Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘deuil’

L’enfant du garde (René Guy Cadou)

Posted by arbrealettres sur 9 Mai 2024



 

Otto Dix Painting 012 [1280x768]

L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents

Si vous allez au fond du parc
Évitez de tirer de l’arc

La jeune fille du château
Y fait voler robe et chapeau

Elle a des bras des bras des bras
On dirait branches de lilas

Ses yeux d’eau vive son grand deuil
La font pareille à un chevreuil

L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents

Mangez à deux la soupe chaude
Et permettez que je me sauve

Permettez que je la rejoigne
Voici le temps qu’elle se peigne

Agenouillé dans l’herbe haute
Aimer ainsi serait-ce faute ?

L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents.

(René Guy Cadou)

Illustration: Otto Dix

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 Comment »

Presque hors du ciel (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 26 avril 2024



Illustration: Silvia Leveroni Calvi
    
Presque hors du ciel jette l’ancre entre deux montagnes
la moitié de la lune.
Tournante, errante nuit, la terrassière des yeux.
Que d’étoiles en morceaux à voir dans la flaque.

Elle fait une croix de deuil entre mes sourcils, elle fuit.
Forge de métaux bleus, nuits des luttes silencieuses,
mon coeur tourne comme un volant fou.
Petite venue de si loin, amenée de si loin,
parfois fulgure son regard sous le ciel.

Plainte incessante, tempête, tourbillon de furie,
traverse sur mon coeur, sans t’arrêter.
Ô vent des sépulcres charrie, détruis,
disperse ta racine somnolente.

Déracine les grands arbres de l’autre côté d’elle.
Mais toi, claire petite, question de fumée, épi.
Elle était celle que formait peu à peu le vent
avec des feuilles illuminées.

Derrière les montagnes nocturnes, blanc lys d’incendie,
ah je ne peux rien dire !
Elle était faite de toutes les choses.

Désir violent, toi qui me fendis la poitrine à coups de couteau,
il est l’heure de suivre un autre chemin,
où elle ne sourira pas.

Tempête qui enterra les cloches,
trouble et nouvel essor des tourments
pourquoi la toucher maintenant,
pourquoi l’attrister.

Suivre hélas le chemin qui s’éloigne de tout,
où ne taillade pas l’angoisse, la mort, l’hiver,
avec ses yeux ouverts parmi la rosée.

***

Casi fuera del cielo ancla entre dos montañas la mitad de la luna.
Girante, errante noche, la cavadora de ojos.
A ver cuántas estrellas trizadas en la charca.

Hace una cruz de luto entre mis cejas, huye.
Fragua de metales azules, noches de las calladas luchas,
mi corazón da vueltas como un volante loco.
Niña venida de tan lejos, traída de tan lejos,
a veces fulgurece su mirada debajo del cielo.
Quejumbre, tempestad, remolino de furia,
cruza encima de mi corazón, sin detenerte.

Viento de los sepulcros acarrea, destroza, dispersa tu raíz soñolienta.
Desarraiga los grandes árboles al otro lado de ella.
Pero tú, clara niña, pregunta de humo, espiga.
Era la que iba formando el viento con hojas iluminadas.
Detrás de las montañas nocturnas, blanco lirio de incendio,
ah nada puedo decir! Era hecha de todas las cosas.

Ansiedad que partiste mi pecho a cuchillazos,
es hora de seguir otro camino, donde ella no sonría.
Tempestad que enterró las campanas, turbio revuelo de tormentas
para qué tocarla ahora, para qué entristecerla.

Ay seguir el camino que se aleja de todo,
donde no esté atajando la angustia, la muerte, el invierno,
con sus ojos abiertos entre el rocío.

