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Posts Tagged ‘ronde’

LA RONDE DES HEURES (Pascal Bonetti)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024




LA RONDE DES HEURES

Tes doigts sont les fuseaux où s’enroulent mes rêves.
Ta voix est le rouet qui berce mon destin.
J’oublie auprès de toi que les heures sont brèves
Et que la vie est lourde et son but incertain…

*

Vivons pareils aux deux ailes d’un même oiseau
Qui toutes deux battent ensemble,
Et laissons notre amour pointer comme un roseau
Vers l’infini qui te ressemble.
Allons pareils aux deux rames d’un même esquif
Qui toutes deux plongent ensemble,
Et penchons comme un ciel notre bonheur pensif
Sur l’océan qui te ressemble.

(Pascal Bonetti)

Illustration

 

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LE PRÉ DES SONS (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    

LE PRÉ DES SONS

Le soleil se lève
Et tout le ciel est heureux.
Salué par les cloches joyeuses,
Le printemps s’approche ;
L’alouette et la grive
Et tous les oiseaux des buissons
Font une ronde de leur chant
Autour du carillon de joie,
Et le pré de nos jeux
Sera le pré des sons.

Jean le vieil homme aux cheveux blancs,
Rit et chasse les soucis
Sous un chêne,
Et tous les grands-parents
Ils rient, ils rient,
Disent et disent :
Même joie de notre temps,
Même joie en ce jeune temps
Où nous étions garçons et filles
Dans le pré des sons.

Puis voici les petits si las.
Que leur joie est tombée
Comme le soleil
Et nos jeux sont finis.
Sur les genoux des mères,
Les enfants, les petits enfants,
Comme des oiseaux dans un nid,
Vont s’endormir.
Et des jeux, on n’en verra plus
Sur le pré des ombres.

***

The Ecchoing Green

The sun does arise,
And make happy the skies.
The merry bells ring
To welcome the Spring.
The sky-lark and thrush,
The birds of the bush,
Sing louder around,
To the bells’ cheerful sound.
While our sports shall be seen
On the Ecchoing Green.

Old John, with white hair
Does laugh away care,
Sitting under the oak,
Among the old folk,
They laugh at our play,
And soon they all say.
Such, such were the joys.
When we all girls & boys,
In our youth-time were seen,
On the Ecchoing Green.

Till the little ones weary
No more can be merry
The sun does descend,
And our sports have an end:
Round the laps of their mothers,
Many sisters and brothers,
Like birds in their nest,
Are ready for rest;
And sport no more seen,
On the darkening Green.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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INCIDENT AILÉ (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




    
INCIDENT AILÉ

L’allégresse impie des oiseaux
m’a si tôt réveillée
pendant des rêves de tristesses.
Des bruits de va-et-vient
m’ont si tôt réveillée.
De va-et-vient, de cercles
que les oiseaux écrivent
sur l’espace vierge.

Les cercles m’ont réveillée.
Tous dans la ronde, les oiseaux jouent
— allégresse impie —,
tous dans la ronde,
les oiseaux écrivent des cercles effrénés,
tous dans la ronde,
toutes choses dans la ronde,
personne dans la ronde
— schéma redoutable —,
rien dans la ronde
et toi au milieu.

Mais voici la lumière,
et la vision nette, la traîtresse.
Elle a pris leurs empreintes aux cercles,
leurs dépositions aux oiseaux,
interrogé les bruits et les ardeurs.
Et vérifié ton identité.
Comme quoi tu n’es pas et ne t’appelles pas,
tu es née en plein dépeuplement.
Et l’on en reste là.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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BALLADE DE L’OMBRE DE LA MAIN (Paul Fort)

Posted by arbrealettres sur 19 février 2024




    
BALLADE DE L’OMBRE DE LA MAIN

Tout est fugitif en ce monde.
Voire même les découvertes.
J’étais en l’auto découverte
que conduisait alors ma blonde.

Je saluais tout à la ronde.
Je saluais notre Destin,
le Baiser proche, l’Art qui sonde,
et même la lune au lointain.

Et je voyais sur le chemin
passer l’ombre, passer l’ombre…
Et je voyais sur le chemin
passer l’ombre de ma main

(Paul Fort)

Recueil: Ballades du beau hasard
Editions: Flammarion

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Le monde n’a pas de bout (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 26 janvier 2024



Illustration: Tomas Januska
    
Le monde n’a pas de bout
on va de l’autre côté
Pour qui vit de ce côté-là
on est le bout du monde
On peut faire le tour du monde
l’entourer sans le pénétrer

Même très imparfait
on est rond
Si l’on veut forcer le secret
de son image
il faut tourner
autour de ce qu’elle est
mais quelle volonté
quels voyages !

On fait des petits tours, des rondes
et l’on ausculte son endroit
sans le quitter
car le quitter, pourquoi ?
on reviendrait
au même endroit

L’homme ne tourne pas
autour de ce qu’il est
il tourne sur lui-même.

