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La voiture de fleurs (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    

La voiture de fleurs

I
L’ivresse des jasmins, la tendresse des roses,
Ces robes, ces figures, ces yeux, toutes les nuances,
Les violettes pâles et les pivoines roses
Où l’amour se pâme avec indolence :

Ainsi s’en va, traîné le long des rues,
Le songe de mes anciens printemps,
Cependant qu’une femme a rougi d’être nue
Dans la foule indiscrète des amants.

Pourquoi ? Tu as senti l’odeur de mon désir ?
Tu as senti la fraîcheur amoureuse des nuées
Tomber sur tes épaules, et le plaisir
Souffler du vent dans tes cheveux dénoués ?

Je ne te voyais pas. Je regardais les femmes et les fleurs
Comme on regarde des étoffes ou des images :
Je me souviens alors de toutes les couleurs
Qui enchantaient mes premiers paysages.

Ces belles fleurs m’apportent des campagnes et des jardins,
Dans leurs aisselles et parmi les plis frais de leurs feuilles,
Je reconnais le goût des filles des chemins,
Du sureau, de la sauge, du tendre chèvre-feuille ;

Je promène mon rêve autour de tes rosiers
Et de tes pavots, parc aux antiques sourires ;
Puis je me glisse à travers la houle de vos halliers,
Bois où mon cœur avec joie se déchire.

II
Je me souviens des bois et des jardins,
Des arbres et des fontaines,
Des champs, des prés et aussi des chemins
Aux figures incertaines.

Ce vieux bois qui, dans sa verte douceur,
Aimait mon adolescence,
II a toujours l’adorable fraîcheur
Et la chair de l’innocence.

Il a toujours le chant de son ruisseau,
Et les plumes de ses mésanges
Et de ses geais et de ses poules d’eau,
Et le rire de ses anges

Car on entend souvent au fond des bois
Des souffles, des voix frileuses,
Et l’on ne sait si ce sont des hautbois
Ou l’émoi des amoureuses.

Il a toujours les feuilles de ses aulnes
Dont les troncs sont des serpents ;
Il a toujours ses genêts aux yeux jaunes
Et ses houx aux fruits sanglants,

Ses coudriers aimés des écureuils,
Ses hêtres, qui sont des charmes,
Ses joncs, le cri menu de ses bouvreuils,
Ses cerisiers pleins de larmes ;

Ses grands iris, dans leur gaîne de lin,
Qu’on appelle aussi des flambes,
Ses liserons, désir rose et câlin,
Qui grimpe le long des jambes :

Liserons blancs, aussi liserons bleus,
Liserons qui sont des lèvres,
Et liserons qui nous semblent des yeux
Doux de filles ou de chèvres ;

Beaux parasols semés d’insectes verts,
Angéliques et ciguës ;
Vous qui montrez à nu vos cœurs amers
Belladones ambiguës ;

Blonds champignons tapis sous les broussailles,
Oreilles couleur de chair,
Morilles d’or, bolets couleur de paille,
Mamelles couleur de lait !

Il a toujours tout ce qui fait qu’un bois
Est un lit et un asile,
Un confident aimable à nos émois,
Une idée et une idylle.

*

Mais un désir me ramène au jardin :
Je retrouve ses allées,
Ses bancs verdis, ses bordures de thym,
Ses corbeilles dépeuplées.

Voici ses ifs, ses jasmins, ses lauriers,
Ses myrtes un peu moroses,
Et voici les rubis de ses mûriers
Et ses guirlandes de roses.

Je viens m’asseoir à l’ombre du tilleul,
Dans la rumeur des abeilles,
Et je retrouve, en méditant, l’orgueil,
O sourire, et tes merveilles.

Sur ce vieux banc, je retrouve l’espoir
Et la tendresse des aubes :
Je veux, ayant vécu de l’aube au soir,
Vivre aussi du soir à l’aube.

Le présent rit à l’abri du passé
Et lui emprunte ses songes :
Le renouveau d’octobre a des pensées
Douces comme des mensonges.

O vieux jardin, je vous referai tel
Qu’en vos nobles jours de grâce ;
J’effacerai tous les signes de gel
Qui meurtrissaient votre face.

III
Voilà toutes les fleurs, qui passaient dans les rues,
En ce matin équivoque de mai.
Viens, leurs demeures me sont connues :
Nous les retrouverons aux jardins du passé.

Viens respirer l’odeur jeune de la vieille terre,
Du bois et du grand parc abandonné aux oiseaux.
Viens, nous ferons jaillir de son cœur solitaire
Des moissons de fruits et de rêves tendres et nouveaux.

(Rémy de Gourmont)

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RÉPONSE À LA TERRE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    
RÉPONSE À LA TERRE

Terre leva la tête
Au-dessus de l’obscurité redoutable et lamentable.
Sa lumière enfuie
Cruelle lugubre
Et les cheveux couverts d’un gris désespoir.