(Pablo Neruda)

Recueil: Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée suivi des vers du capitaine
Traduction: Claude Couffon et Christian Rinderknecht
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Que cherches-tu (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024



Illustration: Silvia Leveroni Calvi
    
Que cherches-tu
Tu avances erres te traînes renonces repars rebrousses chemin tournes en rond
Ton oeil empli par la nuit tu cherches le lieu
Le lieu où tu serais rassasié
Où se déploierait la réponse
Où bouillonnerait la source
Tu ne sais que marcher
La nuit et la peur te harcèlent
Et aussi la soif
Mais à chaque pas la hantise de faire fausse route
D’accroître encore la distance
Tu cherches le lieu
Le lieu et le nom
Le nom qui saurait tout dire de ce en quoi consiste l’aventure

Tu ne sais où tu vas ni ce que tu es ni même ce que tu désires mais tu ne peux t’arrêter
Et tu progresses
À moins que tu ne t’éloignes
Sans fin tu erres te traînes rampes tournes en rond
Et tu renonces
Et tu repars
Jusqu’à n’être plus qu’épuisement

Survient l’instant où tu dois faire halte
Faire ton deuil du lieu et du nom
Et à l’invitation de la voix définitivement tu renonces t’avoues vaincu
Alors que tu découvres que tu auras chance de trouver ce que tu cherches
si précisément tu ne t’obstines pas à le chercher

Tu repars
Des forces nouvelles te sont venues
Ton oeil qui s’écarquille n’est plus dévoré par la soif
Tu ne sais où tu vas mais tu connais ce que tu es

Tu avances d’un pas tranquille désormais convaincu que le lieu se porte à ta rencontre
Le lieu où mûrir l’hymne la strophe le nom
Où jouir enfin de ce qui s’est jusque-là dérobé

(Charles Juliet)

Recueil: Pour plus de lumière Anthologie personnelle 1990-2012
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

NEIGE (Ludovic Janvier)

Posted by arbrealettres sur 4 mars 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
NEIGE

Neige dehors neige dedans
neige lente sur les frissons
neige noire à crever les yeux
pas un humain qui vous réponde
il doit leur neiger sur la voix
est-ce que tout le monde est mort
est-ce que je suis le dernier vivant
enfoui sous quelques flocons de rien
(posant le rien tout autour je veux dire)
corrompu jusqu’à l’os par le deuil et le froid
car il neige à n’en plus finir
de plein fouet sur le chagrin
comme autrefois doucement sans pardon
neige légère à serrer le coeur
neige lourde à tuer le temps
c’est bien l’éternité comme prévu
qui précipite exactement sur moi
c’est tout simple il ne fallait pas naître

(Ludovic Janvier)

Recueil: La mer à boire
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Au lendemain des funérailles (Jean-Baptiste Para)

Posted by arbrealettres sur 19 janvier 2024



    

Au lendemain des funérailles, on commence à pétrir.
Le rituel du deuil exige que l’on cuise du pain.
La famille distribuera cette manne dans le village et les bergeries.

Des yeux rougis de sa mère, une larme tombe dans la farine.
Sur la chemise de son père, la sueur forme une croûte salée.

« Et s’il y avait autant de miches dans le four que de mots dans un livre ?
Alors j’écrirai un livre et ce sera mon offrande», dit l’enfant.

(Jean-Baptiste Para)

 

Recueil: La faim des ombres
Traduction:
Editions: Obsidiane

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 Comment »

La Jeune Veuve (Isaac de Benserade)

Posted by arbrealettres sur 10 janvier 2024



Illustration: Tony Johannot
    
La Jeune Veuve.

Un jeune homme bien fait, par moi t’est préparé,
Dit un père à sa fille, au deuil qui la consomme,
Pleurant son époux mort : quand elle eut bien pleuré,
À la fin elle dit : mon père, et le jeune homme ?

Qu’au nom d’un autre époux, la belle ouvrant l’oreille,
Perde le souvenir de son premier mari,
Et cesse de pleurer, ce n’est grande merveille :
Il n’est veuve en ces lieux, qui dans tel cas n’eût ri.

(Isaac de Benserade)

 

Recueil: Fables
Editions:

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Chanson (Peire de Rogiers)

Posted by arbrealettres sur 20 septembre 2023




    
Chanson

Douce amie, je n’en peux plus,
Je vous quitte le coeur lourd.
En vrai deuil de vous je pleure.
De ne point vous embrasser
M’est un bien cruel tourment
Quand d’Amour je me sépare !

