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LA VIEILLE AMOUREUSE (Conon de Béthune)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
LA VIEILLE AMOUREUSE

Jadis dans un autre pays
Un chevalier aima une dame.
Tant que la dame fut à son avantage,
Elle lui refusa son amour,
Jusqu’au jour où elle lui dit : « Ami,
Je vous ai longtemps amusé par mes paroles ;
Or votre amour est connu et prouvé,
Désormais, je serai toute à votre gré. »

Le chevalier la regarda bien en face,
Il la vit pâle et décolorée.
« Dame, fait-il, je n’ai pas de chance
Que dès l’autre année, vous n’ayez eu cette pensée.
Votre beau visage qui ressemblait à la fleur de lis
Me paraît avoir tellement changé de mal en pis
Qu’il m’est avis que vous n’êtes plus la même à mes yeux.
Vous avez pris bien tard cette décision, madame. »

Quand la dame s’entendit railler de cette manière,
Elle en eut honte, et elle dit étourdiment :
« Par Dieu, vassal, croyez-vous qu’on doive vous aimer
Et que je parle sérieusement ?
Cela ne m’est pas venu à l’esprit.
Jamais je n’aurai daigné vous aimer
Vu que vous avez souvent plus grande envie
D’embrasser un bel adolescent. »

– Madame, j’ai bien ouï parler
De votre beauté, mais ce n’est pas d’aujourd’hui.
J’ai ouï conter de Troie
Que cette ville fut jadis de très grande puissance,
Et maintenant on en trouve à peine l’emplacement.
Pour ce, je vous conseille d’excuser
Que soient accusés de tricherie
Ceux qui désormais ne voudront vous aimer. »

– Vassal, vous avez eu une fâcheuse idée
De me reprocher mon âge ;
Si ma jeunesse est tout à fait passée,
Je suis d’autre part riche et de haut parage ;
On m’aimerait avec un peu de beauté.
Il n’y a pas un mois
Que le marquis m’envoya son messager
Et le Barrois a jouté pour l’amour de moi. »

– Par Dieu, dame, cela doit bien vous ennuyer
De regarder toujours à la haute situation.
On n’aime pas une dame pour sa parenté,
Mais on l’aime quand elle est belle et sage ;
Vous en saurez un jour la vérité :
Car il y en a bien cent qui ont jouté pour l’amour de vous,
Qui, fussiez-vous la fille du roi de Carthage,
Ne le voudraient plus aujourd’hui. »

(Conon de Béthune)

Recueil:
Traduction: André Mary
Editions:

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On voit mourir toute chose animée (Louise Labé)

Posted by arbrealettres sur 22 avril 2024



Illustration: Ernest Pignon-Ernest
    
On voit mourir toute chose animée
Lors que du corps l’âme subtile part.
Je suis le corps, toi la meilleure part :
Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?

Ne me laissez par si long temps pâmée,
Pour me sauver après viendrais trop tard.
Las ! ne mets point ton corps en ce hasard :
Rends-lui sa part et moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre et revue amoureuse,
L’accompagnant, non de sévérité,

Non de rigueur, mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à présent favorable.

(Louise Labé)

Recueil: Oeuvres poétiques Pernette du Guillet Rymes
Editions: Gallimard

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Le centre n’est pas un point (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2024




    
    
Le centre n’est pas un point.
Sinon il serait facile de l’atteindre.
Il n’est pas même la réduction d’un point à son infini.

Le centre est une absence
de point, d’infini et même d’absence
et ne s’atteint que par l’absence.

Regarde-moi après t’en être allé,
bien que je reste là quand je m’en vais.
Le centre m’a appris maintenant
à ne pas être en un lieu,

mais plus tard le centre sera ici.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Tout hasard (Wislawa Szymborska)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024




    
Tout hasard

Cela a pu arriver. Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin. Pas à toi.

Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c’était à gauche. Car c’était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l’ombre.
Car le temps était ensoleillé.

Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n’y avait pas d’arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l’eau.

Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu du concours de circonstances.
Tu es encore là? Sorti d’un instant encore entrouvert?
Le filet n’avait qu’une maille et toi tu es passé au travers?

Je ne puis assez m’étonner, me taire.
Écoute
comme ton coeur me bat vite.

(Wislawa Szymborska)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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VOEU (Federico Garcia Lorca)

Posted by arbrealettres sur 23 février 2024




    

Coeur
avec sept poignards!
Comme il est tard!
Va-t-en sur la route
des cris.
Va-t-en
nulle part.
Fleur de jamais.
Au vent,
au vent.
Ah! le coeur
avec sept poignards!

***

VOTO

¡ Corazón
con siete puñales !
¡ Ya es tarde !
Vete por el camino
de los ayes.
Vete
a ninguna parte.
Flor de nunca.
Por el aire,
por el aire.
¡ Ay corazón
con siete puñales !

(Federico Garcia Lorca)

Recueil: Romancero gitan Poème du chant profond
Traduction: Claude Esteban
Editions: Aubier

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Tremble mon âme (Frankétienne)

Posted by arbrealettres sur 20 février 2024



Illustration: Jean-Marie Holterbach
    
Tremble mon âme sous la douleur de l’éveil,
la lourde immobilité d’un corps
indocile aux injonctions du soleil,
imperméable aux invectives de la foudre.

Toute écorchure mon oreille si sensible
aux respirations du temps présent
que j’écoute mourir doucement
les langoureux glissements d’un long soupir
qui plus tard en souvenir
sera devenu plaisir morbide.

(Frankétienne)

Recueil: Anthologie secrète
Editions: Mémoire d’encrier

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À la toute fin (Constantin Cavafis)

Posted by arbrealettres sur 29 décembre 2023




    
À la toute fin

En proie aux craintes et aux doutes,
l’esprit troublé et les yeux apeurés,
nous n’avons de cesse de chercher à échapper
à la certitude du danger, à sa terrible menace.
Nous faisons erreur, pourtant, car ce n’est pas lui
qui est là devant nous ; les messages étaient erronés
(ou bien nous n’avons pas entendu, ou les avons mal compris).
Voici qu’une autre catastrophe, que nous n’aurions pu imaginer,
fond soudain sur nous, brutalement, sans prévenir
— il est trop tard, maintenant — et nous emporte.

(Constantin Cavafis)

Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers

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HIER (Jean-Louis Rambour)

Posted by arbrealettres sur 5 décembre 2023



HIER

C’était hier
Comme un cheval
Qui brisa l’étrier,
Nous avons vu sa crinière
Refuser d’aller avec le vent,
Puis rapportée beaucoup plus tard
Par Ulysse, dans une outre.

Je n’ai pas de regrets.

(Jean-Louis Rambour)

 

 

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Souviens-toi (Christina Rossetti)

Posted by arbrealettres sur 22 novembre 2023



Christina Rossetti

Illustration: Dante Gabriel Rossetti
    
Souviens-toi

Souviens-toi de moi quand je serai partie
Partie bien loin au pays du silence ;
Quand tu ne pourras plus me tenir la main,
Ni moi choisir de partir ou rester.

Souviens-toi de moi quand tu ne me parleras plus
Jour après jour de tes projets pour notre avenir :
Souviens-toi simplement de moi ; tu comprends
Qu’il sera alors tard pour les conseils ou les prières.

Pourtant, si tu devais m’oublier un temps,
Puis te souvenir, ne sois pas triste :
Car si dans l’obscurité et la décomposition subsiste
Un vestige des idées qui furent les miennes,

Mieux vaut que tu oublies en souriant
Plutôt que de te souvenir en pleurant.

(Christina Rossetti)

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BOIRE POUR OUBLIER L’INFIDÈLE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 18 novembre 2023




    
BOIRE POUR OUBLIER L’INFIDÈLE

1

J’aime la jeune Sophie,
Mais d’un amour sans égal.
L’infidèle m’a trahi
En me donnant un rival.
Pour lui prouver ma constance
Je la voyais tous les jours
Je vivais dans l’ignorance
Que le sexe a de détours.

2

Je la croyais si sincère
Que je ne lui cache rien.
Le tendre nom de ma chère
Etait mon seul entretien.
Mais la cruelle Sophie
Vient de me jouer un tour.
Je n’oublierai de ma vie
Un aussi mauvais tour.

3

Le propre jour de sa fête
En lui portant un bouquet,
Je l’aperçus tête à tête
Avec un jeune cadet.
Il arrange sa frisure
Lui présentant son miroir.
Il retroussa sa coiffure
Jugez de mon désespoir.

4

Je lui dis « Belle Sophie
Je vous apporte une fleur.
Acceptez la je vous prie
Je vous l’offre de bon cœur ».
D’un petit ton d’arrogance
Elle le prit de ma main
En faisant la révérence
avec un air de dédain.

5

Je lui fais des durs reproches
Je ne pouvais plus tenir :
Cœur perfide, coin de roche
Tu veux me faire mourir
Tu m’as fait la promesse
De m’aimer jusqu’au trépas.
Je m’aperçois bien traîtresse
Que tu me fais un faux pas.

6

Rends moi, cruelle Sophie
Cette bague, ce clavier.
Elle, sans cérémonie,
Sans trop se faire prier,
Mes effets elle m’apporte.
Je les pris sans compliment.
Aussitôt je les emporte,
Un autre en eut fait autant.

7

Ah qu’un jeune homme est à plaindre !
Ah que le sexe est trompeur !
Que les filles sont à craindre,
Avec leurs airs enchanteurs
A présent je me méfie.
Il vaut mieux tard que jamais.
Je renonce pour la vie
A tous leurs charmants attraits.

8

Dorénavant je veux suivre
L’aimable dieu des raisins.
Dès aujourd’hui je m’enivre
Est-il plus heureux destin ?
Enrôlons nous camarade
Sous l’étendard de Bacchus
Allons boire des rasades,
Et renonçons à Vénus.

(Chansons du XVIIIè)

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