur
Maman ne sait rien non plus
Du Commonwealth, de la 2G
Et des concessions de charbon
Elle ne sait pas lire
Pas même les gros titres des scandales
Imprimés dans les journaux
Il est également difficile de lui faire comprendre
Combien représente en réalité
La somme de plusieurs dizaines de milliards, en pièces de 50 centimes
Maman ne sait que ceci
Si un père maçon reçoit au travail
Un billet à l’effigie de Gandhi
Alors on obtient
250 grammes de gros sel
Deux kilos de pommes de terre
Deux morceaux de mélasse
Deux doses de médicament pour l’asthme
Et du tabac pour une semaine
Là-dessus elle peut encore économiser
Quelques piécettes
Maman sait très bien
Ce que signifie ne plus avoir de grain dans la jarre
Le docteur de la ville prend
Beaucoup, beaucoup de billets à l’effigie de Gandhi
C’est pourquoi elle ne parle jamais
De ses yeux troubles
Et ses poumons malades
Maman s’échine sans relâche avec le bétail
Et ne cesse jamais de rire.
(Krishnakânt)
Recueil: Pour une poignée de ciel Poèmes au nom des femmes dalit (Intouchable)
Traduction: Traduit du Hindi par Jiliane Cardey
Editions: Bruno Doucey
Posted in poésie | Tagué: (Krishnakânt), asthme, économiser, bétail, billet, centime, cesser, charbon, comprendre, concession, connaître, difficile, docteur, dose, effigie, entendre, Gandhi, gouverneur, grain, gramme, imprimer, jamais, jamaismélasse, jarre, journal, lire, maçon, malade, maman, médicament, milliard, ministre, nom, obtenir, parler, pièce, piècette, pomme de terre, prendre, réalité, recevoir, relâché, représenter, rire, s'échiner, savoir, scandale, sel, semaine, signifier, tabac, titre, travail, trouble, ville, yeux | Leave a Comment »