Vous connaissez ma passion,
Je n’ai jamais tant aimé.
Pour vous le faire savoir
Je n’ai point de messager.
Je pars. Je vous recommande
À Dieu, Seigneur des Esprits.

Comment donc ne point souffrir
De voir notre union s’éteindre ?
Je vais en pays lointain.
Plutôt que figue et châtaigne
Dans la chaleur du vallon
Mieux me valent froids et monts.

Là-bas, triste, mon corps va
Mais mon esprit reste là
J’ai tant froncé les sourcils
Que la racine m’en brûle.
Qui nous sépara fit mal,
Plus jamais n’aurai d’amie.

Quand le sommeil me prendra
e serai certes guéri
S’il me ramène vers elle
Sous l’aspect d’une perdrix.
Ah ! baiser l’arc de ses yeux,
Ses joues, aux frais coloris.

Au loin douceur m’est brûlure,
Bel accueil m’est insultant,
Abondance m’est famine
Et le jour profonde nuit.
Ma jeunesse se flétrit,
J’en ai douleur et tristesse.

———–
La fin du texte manque

(Peire de Rogiers)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

RETOUCHE AU BLANC (Daniel Boulanger)

Posted by arbrealettres sur 24 juillet 2023



 

enterrement_

RETOUCHE AU BLANC

Les chaises de la chambre s’entassent à la fenêtre;
un corbillard passe, suivi d’un chien en deuil. Le jour
n’a pas de source et l’heure est en arrêt. Celui qui
s’en va n’entend aucun reproche, aucun sanglot. A
peine distingue-t-on dans les hautes roues luisantes
la géométrie d’une fleur.

(Daniel Boulanger)

 

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Mon dernier cheval (Bernard Dimey)

Posted by arbrealettres sur 3 juillet 2023



Illustration: ArbreaPhotos
    
Mon dernier cheval

Je n’ai pour chevaucher au hasard de mes jours
Qu’un vieux carcan blessé qui boite et qui s’essouffle,
Vraiment ce qu’on appelle un cheval de retour,
Qui s’est brisé l’échine à porter des maroufles.

Je n’ai que sa carcasse et la mienne et je sais
Que pour aller très loin c’est bien peu pour un homme
Dont le courage est mort et le reste est brisé ;
Le présent me fatigue et l’avenir m’assomme.

Je n’ai pour subsister que trois fois rien d’orgueil
Qui se bat comme il peut mais qui ne peut plus guère.
Des châteaux à venir j’ai déjà fait mon deuil,
Mon cheval est trop vieux pour faire encor’ la guerre.

Il a voyagé loin, son squelette est faussé,
S’il se repose une heure il est couvert de mouches.
Le faire aller plus loin me semble bien risqué,
Avec un mort en selle et l’autre dans la bouche.

Je sais qu’il va se perdre à la croix des chemins,
Qu’il va s’agenouiller et me laisser par terre,
Peut-être cette nuit, ou peut-être demain…
Ne faites qu’un seul trou et rabattez la terre.

(Bernard Dimey)

Recueil: Le milieu de la nuit
Editions: Christian Pirot

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

DÉVOTION (Georg Trakl)

Posted by arbrealettres sur 30 juin 2023



 
    

DÉVOTION

Ce qui de mes jeunes années n’est pas perdu
Est calme dévotion à un son de cloches,
Aux autels crépusculaires de toutes les églises
Et aux ciels vastes de leurs coupoles bleues.

A la mélodie vespérale d’un orgue,
A l’écho assombri des grandes places,
Et au clapotement d’une fontaine,léger
Et doux, comme un balbutiement incompris d’enfant.

Je me vois joindre les mains et rêver en silence,
Chuchoter des prières depuis longtemps oubliées,
Et une tristesse précoce enténébrer mon regard.

Alors s’éclaire parmi des formes confuses
Une image de femme, voilée de deuil obscur,
Et verse en moi le calice des frissons impies.

(Georg Trakl)

Recueil: Oeuvres complètes
Traduction: de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »