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EN FRAPPANT À UNE PORTE (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024




    
EN FRAPPANT À UNE PORTE

J’ai perdu mon père et ma mère,
Mon premier né, bien jeune, hélas !
Et pour moi la nature entière
Sonne le glas.

Je dormais entre mes deux frères ;
Enfants, nous étions trois oiseaux ;
Hélas ! le sort change en deux bières
Leurs deux berceaux.

Je t’ai perdue, ô fille chère,
Toi qui remplis, ô mon orgueil,
Tout mon destin de la lumière
De ton cercueil !

J’ai su monter, j’ai su descendre.
J’ai vu l’aube et l’ombre en mes cieux.
J’ai connu la pourpre, et la cendre
Qui me va mieux.

J’ai connu les ardeurs profondes,
J’ai connu les sombres amours ;
J’ai vu fuir les ailes, les ondes,
Les vents, les jours.

J’ai sur ma tête des orfraies ;
J’ai sur tous mes travaux l’affront,
Aux pieds la poudre, au cœur des plaies,
L’épine au front.

J’ai des pleurs à mon œil qui pense,
Des trous à ma robe en lambeau ;
Je n’ai rien à la conscience :
Ouvre, tombeau.

(Victor Hugo)

Recueil: Les Contemplations
Editions:

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Demain j’aurai le temps (Cesare Pavese)

Posted by arbrealettres sur 28 avril 2024




    
Demain j’aurai le temps
de rentrer en moi-même
et de serrer les dents.

Maintenant,
la vie tout entière,
ce sont les nuages,
les arbres et les rues,
perdues dans le ciel.

(Cesare Pavese)

Recueil: Travailler fatigue La mort viendra et aura tes yeux
Traduction: Gilles de Van
Editions: Gallimard

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Sauvetage (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 20 avril 2024




    
Sauvetage

Si tu n’existais pas,
si tu étais, je ne sais pas,
un tire-bouchon tressé,
une dichotomie entre ton âme et ton corps,
des envies qui restent sur leur faim.
Si tu étais, comment dire,
quelqu’un qui s’ajuste aux limites des jours,
un soupçon,
une tentative.

Si tu n’existais pas,
si tu étais autre chose
avec les mêmes visage, voix et mains,
mais autre chose,
en ma fin de ton compte,
je te traverserais entière,
je briserais tes barrières,
j’irais de ton nord à ton sud en foulant
ta boussole
comme le naufragé qui parcourt des forêts
pour atteindre la mer
et je te peuplerais de mes bateaux,
à la proue de ton essence

j’attendrais
sans aucune hésitation ni délai
le sauvetage.

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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Paix (Yannis Ritsos)

Posted by arbrealettres sur 20 mars 2024




    

Paix

Le rêve de l’enfant, c’est la paix.
Le rêve de la mère, c’est la paix.
Les paroles de l’amour sous les arbres, c’est la paix.
Quand les cicatrices des blessures se ferment sur le visage du monde
et que nos morts peuvent se tourner sur le flanc et trouver
un sommeil sans grief
en sachant que leur sang n’a pas été répandu en vain,
c’est la paix.

La paix est l’odeur du repas, le soir,
lorsqu’on n’entend plus avec crainte
la voiture faire halte dans la rue,
lorsque le coup à la porte désigne l’ami
et qu’en s’ouvrant la fenêtre
désigne à chaque heure le ciel
en fêtant nos yeux aux cloches lointaines des couleurs,
c’est la paix.

La paix est un verre de lait chaud
et un livre posés devant l’enfant qui s’éveille.
Lorsque les prisons sont réaménagées en bibliothèques,
lorsqu’un chant s’élève de seuil en seuil, la nuit,
à l’heure où la lune printanière sort du nuage
comme l’ouvrier rasé de frais
sort du coiffeur du quartier, le samedi soir
c’est la paix

Lorsque le jour qui est passé
n’est pas un jour qui est perdu
mais une racine
qui hisse les feuilles de la joie dans le soir,
et qu’il s’agit d’un jour de gagné
et d’un sommeil légitime, c’est la paix.

Lorsque la mort tient peu de place dans le coeur
et que le poète et le prolétaire
peuvent pareillement humer le grand oeillet du soir,
c’est la paix.

Sur les rails de mes vers,
le train qui s’en va vers l’avenir chargé de blé et de roses,
c’est la paix.

Mes frères,
au sein de la paix, le monde entier
avec tous ses rêves respire à pleins poumons.
Joignez vos mains, mes frères,
C’est cela, la paix.

(Yannis Ritsos)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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Hier encore (Khalil Gibran)

Posted by arbrealettres sur 5 mars 2024



Illustration: Josephine Wall
    
Hier encore je pensais n’être qu’un fragment
frémissant sans rythme dans la sphère de la vie.

À présent je sais que je suis la sphère,
et la vie entière en fragments rythmiques se meut en moi.

(Khalil Gibran)

Recueil: Le sable et l’écume et autres poèmes
Traduction: de l’anglais par Thierry Gillyboeuf et de l’arabe par Elie Dermarkar
Editions: POINTS

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Dans la pénombre (Hans Magnus Enzensberger)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024



Illustration: Claude Bordat
    
Dans la pénombre

Quand elle est étendue ainsi,
si entièrement de ce monde,
telle une vache ou une chatte,
sans intention ni remords,
un halo dans la pénombre nimbe
sa peau diaphane.

Tu peux le sentir, le ressens,
quand tu es suffisamment proche,
ce doux rayonnement
d’infrarouge lointain.
Une série de Fourier
que personne ne déchiffre.

Ce n’est qu’un souffle
qui te caresse plus
qu’il ne te touche,
et ne pas savoir pourquoi,
c’est peut-être cela le bonheur.

***

Im Halbschatten

Wenn sie so, vollkommen diesseits
wie eine Kuh oder eine Katze,
plan- und reuelos daliegt,
umgibt ein Halo im Halbschatten
ihre hellschimmernde Haut.

Du kannst es spüren, fühlst,
wenn du ihr nahe genug bist,
diese weiche Strahlung
im ferneren Infrarot.
Eine Fourier-Entwicklung,
die keiner entziffert.

Es ist nur ein Hauch,
der dich mehr berührt
als die Berührung,
und daß du nicht weißt warum
ist vielleicht das Glück.

(Hans Magnus Enzensberger)

Recueil: L’HISTOIRE DES NUAGES 99 méditations
Traduction: de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Editions: Vagabonde

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LAISSE TOMBER (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Illustration
    
LAISSE TOMBER

Pour que le jour se lève dans une forêt
il faut d’abord que monte à la chaire du monde
un oiseau
pour demander le pain quotidien,
chantant soi-disant.

Qu’un amen aille courir d’arbre en arbre,
soi-disant murmure d’altruisme.
Des blocs de pierre
montera l’encens d’un mea culpa.
En suite de quoi le détail montre son nez
ainsi qu’une certitude : la nuit est derrière nous.

Un peu comme des périscopes se dressent
les têtes des poteaux télégraphiques
à l’affût de nouvelles flottant au loin,
Le buisson ardent sort l’épine de l’étui,
et un sentier bossu
titube et s’écrit.
Les masses d’alentour laissent tomber le masque
et cela t’apaise : on voit nettement
ce qui est Pentélique, ce qui est Hymette
et ce qui reste le nez de la peur.
La couleur de l’olive,
terne et taciturne,
bat des paupières dans les feuilles
et c’est l’occasion de préciser
des yeux de couleur indéfinie comme on dit.
Indécision quotidienne, bien sûr,
qui torture malgré tout.
Dès qu’on peut préciser,
la lumière nous vient tout entière
et sans peine
comme un laisse tomber.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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Hymne au soleil (Edmond Rostand)

Posted by arbrealettres sur 16 février 2024




    
Hymne au soleil

Je t’adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l’amour maternel !

Je te chante, et tu peux m’accepter pour ton prêtre,
Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu
Et qui choisis, souvent, quand tu veux disparaître,
L’humble vitre d’une fenêtre
Pour lancer ton dernier adieu !

Tu fais tourner les tournesols du presbytère,
Luire le frère d’or que j’ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu’on n’ose plus marcher !

Gloire à toi sur les prés! Gloire à toi dans les vignes !
Sois béni parmi l’herbe et contre les portails !
Dans les yeux des lézards et sur l’aile des cygnes !
Ô toi qui fais les grandes lignes
Et qui fais les petits détails!

C’est toi qui, découpant la Sœur jumelle et sombre
Qui se couche et s’allonge au pied de ce qui luit,
De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre,
A chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui !

Je t’adore, Soleil ! Tu mets dans l’air des roses,
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson !
Tu prends un arbre obscur et tu l’apothéoses !
Ô Soleil ! toi sans qui les choses
Ne seraient que ce qu’elles sont !

(Edmond Rostand)

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La première lune d’hiver (Pan Qie Yu)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024



Illustration: Wu Songting   
    
La première lune d’hiver annonce les courants froids
Le vent du nord s’engouffre cruel et tranchant.
J’endure la peine et sais la nuit longue.
Les étoiles hiérarques s’égrènent dans la nuit claire
Au quinzième jour, la lune est pleine
Et au vingtième déjà ses ombres se brisent.
Un voyageur pâle me tend une lettre seule.
J’ai lu au premier vers « amour immortel »
J’ai lu au dernier vers « douleur infinie d’être encore séparés »,
J’ai conservé cette lettre dans les plis de ma robe
Trois ans déjà sont passés mais les mots n’ont pas blanchi.
Je m’offre entière à cette unique ferveur
Et je tremble que jamais tu n’en voies la valeur.

(Pan Qie Yu)

(Ier siècle av. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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Au loin disparu (Su Wu)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024



Illustration
    
Au loin disparu

Le cygne déploie ses ailes agiles et laisse le vent le porter au loin.
Un air vif le rappelle au souci et il tourne la tête, incertain.
Un cheval livre ses pas lourds à la steppe désertée — les siens sont partis.
Son coeur s’enlise dans des pensées interdites comme ses sabots dans la glaise meuble.

Le destin s’abat sans pitié sur deux dragons que leurs ailes opposent.
Il reste pourtant les chants qui savent révéler les amours secrets.
À l’ami qui s’en va, je joins les mots du ruisseau où coulent mes larmes.
L’écho des tambours exalte les vertus mâles et déchire les coeurs des compagnons vaincus.

La solitude des vers alimente le brasier du souvenir
Et plombe mon âme, mon âme brisée dans l’horizon des peines.
J’aimerais pouvoir entonner encore les airs de l’enfance,
Ton pays est loin désormais — il t’ignore jusqu’au trépas.

Le mal me dévisage et il pleut sur les joues des filets d’amertume.
Les cygnes volent leur vie entière deux à deux
Mais pour nous, hommes, qui ne pouvons nous envoler ensemble
Il n’y a que routes mornes aux destins séparés.

(Su Wu)

(140-60 av. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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