MAÎTRE, vous avez dit que dans la sphère du poétique
une brusque saisie suspend les mots, les détruit,
c’est-à-dire les immerge dans un matin
où ils ne se reconnaissent pas eux-mêmes.
Il y a, en effet, un filet
que survole l’impossible oiseau,
mais l’ombre de ce dernier,
oiseau-poisson, humide et palpitante, reste,
enfin, prise au filet.
Et le mot est méconnaissable.
Mot qui a vécu parmi nous.
Mot d’une nature telle
qu’il contient, plus que le sens,
la totalité de l’éveil.
(José Ángel Valente)
Recueil: Trois leçons de ténèbres suivi de Mandorle et de L’éclat
Traduction: Jacques Ancet
Editions: Gallimard
Je sais qu’c’est pas vrai mais j’ai dix ans
Laissez-moi rêver que j’ai dix ans
Ça fait bientôt quinze ans que j’ai dix ans
Ça paraît bizarre mais
… Si tu m’crois pas, hé
Tar’ ta gueule à la récré
… J’ai dix ans
Je vais a l’école et j’entends
De belles paroles doucement
Moi je rigole, cerf-volant
Je rêve, je vole
… Si tu m’crois pas, hé
T’ar ta gueule à la récré
… Le mercredi je m’balade
Une paille dans ma limonade
Je vais embêter les quilles à la vanille
Et les gars en chocolat
… J’ai dix ans
Je vis dans des sphères où les grands
N’ont rien à faire, j’vois souvent
Dans des montgolfières, des géants
Et des petits hommes verts
… Si tu m’crois pas, hé
T’ar ta gueule à la récré
… J’ai dix ans
Des billes plein les poches, j’ai dix ans
Les filles c’est des cloches, j’ai dix ans
Laissez-moi rêver que j’ai dix ans
… Si tu m’crois pas, hé
T’ar ta gueule à la récré
… Bien caché dans ma cabane
Je suis l’roi d’la sarbacane
J’envoie des chewing-gums mâchés à tous les vents
J’ai des prix chez le marchand
… J’ai dix ans
Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans
Laissez-moi rêver que j’ai dix ans
Ça fait bientôt quinze ans que j’ai dix ans
Ça paraît bizarre mais
… Si tu m’crois pas, hé
T’ar ta gueule à la récré
… Si tu m’crois pas, hé
T’ar ta gueule à la récré
… Si tu m’crois pas
T’ar ta gueule
À la récré
T’ar ta gueule
Entre dans mon sanctuaire.
Il vogue sur l’estuaire
Où la mer pénètre à flots
Pour que le reflux t’emporte
Au rythme d’autres galops,
Laisse ton corps à la porte
Plonge dans mes eaux sereines
J’ai des algues souveraines
Qui désagrègent les ans
Et ton âme à leur fragrance
Dans le remous des jusants
S’abreuvera de jouvence
Si tu crains que cette rose
Ne se fane à peine éclose
Certes il ne tient qu’à toi,
A ta rigueur de vestale,
De transmuer dans la foi
En or pur chaque pétale
Si ma lumière irisée
Te paraît trop tamisée
Si trop prompte à se voiler
Sa flamme toujours vacille,
C’est par crainte d’aveugler
Ton regard qui se dessille
Si ma surface habitée
Te paraît trop limitée,
S’il te coûte d’accepter,
Dans ta requête obstinée
S’il t’arrive de heurter
Une porte condamnée,
C’est que n’a pas sonné l’heure
C’est qu’il faut qu’un spectre meure
C’est que pour ouvrir j’attends
Que ton aile soit plus forte
Et qu’au-dessus des étangs
Dans l’éther elle t’emporte
Vers un autre sanctuaire
Sans limite ni frontière
Vaste comme l’univers
Où sans fin, de sphère en sphère,
Tu verras à découvert
Tout s’embraser de lumière.
(Odette Romeu)
Recueil: Sur les rives du Jourdain
Editions: émergences
J’entends que déferlent les eaux, le ciel et les rideaux.
J’entends les feuilles qui éclatent, l’air qui s’essouffle,
le foetus qui vagit, le vent qui force sa pression.
je perçois les déplacements des étoiles et des planètes,
leur grincement léger, rouillé, lorsqu’elles changent de position.
Et la traînée soyeuse des radiations et la respiration des sphères.
(Anaïs Nin)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
La marée montante est l’heure du tirage du loto.
La mer roule galets et coquillages dans sa sphère.
Les numéros gagnants ornent les rebords de fenêtres et les dessus de cheminées.
(Laurent Graff)
Recueil: Au nom de sa majesté
Editions: Le dilettante