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Poésie

Posts Tagged ‘sein’

Griffonnage (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 8 Mai 2024




Griffonnage

Avec un morceau de charbon
avec ma craie cassée et mon crayon rouge
dessiner ton nom
le nom de ta bouche
le signe de tes jambes
sur le mur de personne
Sur la porte interdite
graver le nom de ton corps
jusqu’à ce que la lame de mon couteau
saigne
et la pierre crie
et le mur respire comme un sein

***

Garabato

Con un trozo de carbón
con mi gis roto y mi lápiz rojo
dibujar tu nombre
el nombre de tu boca
el signo de tus piernas
en la pared de nadie
En la puerta prohibida
grabar el nombre de tu cuerpo
hasta que la hoja de mi navaja
sangre
y la piedra grite
y el muro respire como un pecho

(Octavio Paz)

 

 

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Oh ! Qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024



Illustration: Edvard Munch
    
Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage
Quien no ama, no vive.

Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage,
Si jamais vous n’avez épié le passage,
Le soir, d’un pas léger, d’un pas mélodieux,
D’un voile blanc qui glisse et fuit dans les ténèbres,
Et, comme un météore au sein des nuits funèbres,
Vous laisse dans le coeur un sillon radieux ;

Si vous ne connaissez que pour l’entendre dire
Au poète amoureux qui chante et qui soupire,
Ce suprême bonheur qui fait nos jours dorés,
De posséder un coeur sans réserve et sans voiles,
De n’avoir pour flambeaux, de n’avoir pour étoiles,
De n’avoir pour soleils que deux yeux adorés ;

Si vous n’avez jamais attendu, morne et sombre,
Sous les vitres d’un bal qui rayonne dans l’ombre,
L’heure où pour le départ les portes s’ouvriront,
Pour voir votre beauté, comme un éclair qui brille,
Rose avec des yeux bleus et toute jeune fille,
Passer dans la lumière avec des fleurs au front ;

Si vous n’avez jamais senti la frénésie
De voir la main qu’on veut par d’autres mains choisie,
De voir le coeur aimé battre sur d’autres coeurs ;
Si vous n’avez jamais vu d’un oeil de colère
La valse impure, au vol lascif et circulaire,
Effeuiller en courant les femmes et les fleurs ;

Si jamais vous n’avez descendu les collines,
Le coeur tout débordant d’émotions divines ;
Si jamais vous n’avez le soir, sous les tilleuls,
Tandis qu’au ciel luisaient des étoiles sans nombre,
Aspiré, couple heureux, la volupté de l’ombre,
Cachés, et vous parlant tout bas, quoique tout seuls ;

Si jamais une main n’a fait trembler la vôtre ;
Si jamais ce seul mot qu’on dit l’un après l’autre,
JE T’AIME ! n’a rempli votre âme tout un jour ;
Si jamais vous n’avez pris en pitié les trônes
En songeant qu’on cherchait les sceptres, les couronnes,
Et la gloire, et l’empire, et qu’on avait l’amour !

La nuit, quand la veilleuse agonise dans l’urne,
Quand Paris, enfoui sous la brume nocturne
Avec la tour saxonne et l’église des Goths,
Laisse sans les compter passer les heures noires
Qui, douze fois, semant les rêves illusoires,
S’envolent des clochers par groupes inégaux ;

Si jamais vous n’avez, à l’heure où tout sommeille,
Tandis qu’elle dormait, oublieuse et vermeille,
Pleuré comme un enfant à force de souffrir,
Crié cent fois son nom du soir jusqu’à l’aurore,
Et cru qu’elle viendrait en l’appelant encore,
Et maudit votre mère, et désiré mourir ;

Si jamais vous n’avez senti que d’une femme
Le regard dans votre âme allumait une autre âme,
Que vous étiez charmé, qu’un ciel s’était ouvert,
Et que pour cette enfant, qui de vos pleurs se joue,
Il vous serait bien doux d’expirer sur la roue ; …
Vous n’avez point aimé, vous n’avez point souffert !

(Victor Hugo)

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Blanche abeille (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 26 avril 2024



Illustration
    
Blanche abeille tu bourdonnes — ivre de miel — dans mon âme
et tu te tords en lentes spirales de fumée.

