Posts Tagged ‘(Constantin Cavafis)’
Posted by arbrealettres sur 10 mars 2024
DANS L’ATTENTE DES BARBARES
—Qu’attendons-nous, rassemblés sur la place ?
—C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares.
—Pourquoi, au Sénat, cette inertie ?
Que font les Sénateurs à ne pas légiférer ?
—C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares.
Quelles lois passeraient les Sénateurs ?
Les Barbares, installés, les voteront.
— Pourquoi l’Empereur, levé si tôt,
trône-t-il en grande pompe
à la porte principale de la ville, couronne en tête ?
—C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares.
L’Empereur s’apprête à recevoir leur chef ;
il lui a même préparé un parchemin
lui octroyant honneurs et titres.
— Pourquoi nos deux Consuls et nos prêteurs
arborent-ils toge pourpre et brodée ?
Pourquoi portent-ils bracelets d’améthyste
et bagues d’émeraude ?
Pourquoi brandissent-ils leurs cannes argent et or ?
— C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares,
et ces objets-là éblouissent les Barbares.
— Pourquoi nos savants rhéteurs
rie déclament-ils pas leurs discours, comme d’habitude ?
— C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares,
et ils n’aiment ni phrases ni discours.
— Pourquoi soudain ce désarroi, cette inquiétude ?
Comme ils sont graves, les visages !
Pourquoi les rues, les places, se vident-elles,
et que chacun rentre chez soi, pensif ?
— C’est que la nuit tombe déjà
et les Barbares ne sont pas venus.
Des hommes, arrivés de la frontière,
disent qu’il n’y a point de Barbares.
— Qu’allons-nous devenir sans les Barbares ?
C’était une solution, en un sens, ces gens-là.
(Constantin Cavafis)
Illustration
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Illustration: Henri Eisenberg
Lorsqu’elles s’éveillent
Efforce-toi de les conserver, poète,
même s’il en est peu qui se laissent capturer,
les visions de ton amour sensuel.
Glisse-les, à moitié cachées, dans tes phrases.
Efforce-toi de les conserver, poète,
lorsqu’elles s’éveillent dans ton cerveau,
la nuit, ou dans l’éclat du midi.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Illustration: Edvard Munch
Mer matinale
Qu’ici je m’arrête.
Et qu’à mon tour je regarde un peu la nature.
D’une mer matinale et d’un ciel sans nuages
les bleus resplendissants ; le jaune rivage.
Tout cela beau et baigné de lumière.
Qu’ici je m’arrête, pour me donner à croire
que je les vois, ces choses (ne les ai-je pas vues en arrivant ?),
elles, et non plus mes chimères,
mes souvenirs, les fantômes du plaisir.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Illustration: Jean-Baptiste Valadie
Une nuit
La chambre était pauvre et ordinaire,
blottie au-dessus d’un bar douteux.
Par la fenêtre, la ruelle,
étroite et crasseuse. D’en bas
montaient les voix de quelques ouvriers .
qui jouaient aux cartes et s’en donnaient à coeur joie.
Et là, sur le lit humble et banal,
j’ai eu le corps de l’amour, j’ai eu les lèvres
voluptueuses et roses d’ivresse —
roses d’une telle ivresse qu’à l’heure même
où j’écris, après tant d’années,
dans ma maison déserte, j’en suis ivre à nouveau.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Illustration: Pascal Renoux
Il se jure
Il se jure régulièrement inaugurer une vie meilleure.
Mais lorsque vient la nuit avec ses invites,
avec ses consentements et ses promesses ;
Mais lorsque vient la nuit avec sa force propre,
celle du corps qui exige et réclame,
il s’élance à nouveau, éperdu, vers la même joie fatale.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Si loin
Je voudrais l’évoquer, ce souvenir…
Mais il s’est effacé,
rien n’en reste pour ainsi dire
— C’est si loin,
c’est dans ma première adolescence qu’il repose.
Une peau qu’on eût dite de jasmin…
En cet août de jadis
— mais était-ce août ? —
le soir…
Quant aux yeux, c’est à peine…
Ils étaient bleus, je crois…
Ah ! oui, bleus…
bleu saphir.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Je m’en suis allé
Je n’ai rien fait pour m’enchaîner.
Je me suis laissé emporter, m’en suis allé.
Vers des jouissances mi-réelles mi-fomentées par ma cervelle,
je m’en suis allé dans la nuit illuminée.
Et j’ai bu des vins forts,
comme en boivent ceux qui vont au plaisir d’un coeur entier.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023
Illustration: Pascal Renoux
Reviens
Reviens souvent me prendre,
sensation que j’aime, reviens me prendre —
quand du corps s’éveille la mémoire,
quand un désir ancien tressaille à nouveau dans le sang,
quand se souviennent la peau, les lèvres,
quand les mains croient sentir, croient toucher à nouveau.
Reviens souvent me prendre dans la nuit,
quand se souviennent la peau, les lèvres…
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 29 décembre 2023
À la toute fin
En proie aux craintes et aux doutes,
l’esprit troublé et les yeux apeurés,
nous n’avons de cesse de chercher à échapper
à la certitude du danger, à sa terrible menace.
Nous faisons erreur, pourtant, car ce n’est pas lui
qui est là devant nous ; les messages étaient erronés
(ou bien nous n’avons pas entendu, ou les avons mal compris).
Voici qu’une autre catastrophe, que nous n’aurions pu imaginer,
fond soudain sur nous, brutalement, sans prévenir
— il est trop tard, maintenant — et nous emporte.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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Posted by arbrealettres sur 29 décembre 2023
Illustration: Gilbert Garcin
Monotonie
Un jour monotone, puis un autre,
monotone, tout pareil.
Les mêmes choses viendront, viendront encore.
Pareils, les instants nous prennent, et nous laissent.
Un mois passe, en amène un autre.
On devine sans peine ce qui vient :
les choses d’hier, les choses routinières.
Et le lendemain n’a même plus l’air d’un lendemain.
(Constantin Cavafis)
Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers
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