Moi, prisonnière des eaux,
La rivalité des étoiles emprisonne mon antre
Dans un gel blanc ;
En gémissant
J’entends le père des hommes antiques.
Père égoïste des hommes,

Cruel, jaloux, égoïste Effroi,
La joie peut-elle,
Enchaînée dans la nuit.
Enfanter les vierges de la jeunesse et du matin ?

Le printemps cache-t-il sa joie,
Quand éclatent les bourgeons et les fleurs ?
Le semeur
Sème-t-il pendant la nuit ?
Le laboureur laboure-t-il dans l’obscurité ?

Romps cette lourde chaîne
Qui glace mes os.
Égoïste, vaine,
Éternelle malédiction,
Qui réduit le libre amour en esclavage.

***

EARTH’S ANSWER

Earth raised up her head
From the darkness dread and drear,
Her light fled,
Stony, dread,
And her locks covered with grey despair.

Prisoned on watery shore,
Starry jealousy does keep my den
Cold and hoar;
Weeping o’er,
I hear the father of the ancient men.

Selfish father of men!
Cruel, jealous, selfish fear!
Can delight,
Chained in night,
The virgins of youth and morning bear.

Does spring hide its joy,
When buds and blossoms grow?
Does the sower
Sow by night,
Or the ploughman in darkness plough?

Break this heavy chain,
That does freeze my bones around!
Selfish, vain,
Eternal bane,
That free love with bondage bound.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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HYMNE (Michel Leiris)

Posted by arbrealettres sur 9 janvier 2024



Illustration: Noèla Morisot
    
HYMNE

Par toute la terre
lande errante
où le soleil me mènera la corde au cou
j’irai
chien des désirs forts
car la pitié n’a plus créance parmi nous

Voici l’étoile
et c’est la cible où la flèche s’enchâsse
clouant le sort qui tourne et règne
couronne ardente
loterie des moissons

Voici la lune
et c’est la grange de lumière

Voici la mer
mâchoire et bêche pour la terre
écume de crocs
barbes d’acier luisant aux babines des loups

Voici nos mains
liées aux marées comme le vent l’est à la flamme
Voici nos bouches
et l’horloge de minuit les dissout
quand l’eau-mère des ossatures
dépose les barques temporelles aux baies tranquilles de l’espace
et te fait clair comme un gel

ô brouillard tendre de mon sang

(Michel Leiris)

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LE DERNIER HOMME (Fiona Sampson)

Posted by arbrealettres sur 4 janvier 2024



Illustration: Karthik Cherry
    
LE DERNIER HOMME

d’après Mary Shelley

Il arrive pieds nus
sur la pelouse
luisante sur
le trèfle et l’herbe
chaque tige brillante
chaque feuille est blanche
suite au gel c’est
le matin c’est
le premier matin qui court
pieds nus sur l’herbe
qui ploie encore et encore
sous ses pas
ceci est le rythme
de la prière ceci est
comment nous avons toujours
su que cela serait
pieds nus
dans le verger pelé
empreintes de pas sur les sentiers
d’herbe
ceci est-il comme cela sera
se promener
en temps de gel
sous les arbres dépouillés
alors que vous êtes tout seul ?

(Fiona Sampson)

, Angleterre
Traduction Germain Droogenbroodt – Elisabeth Gerlache

Autres langues:

Anglais: https://www.point-editions.com/en/776-the-last-man
Espagnol: https://www.point-editions.com/es/776-the-last-man
Néerlandais: https://www.point-editions.com/nl/776-the-last-man
Autres: https://www.point-editions.com/ww/776-the-last-man

Recueil: ITHACA 776
Editions: POINT
Site: http://www.point-editions.com/en/

FRIENDS ITHACA
Holland: https://boekenplan.nl
Poland: http://www.poetrybridges.com.pl
France: https://arbrealettres.wordpress.com
Poland: http://www.poetrybridges.com.pl
Romania: http://www.logossiagape.ro; http://la-gamba.net/ro; http://climate.literare.ro; http://www.curteadelaarges.ro.; https://cetatealuibucur.wordpress.com
Spain: https://www.point-editions.com; https://www.luzcultural.com
India: https://nvsr.wordpress.com; https://ourpoetryarchive.blogspot.com>
USA-Romania: http://www.iwj-magazine.com/journal02

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ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE (IV) (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 9 novembre 2023



Illustration: Christophe Monnin
    
ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE (IV)

IV

Être comme un enfant tu es comme un enfant
Grande comme un enfant quand tu es raisonnable
Quand tu fais la grande personne
Quand tu fais tomber le ciel sur la table
D’un geste mieux réglé que celui des saisons
Quand prête à tout créer tu choisis d’imiter

Quand tu me fais rire d’un rire
D’amoureuse pitié.

*

Tu es venue à moi par les voies de l’enfance
Sérieuse comme une herbe et comme une hirondelle

La mi-nuit des matins était tachée d’aurore
Le crépuscule ouvrait avec prudence l’ombre

Pour en chasser les bêtes noires.

*

Je suis entré dans la ronde
De ta vie malgré le temps

Je t’accorde le temps de vivre
Et le temps d’avoir vécu

Tu m’accordes le temps d’être
Avec toi comme un enfant.
*

Que l’hiver aiguise les branches
Pour agripper la mort rêvée
Que des moissons épouvantables
Encombrent la sève des fleuves
Que le gel raisonne la chair
Tu ne me promets que jeunesse.

*

Et je sais que je dois t’aimer
L’hiver se croise avec l’été
La feuille morte tombe dans un bain d’azur.

*

Et je respire et je me double
Du vent qui va vers le printemps
Déserts et ruines mauvais temps
Purifient l’aube des récoltes.

*

Je t’aime j’ai dans les vertèbres
L’émancipation des ténèbres.

(Paul Eluard)

Recueil: Eluard amoureux
Editions: Bruno Doucey

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LE BÉLIER (Henry Bauchau)

Posted by arbrealettres sur 28 septembre 2023




    
LE BÉLIER

Ardant le gel
De la matière
Quel feu n’espère
Un autre ciel.

*

Quand l’année touche aux sortilèges
L’hiver à la voix des devins
Livre une vierge dans la neige
A la morsure du carmin.

(Henry Bauchau)

Recueil: Poésie complète
Editions: ACTES SUD

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LA BELLE MORT (Claude Roy)

Posted by arbrealettres sur 21 septembre 2023




    
LA BELLE MORT

Les mains pourries les mains perdues
qui n’ont plus rien à donner à personne
les yeux sans jour les voix sans mots
les bouches qu’un baiser jamais plus ne couronne

Honneur moisi feuilles qui rouillent
Rires éparpillés Tendresse en proie aux vers
Pitié très corrompue Linceul puant que souille
la fatigue d’avoir autrefois existé

Nous finirons bien par nous endormir
Nous finirons bien par tout oublier

Nous serons aveugles et sourds
Nous aurons cannes à la main
pour bâtonner sur le chemin
loin très loin du très joli jour

Nous serons tout entrechoqués
n’ayant plus les idées en place
dans une nuit d’un noir de glace
tâtonnants vides disloqués

Nous traînerons clopin-clopant
dans un pays brumeux de larmes
où le vent gèle les paroles
avant qu’on ne les ait prononcées

Personne ne nous entendra
puisqu’il n’y aura plus personne
Rien que le gel et que l’écho
qui n’aura rien à réfléchir
que le souvenir de l’écho

Nous serons ceux qui ne sont plus
les trébuchants les trépassés
les effacés les confondus
les morts dont on ne parle plus

les morts qui auraient tant à dire.

(Claude Roy)

Recueil: Poésies
Editions: Gallimard

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REGLES DE VIE (Max-Pol Fouchet)

Posted by arbrealettres sur 9 septembre 2023



 

Jean-Emile Laboureur   -1877-1943-le-soldat-sous-la-pluie 551

REGLES DE VIE

Sur l’un des sentiers de la pluie
Dans une flaque d’eau brisée
Nous lirons au détour la lettre
D’un soldat mort en de vieilles guerres

Il y eut un temps où sa marche
Étoilait les miroirs du gel
Les chemins étaient déserts le jour
Le soir venu les corbeaux criaient

Qu’avons-nous appris de cette lettre
Nous reconnaissons le langage
Un ancien mal s’y lit en clair
Le bruit des pas va vers la forêt

L’heure est entre l’aube et le soir
On ne sait la saison ni l’année
Mais la marche d’un soldat la pluie
La nuit qui efface le sentier

(Max-Pol Fouchet)

Illustration: Jean-Emile Laboureur

 

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HIVER MISÈRE (Charles Astruc)

Posted by arbrealettres sur 2 Mai 2023




    
HIVER MISÈRE

Des vols d’étourneaux
Sur les jardins blancs de gel :
Disette en partage.

(Charles Astruc)

Recueil: Homme en péril poèmes
Editions: Les Presses Littéraires

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Chant (William Carlos Williams)

Posted by arbrealettres sur 24 décembre 2022



 

neige  [1280x768]

Chant

Tu es à jamais avril
pour moi
l’éternel indécis

forsythia blonde
jeune fille aux jambes
bien droites

à qui dans mon
ignorance
j’apprenais

à lire les poèmes
mes bras
autour de ton cou

nous nous sommes cramponnés l’un à l’autre
péril
leusement

plus qu’une jeune
fille
ne devrait savoir

un coup de gel
brûla
des fleurs jaunes

au printemps
de
l’année

***

Song

you are forever April
to me
the eternally unready

forsythia a blonde
straight
fegged girl

whom I myself
ignorant
as I was taught

to read the poems
my arms
about you neck

we clung together
peril
ously

more than a young
girl
should know

a burst of frost
nipped
yellow flowers

in the spring
of
the year

(William Carlos Williams)

Illustration

 

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