Je suis le désespéré, la parole sans échos,
celui qui perdit tout, et celui qui posséda tout.

Ultime amarre, en toi craque mon anxiété ultime.
En ma terre déserte tu es l’ultime rose.

Ah silencieuse !

Clos tes yeux profonds. Là bat des ailes la nuit.
Ah dénude ton corps de statue craintive.

Tu as des yeux profonds où la nuit bat des ailes.
De frais bras de fleur et giron de rose.

Tes seins ressemblent aux escargots blancs.
Un papillon d’ombre est venu s’endormir sur ton ventre.

Ah silencieuse !

Voici la solitude d’où tu es absente.
Il pleut. Le vent marin chasse d’errantes mouettes.

L’eau marche pieds nus dans les rues trempées.
De cet arbre geignent, comme des malades, les feuilles.

Blanche abeille, absente, encore tu bourdonnes dans mon âme.
Tu revis dans le temps, fine et silencieuse.

Ah silencieuse !

***

Abeja blanca zumbas — ebria de miel — en mi alma
y te tuerces en lentas espirales de humo.

Soy el desesperado, la palabra sin ecos,
el que lo perdió todo, y el que todo lo tuvo.

Última amarra, cruje en ti mi ansiedad última.
En mi tierra desierta eres la última rosa.

Ah silenciosa !

Cierra tus ojos profundos. Allí aletea la noche.
Ah desnuda tu cuerpo de estatua temerosa.

Tienes ojos profundos donde la noche alea.
Frescos brazos de flor y regazo de rosa.

Se parecen tus senos a los caracoles blancos.
Ha venido a dormirse en tu vientre una mariposa de sombra.

Ah silenciosa !

He aquí la soledad de donde estás ausente.
Llueve. El viento del mar caza errantes gaviotas.

El agua anda descalza por las calles mojadas.
De aquel árbol se quejan, como enfermos, las hojas.

Abeja blanca, ausente, aún zumbas en mi alma.
Revives en el tiempo, delgada y silenciosa.

Ah silenciosa !

(Pablo Neruda)

Recueil: Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée suivi des vers du capitaine
Traduction: Claude Couffon et Christian Rinderknecht
Editions: Gallimard

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Tout aussitôt (Louise Labé)

Posted by arbrealettres sur 22 avril 2024




    
Tout aussitôt que je commence à prendre
Dans le mol lit le repos désiré,
Mon triste esprit, hors de moi retiré,
S’en va vers toi incontinent se rendre.

Lors m’est avis que dedans mon sein tendre
Je tiens le bien où j’ai tant aspiré,
Et pour lequel j’ai si haut soupiré
Que de sanglots ai souvent cuidé fendre.

Ô doux sommeil, ô nuit à moi heureuse !
Plaisant repos, plein de tranquillité,
Continuez toutes les nuits mon songe ;

Et si jamais ma pauvre âme amoureuse
Ne doit avoir de bien en vérité,
Faites au moins qu’elle en ait en mensonge

(Louise Labé)

Recueil: Oeuvres poétiques Pernette du Guillet Rymes
Editions: Gallimard

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OÙ IRONS-NOUS… (Alain Borne)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024



Alexey Slusar z3Stn71r7f56io1_500 [1280x768] 

Oh irons-nous m’avez-vous dit ?
Et certes je ne sais ce que vos seins à moi, et à vous mon sexe nous ajouteront.
L’amour ? tout et rien.
Et le faire n’est que peindre un ciel bleu de sommeil après l’orage.

Je ne sais s’il faut aller éteindre ce feu dans un lit ou s’il faut nous tenir l’un devant l’autre comme des cires.
Certes nous ne serons que des sexes froissés et des peaux furieuses l’une de l’autre.
Ou bien : rien que nos regards.
Choisissons entre planer et ramper.

Mon visage, mon visage : quand elles se toucheront, que décideront nos lèvres ?

(Alain Borne)

Illustration: Alexey Slusar

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Nous sommes de trop (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2024



Illustration: Natacha Nikouline
    
Nous sommes de trop.
Ici ou n’importe où :
quelque part nous sommes de trop.
Nous sommes l’excédent
de quelque pierre transversale du destin.

