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Poésie

Posts Tagged ‘guérir’

Quand tu contemples une rose (Mahmoud Darwich)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



Quand tu contemples une rose
qui a blessé un mur et que tu te dis :
J’ai bon espoir de guérir du sable,
ton cœur verdit…

Quand, par une journée belle comme une icône,
tu accompagnes une femme au cirque
et que tu es convié à la danse des chevaux,
ton cœur rougit…

Quand tu comptes les étoiles, que tu te trompes
après la treizième et que tu t’assoupis
comme l’enfant
dans la bleuité de la nuit,
ton cœur blanchit…

Quand tu marches et
que tu ne
trouves pas
le songe
allant devant toi comme l’ombre,
ton cœur jaunit…

*

When You Gaze Long

When you gaze long at a rose
that has wounded a wall, you say to yourself:
I hop e for a cure ftom the sand.
Your heart turns green…

When you take a woman to the circus,
a woman whose day is lovely as an icon…
and you dismount like a guest to the horse’s prance.
your heart turns red…

When you count the stars, and make a mistake after
thirteen, and you doze like a child
in the blue of the night,
your heart turns white…

When you journey, and do not find the dream
that walks before you like a shadow,
your heart turns yellow…

(Mahmoud Darwich)

Découvert ici: https://schabrieres.wordpress.com/

Illustration

 

 

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Ah, ces cloches du dimanche (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 30 janvier 2024




    
Ah, ces cloches du dimanche,
nous les avons trop écouté ensemble.
Amiens

Puissante mémoire, impossible réveil
aux plages de l’oubli

soif inapaisable, insomnieux sommeil
entre silence et gris

peur de raviver le visage immortel
d’un dieu déjà péri

désir de guérir ses brûlures du ciel
en refusant midi

volonté de courir au bout du tunnel
mais vers un jour pâli

ombre sans nom où s’enlise le soleil
et qui n’est pas la nuit

en toi je veille
et fuis.

(Robert Mallet)

 

Recueil: Quand le miroir s’étonne suivi de Silex éclaté et de L’espace d’une fenêtre
Editions: Gallimard

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CHANT DANS LA NUIT (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



    

CHANT DANS LA NUIT

Le genre humain souffre d’une triple maladie :
la naissance, la vie et la mort.
(Saint Bernard)

Trois peines sont autour de nous :
Naître, vivre, mourir au bout.

Trois misères ouvrent leur bec
Livide pour nous boire avec.

Trois heures attendent, trois nuits,
Pour jeter nos pieds dans leur puits,

Trois gouffres pour tomber dedans…
Pourtant j’ai dans le coeur, pourtant

J’ai dans le coeur un fol chemin
Pour nous enfuir du sort humain.

J’ai dans le coeur — et vous aussi —
Une aile pour sortir d’ici…

J’ai dans le coeur un grand Amour
Qui de la terre fait le tour;

Qui vole au monde, pleure et prend
Le mal du monde au loin souffrant,

Pour le porter entre mes bras
De femme comme mi enfant las;

Pour le porter si je pouvais
À l’abri, hors du temps mauvais;

Le porter pour passer le champ
Qui meurt du levant au couchant;

Le porter pour passer le soir
Sans bornes où crie un mal noir;

Le porter et trouver le pont
Pour passer le destin profond ;

Le porter en volant plus haut
Que le milan, que le gerfaut,

Plus large que l’aigle, plus fort,
Pour passer la Vie et la mort…

***

J’ai dans le coeur un grand Amour…
D’un homme à peine il fait le tour.

J’ai dans le coeur cet amour vain
Qui n’est pas plus grand que ma main.

Cet amour qui n’est long jamais
Aussi long que l’instant mauvais.

Court d’haleine, court d’horizon,
Un amour serré de maison

Qui n’a plus d’yeux pour s’alarmer
Dès que les volets sont fermés…

J’ai dans le coeur une Pitié,
Une servante de quartier

Qui part et va donner ses mains
Aux trois fardeaux de son prochain ;

Qui peine et ne peut faire rien
Que peiner, vaine, et s’en revient,

Les pieds stériles, sans avoir
Déchargé personne le soir…

J’ai dans le coeur ces quatre pas
D’un sentier qui n’arrive pas,

Qui vague dans le mal ardent
De son frère et se perd dedans,

Et l’abandonne à son besoin
Sans pouvoir le guérir plus loin,

Sans pouvoir, ô triste, ô Pitié,
Sauver un homme tout entier…

***

Trois peines sont autour de nous…
J’ai beau pleurer, saigner sur vous,

Gens de douleurs, j’ai beau courir
Pour vous arrêter de mourir,

J’ai beau vous appeler, les bras
Tout grands ouverts, je ne peux pas,

Ô vous tous Ah! — ils sont trop étroits —
Vous donner asile en ma croix,

Je ne peux pas — ils sont trop las,
Trop faibles — vous tirer d’en bas,

Je ne peux pas, gens de douleurs,
Vous soulever hors de malheur…

***

J’ai dans le coeur ce vain amour…
O vous qui périssez autour,

Si le chemin est dans mon coeur,
C’est que le pays est ailleurs;

L’Amour, en mon coeur d’un moment,
S’il souffle, ailleurs est né le vent.

L’Amour, en mon coeur de hasard,
S’il passe, il demeure autre part.

L’Amour que je loge à l’étroit,
Il habite un divin endroit,

Un lieu sans limites, sans murs,
Derrière tous les lieux obscurs.

Et je le vais au loin cherchant
Comme quelqu’un à travers champs,

Quelqu’un qui sera mon Amour
Chargé des pauvres d’alentour;

Quelqu’un qui sera ma Pitié
Qui saigne pour le monde entier;

Quelqu’un qui sera mon coeur gros
De cette terre sans repos ;

Quelqu’un qui sera mon coeur lourd
De cette foule sans secours,

Qui sera mon coeur, mais si grand
Que l’Homme s’y sauve en entrant.

Qui sera mon coeur, mais si fort
Qu’il prendra la Vie et la Mort

Comme deux ailes sur son dos…
Et voleront nos trois fardeaux !

Et voleront nos trois malheurs!
Et naîtront les gens de douleurs,

Et vivront, et mourront, gonflés
D’azur comme le grain de blé

Qui se perd en terre au printemps
Y meurt et pousse au ciel dedans.

….

Quelqu’un… Je crois en Lui, j’attends.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les chants de la Merci suivi de Chants des Quatre-Temps
Traduction:
Editions: Gallimard

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Je revenais des autres (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 19 décembre 2023



Illustration: Malel
    
Je revenais des autres

Je revenais des autres
chaque fois guéri de moi

À l’abri d’un sourire
D’un geste qui donnait champ
Des moissons d’une parole

Je quittais citernes et mirages du chagrin
pour une sorte de bonheur

Le bonheur ?

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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VILLAGE PRÈS D’UNE RIVIÈRE (Tu Fu)

Posted by arbrealettres sur 14 décembre 2023



VILLAGE PRÈS D’UNE RIVIÈRE

Eau claire, méandres qui enserrent le village.
Longues journées d’été où tout est poésie.
Sans crainte, vont et viennent les couples d’hirondelles ;
Les mouettes, les unes contre les autres, dans l’étang.
Ma vieille épouse dessine un échiquier sur papier.
Mon fils, pour pêcher, tord son hameçon d’une aiguille.
Souvent malade, je cherche les plantes qui guérissent :
Quoi d’autre peut-il désirer, mon humble corps ?

(Tu Fu)

 

 

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La nuit m’est courte (Joachim Du Bellay)

Posted by arbrealettres sur 2 novembre 2023



    

La nuit m’est courte, et le jour trop me dure,
Je fuis l’amour, et le suis à la trace,
Cruel me suis, et requiers votre grâce,
Je prends plaisir au tourment, que j’endure.

Je vois mon bien, et mon mal je procure,
Désir m’enflamme, et crainte me rend glace,
Je veux courir, et jamais ne déplace,
L’obscur m’est clair, et la lumière obscure.

Vôtre je suis et ne puis être mien,
Mon corps est libre, et d’un étroit lien
Je sens mon cœur en prison retenu.

Obtenir veux, et ne puis requérir,
Ainsi me blesse, et ne me veut guérir
Ce vieil enfant, aveugle archer, et nu.

(Joachim Du Bellay)

Recueil: Max-Pol Fouchet La poésie française Anthologie thématique
Editions: Seghers

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Être, tendre, folle et bruyante (Marina Tsvetaïeva)

Posted by arbrealettres sur 30 septembre 2023



Marina Tsvetaeva
    
Être, tendre, folle et bruyante
Avec une telle soif de vivre
Adorable, intelligente
Être charmante !

Plus tendre que tous ceux qui ont été
Être innocente…
Mais quelle indignité qu’au tombeau
Tous soient égaux !

Devenir ce qui déplaît à tous,
Devenir de glace !
Ne pas savoir ce qui a existé
Ni ce qui adviendra,

Oublier le coeur brisé
Et de nouveau guéri,
Oublier ses paroles et sa voix
L’éclat des cheveux.

Le bracelet : turquoise ancienne
Sur une tige fine,
Sur mon poignet si fin :
Ma longue main

Dessinait un petit nuage
De loin,
Prenant dans la main
Un porte-plume de nacre !

Oublier mes lestes jambes
Sautant sur la clôture.
Oublier qu’à côté, sur la route
Courait une ombre.

Oublier le chaud de l’azur,
Les jours paisibles.
Toutes mes espiègleries et mes tempêtes
Tous mes poèmes !

Mon rire dissipera
Le miracle accompli.
Et moi, toujours rose,
Je serai plus pâle que tous.

Elles ne s’ouvriront plus
— Il le faut ! Pitié !
Ni pour le regard ou le soleil couchant,
Ni pour les champs —

Mes paupières abaissées !
— Pas même pour une fleur
Oh terre, pardonne-moi,
Pour toujours, à jamais.

Les clairs de lune fondront aussi
Et toutes les neiges,
Lorsque sera à jamais enfui
Ce tout jeune siècle.

(Marina Tsvetaeva)

Recueil: Poèmes de Russie (1912-1920) suivi de La Porte arrachée par Marina
Traduction: Véronique Lossky & Georges Nivat
Editions: Des Syrthes

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Chanson (Peire Raimon de Toulouse)

Posted by arbrealettres sur 21 septembre 2023



Illustration: Domenico Ghirlandaio
    
Chanson

Certes j’ai appris d’Amour
Comme il sait piquer du dard,
Mais j’ignore encor comment
Il sait guérir gentement.
Je connais le médecin
Qui seul me rendrait la vie,
Mais si je n’ose, à quoi bon
Lui dévoiler ma blessure !

Ma sottise me tuera
Si je ne peux pas lui dire
Et lui montrer mon chagrin.
Nul ne peut me secourir,
Sauf elle, courtoise, gaie,
Que j’aime, que je chéris.
Mais quoi, demander merci ?
J’ai trop peur de lui déplaire !

Au loin quand je l’aperçois
J’ai grand désir de pouvoir
À genoux venir à elle,
Et parvenu à ses pieds,
Mains jointes lui rendre hommage
Comme serf doit au seigneur,
Puis implorer sa pitié
Sans souci des malveillants.

En vous seule, bonne Dame,
Tout bonheur germe et fleurit.
Je vous aime et vous désire.
C’est de foi bonne et limpide
Que je demande pitié.
Je promets d’être discret
Et plus fidèle (Dieu m’aide !)
Que ne fut Landric à Aye.

Mon cher Diamant, mon jongleur,
Je t’en prie, cours à Toulouse
Chanter le chant que voilà.

(Peire Raimon de Toulouse)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

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Chanson (Peire de Rogiers)

Posted by arbrealettres sur 20 septembre 2023




    
Chanson

Douce amie, je n’en peux plus,
Je vous quitte le coeur lourd.
En vrai deuil de vous je pleure.
De ne point vous embrasser
M’est un bien cruel tourment
Quand d’Amour je me sépare !

Vous connaissez ma passion,
Je n’ai jamais tant aimé.
Pour vous le faire savoir
Je n’ai point de messager.
Je pars. Je vous recommande
À Dieu, Seigneur des Esprits.

Comment donc ne point souffrir
De voir notre union s’éteindre ?
Je vais en pays lointain.
Plutôt que figue et châtaigne
Dans la chaleur du vallon
Mieux me valent froids et monts.

Là-bas, triste, mon corps va
Mais mon esprit reste là
J’ai tant froncé les sourcils
Que la racine m’en brûle.
Qui nous sépara fit mal,
Plus jamais n’aurai d’amie.

Quand le sommeil me prendra
e serai certes guéri
S’il me ramène vers elle
Sous l’aspect d’une perdrix.
Ah ! baiser l’arc de ses yeux,
Ses joues, aux frais coloris.

Au loin douceur m’est brûlure,
Bel accueil m’est insultant,
Abondance m’est famine
Et le jour profonde nuit.
Ma jeunesse se flétrit,
J’en ai douleur et tristesse.

———–
La fin du texte manque

(Peire de Rogiers)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

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Chanson (Bernard De Ventadour)

Posted by arbrealettres sur 20 septembre 2023




    
Chanson

Le temps va et vient et vire
Par jours par mois et par années.
Moi je ne sais plus que dire,
J’ai toujours même désir.
Il est unique, immuable :
Je n’ai voulu, ne veux qu’elle
Qui ne fait pas mon bonheur.

À elle joie et beauté,
À moi douleur et dommage.
À ce jeu que nous jouons
Je suis doublement perdant.
Est perdu pour qui l’endure
Amour donné sans retour
Et sans espoir d’accordailles.

Je me blâmerais moi-même
À bon droit : jamais mortel
Ne voudrait servir ainsi
Sa Dame sans récompense.
«Fou ne craint qu’après les coups !»
Ma folie débordera
Si je ne peux la guérir.

Jamais plus ne chanterai.
Je renonce aux leçons d’Èble,
Mon chant ne me sert de rien,
Ni mes airs ni mes refrains.
Quoique je fasse ou je dise
Je ne vois nulle lumière.
Tout se tourne contre moi !

Si j’ai l’air d’être joyeux,
Dolente au fond est mon âme.
Vit-on jamais pénitence
Venir avant le péché ?
Je prie pour rien la méchante.
Si son coeur reste fermé
Il me faudra la quitter.

Mais non, je la veux princière.
Que mon coeur lui soit soumis !
Certes, injuste est son mépris
Mais la pitié lui viendra,
Et comme dit l’Écriture
Un seul jour de vrai bonheur
Assurément en vaut cent !

Point ne quitterai ma Dame
Tant que j’aurai vie et sens.
Quand il a vigueur au vent
Longtemps l’épi se balance !
Je ne vais pas la blâmer
De jouer avec le temps
Si demain la voit meilleure !

Amour vrai, si désirable,
Corps bien fait, leste, ondulant,
Visage aux fraîches couleurs,
Vous que Dieu fit de ses mains
Vous êtes tant désirée
Que je n’ai plaisir à voir
Personne d’autre que vous !

Douce Dame si courtoise
Que Dieu qui vous fit si belle
M’offre la joie que j’attends !

Chanson

Il est naturel que je chante
Mieux que tous les autres chanteurs,
Car mon coeur n’est rien qu’Amour
Et j’obéis mieux à ses ordres.
Mon âme, mon corps, mon savoir,
Mes sens, ma force et mon pouvoir
Lui sont tout entiers dévoués.
Ils ne servent pas d’autre cause.

Est comme un mort qui ne ressent
Douce saveur d’amour au coeur.
À vivre sans ce haut désir
On ne fait qu’ennuyer les gens !
Que Dieu m’épargne le malheur
De m’imposer un mois, un jour
D’insupportable fâcherie
Avec le beau désir d’amour !

De bonne foi sans tromperie
J’aime la plus belle et meilleure.
Je l’aime trop, pour mon malheur !
Mon coeur soupire et mes yeux pleurent.
Qu’y puis-je, si l’amour m’a pris,
Si la prison où il m’a mis
À pour seule clé la merci
Qu’en elle je ne trouve point?

Cet amour me blesse le coeur
D’une saveur si délicieuse
Que si, cent fois par jour, je meurs
Cent fois la joie me ressuscite.
C’est un mal si bon à souffrir
Que je le préfère à tout bien.
Quelle douceur après la peine
Me donne ce malheur d’aimer !

Ah Dieu! que ne peut-on trier
D’entre les faux les amants vrais ?
Tous ces flatteurs, tous ces perfides
Que ne portent-ils corne au front ?
Je donnerais tout l’or du monde
Et tout l’argent, si je l’avais,
Pour que ma dame sache bien
Combien je l’aime joliment !

Quand je la vois, tout en témoigne :
Mes yeux, mon front et ma pâleur.
La crainte me fait frissonner
Comme la feuille sous la brise
Et je redeviens un enfant.
Voilà comment Amour m’a pris.
Ah ! que d’un homme ainsi conquis
Ma dame veuille avoir pitié !

Ma dame je ne vous demande
Que d’être votre serviteur.
Je veux vous servir en seigneur
Quelle que soit la récompense.
Me voici donc tout à vos ordres,
Coeur noble et doux, joyeux, courtois.
Vous n’êtes point ours ou lion
Pour me tuer, si je me rends !
À ma belle, là où elle est
J’envoie ce chant.
J’ai bien tardé,
Mais qu’elle n’en soit pas trop fâchée.

Chanson

Mon coeur est si plein de joie
Qu’il trompe Nature.
Le frimas, qu’est-il pour moi ?
Blanche fleur, jaune, vermeille.
Plus il vente, plus il pleut
Plus je suis heureux.
Ma valeur grandit aussi
Et mon chant s’épure.
Mon coeur est tant amoureux
Tant pris de joie douce
Que gelée me semble fleur
Et neige verdure.

Je puis aller sans habits,
Nu dans ma chemise,
Car me garde pur amour
De la froide bise.
Mais est fou qui sans mesure
Passe la raison.
J’ai donc souci de moi-même
Dès lors que je prie
D’amour vrai la toute belle
Dont j’espère tout,
Car pour un pareil trésor
Je donnerais Pise !

Elle me refuse amitié
Mais je garde foi,
Car d’elle au moins j’ai gagné
La joie de la voir.
Et tant d’aise est dans mon coeur
Que séparé d’elle
Je ne pense qu’au bonheur
De la retrouver.
Mon âme est tout près d’Amour
Toute en sa présence,
Mais hélas mon corps est loin
Bien loin d’elle, en France

Je garde bonne espérance
(qui m’aide bien peu)
Car mon âme hélas balance
Comme nef en mer.
Du souci qui me harcèle
Comment m’abriter?
La nuit venue il me jette
Au bas de mon lit.
J’endure plus de chagrins
Que Tristan l’amant
Qui souffrit mille tourments
Pour Yseut la blonde.

Ah Dieu ! que ne suis-je oiseau !
J’ouvrirais mes ailes
Et j’irais à travers nuit
Jusqu’à sa maison.
Bonne darne si joyeuse
Votre amant se meurt
Mon coeur sera tôt fendu
Si mon mal s’obstine.
Madame, je joins les mains,
Je vous prie d’amour.
Beau corps aux fraîches couleurs
Grand mal vous me faites !

Mon messager, va et cours
Dis à dame belle
Que je souffre à cause d’elle
Le mal des martyrs.

Chanson

Quand je vois l’alouette dans
Un rayon de soleil danser,
Tout oublier, s’abandonner
À la douceur qui l’envahit,
Je l’envie et j’envie tous ceux
Qui savent goûter au plaisir
Et je m’étonne que mon coeur,
Ne fonde au brasier du désir

Je croyais tout savoir d’amour.
Hélas ! quel ignorant je suis,
Moi qui ne peux me détourner
De celle-là qui me méprise !
Et me voilà privé de tout,
De moi-même, d’elle et du monde.
Désir et cœur mourant de soif,
Voilà tout ce qu’elle m’a laissé.

Dès l’instant où dans ses beaux yeux
Je vis un miroir délicieux
Je n’eus plus en moi nul pouvoir.
Je ne sentis plus rien de moi
Dès qu’en toi, miroir, je me vis.
Ma vie s’en fut dans mes soupirs
Et je me perdis comme fit
Le beau Narcisse en la fontaine

Je ne me fierai plus aux femmes
Elles font toutes mon désespoir.
Je les ai jadis exaltées,
Je veux en dire pis que pendre !
Je n’en attends plus de secours
Il a suffi que me bafoue
L’une d’elles, et je les crains toutes.
Toutes semblables, elles sont ainsi !

Sur ce point ma Dame est bien femme,
Et c’est bien ce qui me déplaît.
Le convenable, elle n’en veut pas,
Le défendu seul l’intéresse.
Me voilà en triste disgrâce
Je ne suis qu’un fou maladroit.
En vérité, je sais pourquoi :
La pente est trop rude pour moi.

L’espoir d’elle est vraiment perdu
Je l’ignorais jusqu’à ce jour.
Celle de qui j’attends Amour
N’en a pas du tout. Où chercher?
On ne dirait pas, à la voir
Qu’elle est capable de laisser
Un pauvre assoiffé sans recours
Qui se meurt de n’espérer qu’elle !

Puisqu’auprès d’elle tout est vain
Grâce, prière et droit d’amant,
Puisqu’il lui déplaît que je l’aime
Je me tais et je m’en défais.
Je renonce. Et si je suis mort
De n’ avoir été son élu
Je réponds en mort, tristement.
Je vais m’exiler Dieu sait où.

Tristan, vous n’aurez rien de moi !
Je m’en vais triste,
Dieu sait où Je renonce à la poésie
Je me dérobe aux joies d’amour.

Chanson

Quand froide bise souffle
Parmi votre pays
Me semble que je sens
Un vent de paradis.
Pour l’amour de la belle
Vers qui penche mon coeur,
En qui j’ai mis ma foi
Et ma tendresse entière,
Je ne vois plus les autres
Tant elle me ravit !

Les grâces qu’elle m’offre
Beaux yeux, visage pur,
Sans me donner rien d’autre
M’ont à coup sûr conquis.
Pourquoi vous mentirais-je ?
Je ne suis sûr de rien
Mais ne puis renoncer.
«L’homme vrai persévère
M’a-t-elle dit un jour
Seul le lâche prend peur ».

Les dames, ce me semble,
Et c’est là grand péché,
Négligent trop souvent
D’aimer les vrais amants.
Je ne voudrais rien dire
Qui n’ait leur agrément,
Mais je vois avec peine
Qu’un fourbe obtient autant
D’Amour (et davantage)
Qu’un amoureux constant.

Dame que ferez-vous
De moi qui tant vous aime ?
Vous me voyez souffrir
Et mourir de désir.
Ah ! franche et noble dame
Donnez-moi donc l’espoir
Qui m’illuminera!
J’endure grands tourments.
Cela dépend de vous
Que je n’en souffre pas.

Je ne dédaigne pas
Le bien que Dieu m’a fait.
Ne m’a-t-elle pas dit
Au jour de mon départ,
Tout net : « Vos chants me plaisent» ?
Je voudrais que toute âme
Chrétienne eut même joie
Que j’en eus, que j’en ai,
Car mon chant ne prétend
À rien qu’à la séduire.

Si elle me parle vrai
Je la croirai encore,
Sinon je ne croirai
Au monde plus personne!

(Bernard De Ventadour)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

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