Je pleure des larmes sèches à mon coeur qui se meurt.
Ces flammes qui me lèchent ont du sang la saveur.
Je ne sais ce qui pêche et il n’est point de leurre.
La nuit me paraît fraîche, j’ai des envies d’ailleurs.
Je pleure des larmes noires en mon coeur évanoui.
Drapé dans mon peignoir, je cherche en vain l’oubli.
Les souvenirs, ce soir, me poussent á l’insomnie.
Je n’ai plus mal à boire face aux maux de la vie.
Je pleure des larmes vaines au son de mes douleurs.
Entravé par ces chaînes, j’ai le mal des fleurs.
Ce manque que je traîne atténue leurs couleurs.
Elle a quitté ma scène, engendrant la tumeur.
Je pleure des larmes grises aux sentiments passés.
Ces flammes qui attisent amertume et regrets.
Cet amour infini que je n’ai embrassé
Qu’au début de ma vie et qui s’est envolé.
Je pleure des larmes chaudes comme ses câlins,
Ses regards d’affection, ses sourires, nos matins.
Sa lune a disparu, elle était de satin.
Évanouie sa clarté, interrupteur éteint.
Je pleure des larmes blanches au vide immaculé.
Ces flammes sont des lames aux dents trop aiguisées.
Ce désert de tendresse à jamais irrigué
Des sanglots de l’amour qu’on n’a pu se donner.
Je me revois au coeur d’une maison d’amour
Où mon père et ma mère à l’intuitive flamme
Nous chérissaient des yeux en éduquant notre âme
Sachant la cultiver comme on fait au labour.
Très sûrs d’enraciner en elle l’espérance
Montraient qu’en toute vie apparaît la souffrance
Leur exemple entraînait bien mieux qu’un long discours
Si même au fil des ans subsiste un long parcours.
Oui, près d’eux je reviens comme pour rajeunir
Accorder ma pensée et refaire ma force
Rien ne semble plus fort qu’un vivant souvenir
Tant fut marqué mon cœur en sa première écorce…
Quelle foudre inflexible a pris ce corps en main,
l’a pétri, ravagé d’orages sans pitié !
Ce qui dévaste n’a pas de nom, pas de mains,
saisit l’esprit entier.
Il faut manger ses cris.
Et le corps en douleurs sent le vent de la peur,
un vide où rien ne protège plus de la mort,
l’espace du rien qui l’angoisse, l’humilie,
ne laisse plus qu’un noir entre lui et la mort.
La personne petite où se débat la vie
voit derrière son oui les arbres toujours verts,
puis soudain ce visage imprégné de noblesse,
presque inconnu dans sa douceur et sa noblesse,
rayonnant d’un souvenir qui n’a pas de fin,
et dans ses yeux tout ce qui reste de lumière.
(Jean Mambrino)
Recueil: Anthologie de la poésie française du XXè siècle
Editions: Gallimard
J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j’ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant
Comme au passé
J’ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l’arbre
Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs
J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l’odeur des mûres écrasées
C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?
(Monique Serf)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Le sourire d’une inconnue,
Les mains légères des épis,
Se nouant et se dénouant,
L’odeur vieille d’une commode
Dont les souvenirs sont envolés,
Le bruit mat et roulé
D’une pomme qui tombe,
L’enfant qui ouvre la bouche
En traçant quelques signes
Tant son coeur est présent
Sous ses doigts qui dessinent…
Cette envie de ne plus rien faire et surtout ne plus rien éprouver,
Ce besoin subit de se taire et de se détacher
Au jardin du Luxembourg, si calme
Être un vieux sénateur vieillissant sous ses palmes
Et plus rien du tout, ni les enfants, ni leurs bateaux, ni surtout la musique
Ne viendrait troubler cette méditation désenchantée et presque ataraxique ;
Ni l’amour surtout, ni la crainte.
Ah ! n’avoir aucun souvenir des étreintes.
Je voudrais être né de ton ventre
avoir vécu un temps à l’intérieur de toi
depuis que je te connais je me sens plus orphelin
O tendre grotte
rouge éden de chaleur
quelle joie d’avoir été cette cécité
je voudrais que ta chair se souvienne
de m’avoir emprisonné
et que quand tu me regardes
quelque chose se resserre dans ton ventre
et que tu te sentes orgueilleuse au souvenir
de la générosité sans pareille de ta chair
se dénouant pour que je sois libre
pour toi je me suis mis à déchiffrer les signes de cette vie
que de toi je voudrais avoir reçue.
(Tomas Segovia)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud