Terre leva la tête
Au-dessus de l’obscurité redoutable et lamentable.
Sa lumière enfuie
Cruelle lugubre
Et les cheveux couverts d’un gris désespoir.
Moi, prisonnière des eaux,
La rivalité des étoiles emprisonne mon antre
Dans un gel blanc ;
En gémissant
J’entends le père des hommes antiques.
Père égoïste des hommes,
Cruel, jaloux, égoïste Effroi,
La joie peut-elle,
Enchaînée dans la nuit.
Enfanter les vierges de la jeunesse et du matin ?
Le printemps cache-t-il sa joie,
Quand éclatent les bourgeons et les fleurs ?
Le semeur
Sème-t-il pendant la nuit ?
Le laboureur laboure-t-il dans l’obscurité ?
Romps cette lourde chaîne
Qui glace mes os.
Égoïste, vaine,
Éternelle malédiction,
Qui réduit le libre amour en esclavage.
***
EARTH’S ANSWER
Earth raised up her head
From the darkness dread and drear,
Her light fled,
Stony, dread,
And her locks covered with grey despair.
Prisoned on watery shore,
Starry jealousy does keep my den
Cold and hoar;
Weeping o’er,
I hear the father of the ancient men.
Selfish father of men!
Cruel, jealous, selfish fear!
Can delight,
Chained in night,
The virgins of youth and morning bear.
Does spring hide its joy,
When buds and blossoms grow?
Does the sower
Sow by night,
Or the ploughman in darkness plough?
Break this heavy chain,
That does freeze my bones around!
Selfish, vain,
Eternal bane,
That free love with bondage bound.
(William Blake)
Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres
L’herbe a grandi au fossé profond
l’homme en marchant fixe
le nuage étiré
frangé comme son habit gris
des chiens aux horizons béants
diversement aboient
pourtant c’est la paix
le jour va s’incliner
il faudra bien encore
couper le pain à la nuit
assis sur le billot rustique
avec en fin de compte
l’impensable mort.
(Jean Follain)
Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard
Mes tresses retombaient avec les rubans
et on m’a rasée, désinfectée,
rhabillée avec un long tablier gris,
des sabots en bois aux pieds
et on m’a accroché une pancarte
avec un numéro : 11152,
qui serait désormais mon nom.
sur le trottoir gris
les bouquets de fleurs fanées
comme ils sont mouillés
La poésie est sève,
feu, parfum envahissant,
énergie transformatrice
passant d’un être
à un autre…
(Pascale Senk)
Recueil: L’effet Haïku Lire et écrire des poèmes courts agrandit notre vie
Editions: Leduc. S
Fais ta monture du feu plutôt que des nuages,
si tu veux voyager loin.
Sceautres.
Avec le feu je pars, je reste, je voyage
tout entier libre entre cendre et fumée
D’un coup de vent, je monte en croupe des nuages
mais une part de moi demeure enracinée
dans la terre où l’image a germé
Je m’envole et je plane aux lisières des flammes
chevauchant les flocons soyeux des cheminées
La bise a dissipé les vives caravanes
qui peuplaient les déserts de rêves sans foyer
dans un ciel où se fanaient les blés
et ce sont les tisons que je glane
sur les pailles grises du brasier.
(Robert Mallet)
Recueil: Quand le miroir s’étonne suivi de Silex éclaté et de L’espace d’une fenêtre
Editions: Gallimard