Étudie bien, ma fille,
ton pays a besoin de celui qui va le construire.
Tu as besoin de café?
De thé?
Tu vas réussir, je suis sûre
tu vas avoir ton diplôme
combien je serai heureuse
je vais te faire une grande fête.
Oui… ingénieur… c’est un beau métier…
Elle est partie au sein de l’université
chargée de stylos et de rêves.
Une de ses chaussures
est revenue dans les mains de sa mère.
(Maram al-Masri)
Recueil: Elle va nue la liberté
Editions: Bruno Doucey
Je te reconnaîtrai aux algues de la mer
au sel de tes cheveux aux herbes de tes mains
Je te reconnaîtrai au profond des paupières
je fermerai les yeux tu me prendras la main
Je te reconnaîtrai quand tu viendras pieds nus
sur les sentiers brûlants d’odeurs et de soleil
les cheveux ruisselants sur tes épaules nues
et les seins ombragés des palmes du sommeil
Je laisserai alors s’envoler les oiseaux
les oiseaux long-courriers qui traversent les mers
Les étoiles aux vents courberont leurs fuseaux
les oiseaux très pressés fuiront dans le ciel clair.
La petite fille ouvrit une porte et se perdit
dans la Tour du Vent
et chemina dans le froid et eut soif
et pleura de peur.
Tour du Vent où chaque cri s’amplifie
interminablement sans rencontrer d’écho.
La petite fille se trouvait dans cette Tour,
dans cette Tour vieille comme mon corps, abandonnée,
seule, en ruine comme mon corps.
Cherche-la dans la Tour, suis-la,
suis les empreintes de son pied menu,
l’odeur de jasmin de ses cheveux
et ses mains qui coulent comme deux ruisseaux
et ses yeux égarés.
Tout ici est bien gardé,
bien caché et prisonnier.
Appelle-la, d’un cri fais s’écrouler le mur,
rends-lui la vie avec ton sang si elle est morte.
Ensuite d’une langue abjecte et triste de chien affamé
j’ai léché son ombre jusqu’à l’effacer
et de mon deuil j’ai insulté le jour
et j’ai traîné mes sanglots sur le sol.
Regarde-moi dans mon coin, les cheveux défaits,
comme un jouet cendreux qui roucoule :
je donne le sein à un petit fantôme
tandis que l’araignée tisse sa toile d’épaisse fumée.
Regarde-moi : j’ai ouvert une porte et je me suis perdue
dans la Tour du Vent.
(Rosario Castellanos)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
Ô vous qui ne tenez pas table ouverte
aux folies de printemps, à la renverse
des robes et des chairs qui s’ébrouent
vous qui vivez reclus dans l’aveugle
hiver des livres et ne touchez seins
croupe toison que dans le foulage
des lettres le velours des vélins
hâtez-vous car bientôt ne toucherez
plus que la nuit et la cendre des choses.
Dans le noeud bleu des veines
que voile une peau tendre
il vit une carte des fleuves ;
combien il désirait
ces courants bleus ! S’y rendre
sans retour désormais !
Au souffle de la bouche
qui effleura son visage
il sut le sel des mers.
Là-bas, une tempête bouge
et, hors des livres des mages,
passe un songe fiévreux.
Les serpents, leurs danses : il sait ;
le venin vint d’une lèvre
quand chantonna la flûte.
Abattu, accablé,
dans le demi-jour lunaire
il rentrait par la suite.
Et combien de ses rêves
dans un sein se sont éteints ;
les rires lui étaient pleurs,
les larmes, elles, étaient gaies.
Le doigt tremblait, discret,
contre le tambourin.
(Jaroslav Seifert)
Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud