Mon Dieu qui donnes l’eau tous les jours à la source,
Et la source coule, et la source fuit ;
Des espaces au vent pour qu’il prenne sa course,
Et le vent galope à travers la nuit ;
Donne de quoi rêver à moi dont l’esprit erre
Du songe de l’aube au songe du soir
Et qui sans fin écoute en moi parler la terre
Avec le ciel rose, avec le ciel noir.
Donne de quoi chanter à moi pauvre poète
Pour les gens pressés qui vont, viennent, vont
Et qui n’ont pas le temps d’entendre dans leur tête
Les airs que la vie et la mort y font.
L’herbe qui croît, le son inquiet de la route,
L’oiseau, le vent m’apprennent mon métier,
Mais en vain je les suis, en vain je les écoute,
Je ne le sais pas encor tout entier.
J’ai vu quelqu’un passer, un fantôme, homme ou femme…
Mon cœur appelait sur la fin du jour…
Les rossignols des bois sont entrés dans mon âme.
Et j’ai su chanter des chansons d’amour.
J’ai vu quelqu’un passer, s’approcher, disparaître ;
Et les chiens plaintifs qui rôdent le soir
Ont hurlé dans mon cœur à la mort de leur maître.
J’ai su depuis chanter le désespoir.
J’ai vu les morts passer et s’en aller en terre,
Leur glas au cou, lamentable troupeau,
Et leurs yeux dans mes yeux ont fixé leur mystère.
J’ai su depuis la chanson du tombeau…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais si tu veux mon Dieu que pour d’autres je dise
La chanson du bonheur, la plus belle chanson,
Comment ferai-je moi qui ne l’ai pas apprise ?
Je n’en inventerai que la contrefaçon.
Donne-moi du bonheur, s’il faut que je le chante,
De quoi juste entrevoir ce que chacun en sait,
Juste de quoi rendre ma voix assez touchante,
Rien qu’un peu, presque rien, pour savoir ce que c’est.
Un peu — si peu — ce qui demeure d’or en poudre
Ou de fleur de farine au bout du petit doigt,
Rien, pas même de quoi remplir mon dé à coudre…
Pourtant de quoi remplir le monde par surcroît.
Car pour moi qui n’en ai jamais eu l’habitude,
[…]
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Si tu viens pour rester, dit-elle, ne parle pas.
Il suffit de la pluie et du vent sur les tuiles,
il suffit du silence que les meubles entassent
comme poussière depuis des siècles sans toi.
Ne parle pas encore. Écoute ce qui fut
lame dans ma chair : chaque pas, un rire au loin,
l’aboiement du cabot, la portière qui claque
et ce train qui n’en finit pas de passer
sur mes os. Reste sans paroles : il n’y a rien
à dire. Laisse la pluie redevenir la pluie
et le vent cette marée sous les tuiles, laisse
le chien crier son nom dans la nuit, la portière
claquer, s’en aller l’inconnu en ce lieu nul
où je mourais. Reste si tu viens pour rester.
(Guy Goffette)
Recueil: Anthologie de la poésie française du XXè siècle
Editions: Gallimard
Il pleut très doucement dans un poème
et la ville est couchée là tout près comme un bon chien,
des choses passent et puis d’autres reviennent
il y a des mots qui sont lourds de soleil
et qui disent très bien la fourrure secrète d’une femme
et d’autres qui sont pleins de brume jusqu’au réveil
il pleut si doucement que c’est peut-être un autre monde
pareil à celui-ci mais sans hâte et sans orgueil
et c’est dans le dedans de soi comme des gouttes de silence.
(Claude Esteban)
Recueil: Anthologie de la poésie française du XXè siècle
Editions: Gallimard
La petite fille ouvrit une porte et se perdit
dans la Tour du Vent
et chemina dans le froid et eut soif
et pleura de peur.
Tour du Vent où chaque cri s’amplifie
interminablement sans rencontrer d’écho.
La petite fille se trouvait dans cette Tour,
dans cette Tour vieille comme mon corps, abandonnée,
seule, en ruine comme mon corps.
Cherche-la dans la Tour, suis-la,
suis les empreintes de son pied menu,
l’odeur de jasmin de ses cheveux
et ses mains qui coulent comme deux ruisseaux
et ses yeux égarés.
Tout ici est bien gardé,
bien caché et prisonnier.
Appelle-la, d’un cri fais s’écrouler le mur,
rends-lui la vie avec ton sang si elle est morte.
Ensuite d’une langue abjecte et triste de chien affamé
j’ai léché son ombre jusqu’à l’effacer
et de mon deuil j’ai insulté le jour
et j’ai traîné mes sanglots sur le sol.
Regarde-moi dans mon coin, les cheveux défaits,
comme un jouet cendreux qui roucoule :
je donne le sein à un petit fantôme
tandis que l’araignée tisse sa toile d’épaisse fumée.
Regarde-moi : j’ai ouvert une porte et je me suis perdue
dans la Tour du Vent.
(Rosario Castellanos)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
Quelque part dans une maison calme le
soleil passe à travers les volets et la
poussière se croyant seule se met à danser
sans autre bruit que celui que fait un insecte.
Il y a bien au loin le cri d’un enfant ou
celui d’un chien oppressé de solitude. Il y
a bien, dans l’herbe, le pas d’une source où
la mer vient, en se cachant, prendre pied.
Il n’y a plus soudain dans le jour immense
qu’un bourdon désorienté qui se cogne aux carreaux
qu’un oiseau brûlé de soleil
qui retombe comme une feuille au milieu des blés.
Et la chambre plus profonde que le monde
se tient dans l’ombre auprès de la porte avec
un coeur qui a cessé de battre
parce qu’il n’y a plus de soleil dans les volets.
(Lucien Becker)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Traduction:
Editions: Marabout
Ah, toujours, jeune ou vieux, je ressens cette même chimère :
Une montagne la nuit ; au balcon, en silence, une femme ;
Blanche route qui prend son élan quand la lune l’éclaire ;
Comme alors un désir passionné fait se tordre mon âme!
Monde ardent, forme blanche de femme à son balcon qui songe,
Aboi d’un chien dans la vallée, sourd roulement d’un train,
Vous fûtes bien des fois pièges, amers mensonges ;
Vous restez le plus doux de mes rêves ainsi que le plus vain.
Souvent j’ai pris la voie des réalités rudes :
Assesseur, cours du change, ou bien mode, ou bien loi,
Mais déçu, libéré, j’ai rejoint bientôt ma solitude,
Où jaillit le naïf idéal, où le rêve est chez soi.
Trouble vent de la nuit dans l’arbre, ô bohémienne noire,
monde de désirs fous, poèmes pleins d’odeur,
monde splendide auquel toujours j’ai voulu croire,
Quand ta voix vient vers moi au milieu des éclairs de chaleur.
***
O BRENNENDE WELT
Immer und immer fühl ich’s, ob alt oder jung :
Ein Gebirg in der Nacht, am Balkon ein schweigendes Weib,
Eine weiße Straße im Mondschein mit sanftem Schwung,
Das reißt mir vor Sehnsucht das bange Herz aus dem Leib.
O brennende Welt, o du weißes Weib am Balkon,
Bellender Hund im Tal, fernrollende Eisenbahn,
O wie loget ihr, o wie bitter betrogt ihr mich schon —
Dennoch seid ihr noch immer mein süßester Traum und Wahn !
Oft versucht ich den Weg in die schreckliche « Wirklichkeit »,
Wo Assessor, Gesetz, Mode und Geldkurs gilt,
Aber einsam entfloh ich immer, enttäuscht und befreit,
Dort hinüber, wo Traum und liebliche Narrheit quillt.
Schwüler Nachtwind im Baum, schwarze Zigeunerin,
Welt voll törichter Sehnsucht und Dichterduft,
Herrliche Welt, der ich ewig verfallen bin,
Wo dein Wetterleuchten mir zuckt, wo deine Stimme mir ruft!
(Hermann Hesse)
Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti
Celle qui l’a le plus aimé
il ne l’a point vue
toujours à coudre son pourpoint
à nouer ses lettres de différentes faveurs
à sortir les chiens
à respirer toute la nuit
la rue par laquelle il a fui
Dans la cité fortifiée
des quartiers s’abîment
un homme s’arrête étonné
d’une voix qui mue
une à une à l’asile
il faut laver les folles
une restant belle s’y prête
malgré des larmes silencieuses.
Des chiens s’acharnent
autour d’os à lambeaux
quelqu’un vainement crie: assez.
Biquette n’veut pas sortir du chou!
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher le chien
Afin de mordre Biquette
On envoie chercher le chien
Afin de mordre Biquette
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou.
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher le loup
Afin de manger le chien
On envoie chercher le loup
Afin de manger le chien
Le loup ne veut pas manger le chien
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou.
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher l’bâton
Afin d’assommer le loup
On envoie chercher l’bâton
Afin d’assommer le loup
Le bâton n’veut pas assommer le loup
Le loup ne veut pas manger le chien
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher le feu
Afin de brûler l’bâton
On envoie chercher le feu
Afin de brûler l’bâton
Le feu ne veut pas brûler le bâton
Le bâton n’veut pas assommer le loup
Le loup ne veut pas manger le chien
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher de l’eau
Afin d’éteindre le feu
On envoie chercher de l’eau
Afin d’éteindre le feu
L’eau ne veut pas éteindre le feu
Le feu ne veut pas brûler le bâton
Le bâton n’veut pas assommer le loup
Le loup ne veut pas manger le chien
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher le veau
Pour lui faire boire de cette eau
On envoie chercher le veau
Pour lui faire boire de cette eau
Le veau ne veut pas boire de cette eau
L’eau ne veut pas éteindre le feu
Le feu ne veut pas brûler le bâton
Le bâton n’veut pas assommer le loup
Le loup ne veut pas manger le chien
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher l’boucher
Afin de tuer le veau
On envoie chercher l’boucher
Afin de tuer le veau
Le boucher n’veut pas tuer le veau
Le veau ne veut pas boire de cette eau
L’eau ne veut pas éteindre le feu
Le feu ne veut pas brûler le bâton
Le bâton n’veut pas assommer le loup
Le loup ne veut pas manger le chien
Le chien ne veut pas mordre Biquette
Biquette ne veut pas sortir du chou
Ah! Tu sortiras, Biquette, Biquette
Ah! Tu sortiras de ce chou-là !
On envoie chercher le diable
Pour qu’il emporte le boucher
On envoie chercher le diable
Pour qu’il emporte le boucher
Le diable veut bien prendre l’boucher
Le boucher veut bien tuer le veau
Le veau veut bien boire de cette eau
Cette eau veut bien éteindre le feu
Le feu veut bien brûler le bâton
Le bâton veut bien assommer le loup
Le loup veut bien manger le chien
Le chien veut bien mordre Biquette
Biquette veut bien sortir du chou
Ah! Tu es sortie, Biquette, Biquette
Ah! Tu es sortie, j’te l’avais dit
Ah! Tu es sortie, Biquette, Biquette
Ah! Tu es sortie, j’te l’avais dit
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette