Penser qu’on aurait pu devenir cela aussi :
des héros, le visage resplendissant
et le corps couturé de blessures,
Alexandre aux portes d’Ecbatane, Colomb ou —
Penser cela ici, dans l’herbe abandonnée
au piétinement des boeufs sombres,
et piétiner comme eux, l’âme assourdie,
mais l’oeil prêt à ce qui doit venir
tôt ou tard, n’importe : qui viendra,
étant donné le point d’origine, l’axe,
l’uniformité du mouvement et la vitesse
avec laquelle comme un noyé
nous déglutissons nos échecs et nos ruines.
(Guy Goffette)
Recueil: Le pêcheur d’eau
Traduction:
Editions: Gallimard
Je me rappelle aussi net que si c’était ce jour
le soir où je vis mon premier poème imprimé dans le journal.
J’étais dans ma mansarde, à lancer des bouffées de
fumée et je rêvais, béatement satisfait.
Je bâtirai un château en Espagne. Il resplendira sur le Nord.
Il y aura deux ailes, une petite et une grande.
La grande hébergera un poète immortel, la
petite hébergera une jeune fille.
Je trouvais ce plan superbement harmonieux ;
puis le désordre s’y mit.
Quand le maître est devenu raisonnable, le château a paru absurde:
la grande aile était trop petite, la petite en ruine est tombée.
(Henrik Ibsen)
Recueil: Poèmes
Traduction: Régis Boyer
Editions: Les Belles Lettres
Entre les lignes entre les vitrines
Entre les strates entre les pages
Entre les règnes entre les révoltes
Entre les migrations les installations
Entre chien et loup entre singe et homme
Entre ville et campagne entre empire et horde
Entre esquisse et ruine entre fugue et foyer
Entre Gaule et France entre mur et crépi
Entre l’arbre et l’écorce entre muscle et peau
Un scalpel de plus un navire en partance
Pour sonder la nuit la veille et l’oubli
Omniprésente, imperturbable
Est la vie dont surgit la mort.
Il ne faut pas de plainte, il ne faut nulle plainte
Puisque les seigles ondulent près des ruines…
Le livret militaire, le diplôme de docteur
Et quelques lyriques tourmentes.
Sur la colline,
Tranquille,
Le moulin à vent.
Le miroir du lac
S’assombrit dans le soir.
Sur une maison abandonnée
La chouette chuinte.
Les étoiles sont loin.
De la fraîcheur.
Il fait bon maintenant
Etre avec les siens
Autour de la table
Sous la lampe à pétrole.
Un chien aboie
Sur l’étranger qui passe.
Seul.
Les chemins vont dans les ténèbres.
Silence.
Des diamants — les étoiles —
Ecorchent le verre bleu de la nuit.
Déserte, la plaine.
Un mur inachevé.
Ruines. Odeur de ciguë.
Ici, dans les fondations,
Le maître-maçon
N’a pas emmuré son amour.
Demain
Sur les pierres chaudes, au soleil,
Sortiront les lézards.
Demain !
Soleil !
Ici il y a du feu dans l’âtre.
Sous les cendres, la braise.
Des vieilles ramures
Jaillit la flamme.
Le passé est une souche
Sur laquelle est assis un homme,
Le visage éclairé
Par la flambée.
Le visage éclairé,
Un homme
Attend l’aube.
L’amour,l’amour,l’amour
Dont on parle toujours
À l’amour, c’est un printemps craintif
Une lumière attendrie, ou souvent une ruine
L’amour, l’amour, c’est le poivre du temps
Une rafale de vent, une feuillée de lune
L’amour, l’amour, à l’amour
Dont on parle toujours
L’amour, met la nuit a un bonnet
Et le jour porte un masque
Qui veulent que l’on grimace
L’amour, l’amour
C’est parfois même aussi, que le visage d’un autre
Qui n’est ni lui ni l’autre
À l’amour, à l’amour, à l’amour
Dont on parle toujours
À l’amour, à l’amour c’est plus d’une fois
Un panier vide aux bras l’arc-en-ciel sur deux coeurs
À l’amour, à l’amour
À l’amour c’est quand je t’aime
À l’amour c’est quand tu m’aimes
Sans me le dire
Sans te le dire
À l’amour, à l’amour
L’amour c’est quand tu m’aimes
L’amour c’est quand je t’aime
Sans te le dire
Sans me le dire
Appelé mangeur de pierre
un petit ver se repaît de l’ardoise
où il se cache
de minute en minute se resserre
l’étau du temps
les bijoux remués font leur bruit
des fourmis habitent une ruine
toujours se passe
quelque chose.