Un Abîme de silence nous sépare l’un de l’autre.
Je me tiens d’un côté de l’abîme, toi de l’autre.
Je ne peux te voir ni t’entendre, mais sais que tu es là.
Souvent je t’appelle par ton nom d’enfant
Et prétends que l’écho à mon cri est ta voix.
Comment combler l’abîme ? Jamais par la parole ou le contact.
Autrefois je pensais que nous pourrions le remplir de larmes.
Maintenant je veux le détruire avec nos rires.
***
The Gulf
A Gulf of silence separates us from each other.
I stand at one side of the gulf, you at the other.
I cannot see you or hear you, yet know that you are there.
Often I call you by your childish name
And pretend that the echo to my crying is your voice.
How can we bridge the gulf? Never by speech or touch.
Once I thought we might fill it quite up with tears.
Now I want to shatter it with our laughter.
(Katherine Mansfield)
Recueil: Villa Pauline Autres Poèmes
Traduction: Philippe Blanchon
Editions: La Nerthe
Aux becs de gaz éteints, la nuit, en la maison,
Ils prolongent souvent des plaintes éternelles;
Et sans que nous puissions dans leurs glauques prunelles
En sonder la sinistre et mystique raison.
Parfois, leur dos aussi secoue un long frisson;
Leur poil vif se hérisse à des jets d’étincelles
Vers les minuits affreux d’horloges solennelles
Qu’il écoutent sonner de bizarre façon.
(Émile Nelligan)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
La nuit dernière,
dans mon rêve
je l’ai vue clairement
sur l’oreiller.
Longtemps nous avons chuchoté.
Son visage toujours frais
comme une fleur de pêcher,
souvent elle baissait les paupières
pareilles aux feuilles de saules.
Moitié timide, moitié gaie,
prête à partir, elle s’attardait.
En me réveillant, j’ai su
que ce n’était qu’un rêve.
Une tristesse infinie
a inondé mon coeur.
(Wei Zhuang)
Recueil: Neige sur la montagne du lotus Chants et vers de la Chine ancienne
Traduction: Ferdinand Stočes
Editions: Picquier poche
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le coeur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.
(Victor Hugo)
Recueil: Cent poèmes de Vivtor Hugo
Traduction:
Editions: Omnibus
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les Morts ne sont pas morts.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans le Feu qui s’éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,
Les Morts ne sont pas morts.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
Il redit chaque jour le Pacte,
Le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort,
Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde Loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve,
Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.
Des Souffles qui demeurent
Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit
Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,
Des Souffles plus forts qui ont pris
Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,
Des Morts qui ne sont pas partis,
Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.