Je suis descendu sur ce terrain de jeu
et me suis retrouvé étranger et seul.
Ô Seigneur ! Où sont-ils ceux qui se passionnent
pour la dignité et le bel-agir ?
le déluge s’est déversé, le déluge des épreuves,
ses torrents ont emporté ma maison
excepté le château de mes rêves
chargé de l’auréole des enchantements
je suis sorti de ma peau comme le serpent,
puis j’ai regardé et voici que je suis Lui
j’ai accepté mon isolement
tel le compas qui tourne
sur sa circonférence,
mais le sort me fera à la fin
centre du cercle
la vie n’est que ruines,
rien qu’une poignée de vent,
alors relève tes pans
là où tu vas
(Khayr al-Din al-Asadi)
Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver,
Un feu pour vivre mieux.
Je lui donnai ce que le jour m’avait donné :
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.
Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur;
J’étais comme un bateau coulant dans l’eau fermée,
Comme un mort je n’avais qu’un unique élément.
II
Le mur de la fenêtre saigne
La nuit ne quitte plus ma chambre
Mes yeux pourraient voir dans le noir
S’ils ne se heurtaient à des ruines
Le seul espace libre est au fond de mon coeur
Est-ce l’espace intime de la mort
Ou celui de ma fuite
Une aile retirée blessée l’a parcouru
Par ma faiblesse tout entier il est cerné
Durerai-je prendrai-je l’aube
Je n’ai à perdre qu’un seul jour
Pour ne plus même voir la nuit
La nuit ne s’ouvre que sur moi
Je suis le rivage et la clé
De la vie incertaine.
III
La lune enfouie les coqs grattent leur crête
Une goutte de feu se pose sur l’eau froide
Et chante le dernier cantique de la brume
Pour mieux voir la terre
Deux arbres de feu emplissent mes yeux
Les dernières larmes dispersées
Deux arbres de feu me rendent la vie
Deux arbres nus
Nu le cri que je pousse
Terre
Terre vivante dans mon coeur
Toute distance conjurée
Le nouveau rythme de moi-même
perpétuel
Froid plein d’ardeur froid plein d’étoiles
Et l’automne éphémère et le froid consumé
Le printemps dévoué premier reflet du temps
L’été de grâce par le coeur héros sans ombres
Je suis sur terre et tout s’accommode du feu.
IV
Autour des mains la perfection
Mains pâles à déchirer le sang
Jusqu’à ce que le sang s’émousse
Et murmure un air idéal
Autour de tes mains la nature
Compose ses charmes égaux
À ta fenêtre
Aucun autre paysage
Que le matin toujours
Toujours le jour au torse de vainqueur
La jeunesse comblant la chair
En caressant un peu la terre
Terre et trésor sont mêlés
En écartant quelques brins d’herbe
Tes mains découvrent le soleil
Et lui font de nouveaux berceaux.
V
Aucun homme n’est invisible
Aucun homme n’est plus oublié en lui-même
Aucune ombre n’est transparente
Je vois des hommes là où il n’y a que moi
Mes soucis sont brisés par des rires légers
J’entends des mots très doux croiser ma voix sérieuse
Mes yeux soutiennent un réseau de regards purs
Nous passons la montagne et la mer difficiles
Les arbres fous s’opposent à ma main jurée
Les animaux errants m’offrent leur vie en miettes
Qu’importe mon image s’est multipliée
Qu’importe la nature et ses miroirs voilés
Qu’importe le ciel vide je ne suis pas seul.
Le ruisseau s’éloigne en bouillonnant, le vent crie sa violence à travers les pins ;
Les rats gris s’enfuient à mon approche et vont se cacher sous les vieilles tuiles.
Aujourd’hui sait-on quel prince éleva jadis ce palais ?
Sait-on qui nous légua ces ruines, au pied d’une montagne abrupte ?
Sous forme de flammes bleuâtres, se montrent des esprits dans les profondeurs sombre
Et, sur la route défoncée, on entend des bruits qui ressemblent à des gémissement
Ces dix mille voix de la nature ont un ensemble plein d’accords,
Et le spectacle de l’automne s’harmonise aussi avec ce triste tableau.
Le prince avait de belles jeunes filles ; elles ne sont plus que de la terre jaune,
Inerte comme l’éclat de leur teint, qui déjà n’était que mensonge ;
Il avait des satellites pour accompagner son char doré,
Et, de tant de splendeurs passées, ce cheval de pierre est tout ce qui reste.
La tristesse m’étreint ; je m’assieds sur l’herbe épaisse,
Je commence des chants où ma douleur s’épanche ;
Les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! Dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps !
(Du Fu)
(712-770)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Mon service prend fin et je descends les marches du palais
Repos du soir — je gagne enfin mes appartements
L’éclair hurlant éclate dans la nuit pleine
Les flèches de lumière vive rayent les ténèbres
De noirs nuages harcèlent les tours vermillonnes
Et le vent frappe le linteau des fenêtres.
L’eau s’écoule bouillonnante par les gouttières du toit
Des flaques jaunes noient les degrés aveugles des terrasses
Les cieux dénués s’engrènent impassibles sans se déchirer
De larges voies d’eau rejoignent abondantes un canal englouti
À Liang et Ying, les cultures meurent sous les flots du ciel
Des paysans vagabonds passent devant les bras furieux du fleuve
Les eaux montent inlassables et changent nos vies en ruine marine.
(Lu Ji)
(261-303)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Dire : cette vie est un jardin de roses, c’est mentir.
Dire : cette vie est un champ de ruines, c’est mentir.
Dire : je sais les horreurs de cette vie
et je ne m’en lasserai jamais d’en débusquer les merveilles,
c’est faire son travail d’homme et vous le savez bien :
ce genre de travail n’est jamais fini,
c’est comme les images,
elles continuent à trembler après le bain,
bien après la magie des révélations.
Vos images ne sont pas des mirages.
Vos images sont des points d’eau dans le désert.
Une pierre
deux maisons
trois ruines
quatre fossoyeurs
un jardin
des fleurs
un raton laveur
une douzaine d’huîtres un citron un pain
un rayon de soleil
une lame de fond
six musiciens
une porte avec son paillasson
un monsieur décoré de la légion d’honneur
un autre raton laveur
un sculpteur qui sculpte des Napoléon
la fleur qu’on appelle souci
deux amoureux sur un grand lit
un receveur des contributions une chaise trois dindons
un ecclésiastique un furoncle
une guêpe
un rein flottant
une écurie de courses
un fils indigne deux frères dominicains trois sauterelles un strapontin
deux filles de joie un oncle Cyprien
une Mater dolorosa trois papas gâteau deux chèvres de Monsieur Seguin
un talon Louis XV
un fauteuil Louis XVI
un buffet Henri II deux buffets Henri III trois buffets Henri IV
un tiroir dépareillé
une pelote de ficelle deux épingles de sûreté un monsieur âgé
une Victoire de Samothrace un comptable deux aides-comptables
un homme du monde deux chirurgiens trois végétariens
un cannibale
une expédition coloniale un cheval entier une demi-pinte de bon
sang une mouche tsé-tsé
un homard à l’américaine un jardin à la française
deux pommes à l’anglaise
un face-à-main un valet de pied un orphelin un poumon d’acier
un jour de gloire
une semaine de bonté
un mois de Marie
une année terrible
une minute de silence
une seconde d’inattention
et …
cinq ou six ratons laveurs
un petit garçon qui entre à l’école en pleurant
un petit garçon qui sort de l’école en riant
une fourmi
deux pierres à briquet
dix-sept éléphants un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant
un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans
une vache
un taureau
deux belles amours trois grandes orgues un veau marengo
un soleil d’Austerlitz
un siphon d’eau de Seltz
un vin blanc citron
un Petit Poucet un grand pardon un calvaire de pierre une échelle de corde
deux soeurs latines trois dimensions douze apôtres mille et une nuits
trente-deux positions six parties du monde cinq points cardinaux
dix ans de bons et loyaux services sept péchés capitaux deux doigts
de la main dix gouttes avant chaque repas trente jours de prison
dont quinze de cellule cinq minutes d’entr’acte