Si tu m’encages
J’aurai un amant au dos lisse
Aux hanches adolescentes
Aux muscles comme un tambour
Aux lèvres cruelles
Un amant qui aura quarante ans
Toute son enfance
Et bien plus
Nous séparera
Mais nous nous raconterons
De la littérature
Si tu m’encages
Nous nous apprendrons
A faire l’amour
Et je le partagerai
Avec ses maîtresses
Parce qu’il ne m’aimera pas
Et moi non plus.
Si tu m’encages
N’oublie pas
J’aurai un amant au dos lisse
(Denise Jallais)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Traduction:
Editions: Marabout
Depuis qu’Amour cruel empoisonna
Premièrement de son feu ma poitrine,
Toujours brûlai de sa fureur divine,
Qui un seul jour mon coeur n’abandonna.
Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menace et prochaine ruine,
Quelque penser de mort qui tout termine,
De rien mon coeur ardent ne s’étonna.
Tant plus qu’Amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir,
Et toujours frais en ses combats fait être;
Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,
Lui qui méprise les dieux et les hommes,
Mais pour plus fort contre les forts paraître.
Je sens un rythme en moi qui se détache
De ce vacarme où je vais sans chemin
Et m’accordant au charme neuf, soudain
J’accède à la clarté d’une terrasse,
Où quelque main me guide et vient tracer
Limpide un ordre où je puis me déprendre
Du démon murmurant plus malicieux
Que le silence pur sous la menace.
Et se rejoignent maintenant à la surface
Du mauvais songe les paroles résolues
À s’éclairer lucides en un volume.
Le son m’invente une effigie de chair.
La forme redevient ma sauvegarde.
Vers un soleil mes peines se consument.
Cantique, 1950. Trad. : Éditions Gallimard, 1995.
***
HACIA EL POEMA JORGE GUILLÉN
… Mi corazôn de trovar non se quita.
JUAN RUIZ.
Siento que un rimo se me desenlaza
De este barullo en que sin meta vago,
Y entregándome todo al nuevo halago
Doy con la claridad de una terraza,
Donde es mi guía quien ahora traza
Limpido el orden en que me deshago
Del murmullo y su duende, más aciago
Que et gran silencio bajo la amenaza.
Se me juntan a flor de tanto obseso
Mal soñar las palabras decididas
A iluminarse en vivido volumen
El son me da un perfil de carne y hueso.
La forma se me vuelve salvavidas.
Hacia una luz mis penas se consumen.
(Jorge Guillén)
Recueil: Petite anthologie Poésie européenne
Traduction:
Editions: Singulières
L’amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c’est bien en vain qu’on l’appelle
S’il lui convient de refuser
Rien n’y fait, menace ou prière
L’un parle bien, l’autre se tait
Et c’est l’autre que je préfère
Il n’a rien dit, mais il me plaît
L’oiseau que tu croyais surprendre
Battit de l’aile et s’envola
L’amour est loin, tu peux l’attendre
Tu ne l’attends plus, il est là
Tout autour de toi, vite, vite
Il vient, s’en va, puis il revient
Tu crois le tenir, il t’évite
Tu crois l’éviter, il te tient
L’amour est enfant de bohème
Il n’a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Et si je t’aime, prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m’aimes pas, si tu ne m’aimes pas, je t’aime
Prends garde à toi
Mais si je t’aime, si je t’aime, prends garde à toi
Oh amour, rayon fou, oh menace de pourpre
tu viens me voir, grimpant par ton frais escalier
au château que le temps a couronné de brumes,
à mon coeur enfermé dans ses pâles murailles.
Personne ne saura que la seule douceur
fit peu à peu des cristaux durs comme des villes,
que le sang a ouvert d’infortunés tunnels
sans que sa monarchie ait surmonté l’hiver.
C’est pour cela, amour, que ta bouche, ta peau,
ta lumière et tes peines sont le patrimoine
vivant, dons sacrés de la pluie, de la nature
dont l’accueil fait lever la promesse du grain,
la tempête du vin secrète dans les caves,
le flamboiement souterrain de la céréale.
***
Oh amor, oh rayo loco y amenaza purpúrea,
me visitas y subes por tu fresca escalera
el castillo que el tiempo coronó de neblinas,
las pálidas paredes del corazón cerrado.
Nadie sabrá que sólo fue la delicadeza
construyendo cristales duros como ciudades
y que la sangre abría túneles desdichados
sin que su monarquía derribara el invierno.
Por eso, amor, tu boca, tu pie, tu luz, tus penas,
fueron el patrimonio de la vida, los dones
sagrados de la lluvia, de la naturaleza
que recibe y levanta la gravidez del grano,
la tempestad secreta del vino en las bodegas,
la llamarada del cereal en el suelo.
Je traverse tes bras, ton murmure,
Je traverse ce sourire
Que je flatte dans mes nuits.
Chacun de mes pas menace
L’empreinte de ma joie,
Qui descend dans mon amour
Comme une boule brûlante,
Je suis loin déjà
Que ma crainte dure encore,
Et que tu souris
Quand je n’ai pas su t’aimer !
Oh tu pleures. Silence obscur larme perdue
Et fleur de la maison sous le nuage noir
Et la menace de la mort d’antique nue
Le drapeau de la honte avec le ciel du soir,
Tu pleures. Des brillants descendent sur ta pierre
Et touchent à ton sein. Les miracles lointains
Sont errants et l’amour voit périr ta paupière
O toi qui inspirais le poète prochain
Dans une odeur de bois augustes et de livres
Regardant des trésors par d’anciens carreaux
Mère de notre amour et Vierge qui ne livres
Pas le secret de liberté mystique et beau
Mais conserves l’hymen sous la robe de pierre
Et rêves l’éternel pardon comme du lierre.