La musique est faite
des foulées d’un adroit animal
qui s’approche et soudain disparaît.
Les paroles sont les spasmes minuscules
d’une herbe menue
qui a trop hâte de pousser
et ne trouve pas son propre soleil,
sa propre pluie.
Les amours ou personne,
les amours avec personne,
ou personne avec ses amours,
sont des orphelins qui tètent
à un sein depuis longtemps épuisé.

Les dieux qui sont tombés,
les dieux qui ne tombent pas
parce qu’ils n’ont jamais été en haut,
la forêt non végétale des dieux,
dialogue uniquement
avec la ligne d’horizon qui nous cerne.

Les mains, qui furent jadis
et les choses qui ne furent jamais
s’ajustent dans ce noeud qui n’emprisonne rien.

Non, il n’y a pas que nous seulement :
tout est de trop.
Ici ou ailleurs.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Un coeur oblique, une voix rauque (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 1 avril 2024




    
Un coeur oblique, une voix rauque,
me sont venus en un lieu où je n’accède pas.
L’un prend le monde de côté,
l’autre le rend par le centre.
Je ne sais quel étrange lien les unit,
d’où je suis moi-même absent.
Je sais seulement que ce monde,
ainsi capté,
ainsi rendu,
forme une île où je ne manque pas moi-même
au sein de cet autre monde qui est mon absence.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Un jour viendra (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024




    

Un jour viendra
où il n’y aura plus à pousser les vitres pour qu’elles tombent,
ni à enfoncer les clous pour qu’ils soutiennent,
ni à marcher sur les pierres pour qu’elles se taisent,
ni à boire le visage des femmes pour qu’elles sourient

Commencera la grande union.
Dieu lui-même apprendra à parler
et l’air et la lumière
entreront dans son antre de craintives éternités

Il n’y aura plus alors de différence
entre tes yeux et ton ventre,
ni entre mes paroles et ma voix.
Les pierres seront comme tes seins
et je ferai mes vers avec les mains
pour que nul ne puisse désormais se méprendre.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Mes mains pleines (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024




    
mes mains
pleines

débordantes

mes mains
comme des seins
gorgés d’un lait
inutile

parce que
se refusent
les mains
auxquelles
pouvoir donner

(Charles Juliet)

Recueil: Pour plus de lumière Anthologie personnelle 1990-2012
Editions: Gallimard

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Paix (Yannis Ritsos)

Posted by arbrealettres sur 20 mars 2024




    

Paix

Le rêve de l’enfant, c’est la paix.
Le rêve de la mère, c’est la paix.
Les paroles de l’amour sous les arbres, c’est la paix.
Quand les cicatrices des blessures se ferment sur le visage du monde
et que nos morts peuvent se tourner sur le flanc et trouver
un sommeil sans grief
en sachant que leur sang n’a pas été répandu en vain,
c’est la paix.

La paix est l’odeur du repas, le soir,
lorsqu’on n’entend plus avec crainte
la voiture faire halte dans la rue,
lorsque le coup à la porte désigne l’ami
et qu’en s’ouvrant la fenêtre
désigne à chaque heure le ciel
en fêtant nos yeux aux cloches lointaines des couleurs,
c’est la paix.

La paix est un verre de lait chaud
et un livre posés devant l’enfant qui s’éveille.
Lorsque les prisons sont réaménagées en bibliothèques,
lorsqu’un chant s’élève de seuil en seuil, la nuit,
à l’heure où la lune printanière sort du nuage
comme l’ouvrier rasé de frais
sort du coiffeur du quartier, le samedi soir
c’est la paix

Lorsque le jour qui est passé
n’est pas un jour qui est perdu
mais une racine
qui hisse les feuilles de la joie dans le soir,
et qu’il s’agit d’un jour de gagné
et d’un sommeil légitime, c’est la paix.

Lorsque la mort tient peu de place dans le coeur
et que le poète et le prolétaire
peuvent pareillement humer le grand oeillet du soir,
c’est la paix.

Sur les rails de mes vers,
le train qui s’en va vers l’avenir chargé de blé et de roses,
c’est la paix.

Mes frères,
au sein de la paix, le monde entier
avec tous ses rêves respire à pleins poumons.
Joignez vos mains, mes frères,
C’est cela, la paix.

(Yannis Ritsos)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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