(Robert Mallet)

 

Recueil: Cette plume qui tournoie
Editions: Gallimard

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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CHANSON (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Henri-Fantin Latour
    
CHANSON

Nous étions deux soeurs chez nous :
La laide et la belle.
L’une avait les yeux si doux
Que tous après elle
Couraient sans savoir pourquoi.
Sa soeur, l’autre… c’était moi.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Elle avait cent jolis airs :
Un timide, un tendre,
Des tristes, des gais, des fiers,
Cent regards pour prendre
L’amour dans les coeurs tout bas…
Mais moi, je ne savais pas.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Elle avait quatre beaux temps
Pour se plaire au monde :
L’hiver, l’été, le printemps,
L’automne à la ronde,
Pressés d’arriver chacun…
Mais moi, je n’en avais qu’un.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Elle avait deux paradis :
L’air des matins roses
Pour sa joie et le logis
Aux fenêtres closes
Pour son bonheur au soir brun…
Mais moi, je n’en avais qu’un.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Tant d’amis l’avaient d’amour
Toute enveloppée,
Qu’elle était, la nuit, le jour,
Sans cesse occupée
À n’en oublier aucun…
Mais moi, je n’en avais qu’un.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Lui, c’était lui mon été,
Ma terre fleurie,
Lui, mon soleil, la bonté
Unique en ma vie !
C’était lui mon Paradis !
Le seul !… Elle me l’a pris.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

C’est pour lui seul que j’osais
Me laisser sourire,
En lui je me reposais.
J’aimais me redire
Tout bas ses mots attendris.
C’est fini… Tu me l’as pris.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Sans son coeur, avec mon coeur,
Maintenant que faire ?
Haïr ? Attendre, ô ma soeur,
Que le vent contraire
Jette ton bonheur à bas ?
Te haïr… Je ne peux pas.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Ô toi qui, sans le savoir,
De mon mal es cause,
Est-ce que je puis te voir,
Ma petite rose,
Sans t’aimer aussi ?… Pourtant,
De te voir je souffre tant !

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Chère grâce, dis, pourquoi
Es-tu si jolie ?
Ah ! qu’il ait assez de moi,
Qu’il t’aime et m’oublie,
Ce n’est que juste !… Et pourtant,
Faut-il que je souffre tant ?

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Aimons-nous bien, aimons-nous,
Je suis assez forte
Pour souffrir un peu pour vous.
Ce n’est rien… Qu’importe,
Quand vous serez trop joyeux,
Que je détourne les yeux.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

Vous voir, le coeur apaisé,
J’y suis mal habile.
Mais t’aimer, le coeur brisé,
Ce m’est plus facile.
Va, peut-être aime-t-on mieux
Avec des pleurs dans les yeux.

Qu’est-ce que nous ferons,
Ma douce, ma jolie ?
Qu’est-ce que nous ferons ?
Va, nous nous aimerons.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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CHERCHE TA PLACE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



 Illustration: Robert Cattan
    
CHERCHE TA PLACE

Je m’en vais cheminant, cheminant, dans ce monde,
Chaque jour je franchis un nouvel horizon.
Je cherche pour m’asseoir le seuil de ma maison
Et mes frères et soeurs pour entrer dans leur ronde.

Mais las ! J’ai beau descendre et monter les chemins,
Nul toit rêveur ne m’a reconnue au passage,

Et les gens que j’ai vus ont surpris mon visage
Sans s’arrêter, sourire et me tendre les mains.
Va plus loin, va-t’en ! qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place…

J’ai vu sauter dans l’herbe et rire au nez du vent
Des filles pleines d’aise et de force divine

Qui partaient, le soleil sur l’épaule, en avant,
L’air large des pays en fleurs dans la poitrine…
Ah ! pauvre corps frileux même sous le soleil
Qui sans te ranimer te surcharge et te blesse.

Toi qu’un insecte effraye, ô craintive faiblesse,
Honteuse d’être pâle et d’avoir tant sommeil.

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

Ainsi qu’à la Saint-Jean les roses de jardin,
Fleurs doubles dont le coeur n’est plus qu’une corolle,
J’ai regardé fleurir autour de leur festin
Les reines, les beautés qu’on aime d’amour folle.

Las ! je t’ai vue aussi, toi, gauche laideron,
Mal faite, mal vêtue, âme que son corps gêne,

Herbe sans fleur que le vent sèche avec sa graine
Et que ne goûterait pas même un puceron…
Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

De rien sachant tout faire, ici menant le fil,
Puis là, dessus, dessous, vite, vite, des fées,

Sous leurs doigts réguliers trouvent un point subtil,
Sans avoir l’air de rien, calmes et bien coiffées…
Toi qui pour ton travail uses le temps en vain,
Toi dont l’aiguille borgne, attentive à sa piste,

Pique trop haut, trop bas, choppe, accroche, résiste,
Prise aux pièges du fil tout le long du chemin,

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

D’autres, fermes esprits, têtes pleines de mots,
Connaissent tout : les dieux, les pays, leur langage,
Les causes, les effets, les remèdes, les maux,
Les mondes et leurs lois, les temps et leur ouvrage…

Tête qui fuis, et tel un grès à filtrer l’eau.
Laisse les mots se perdre à travers ta cervelle,
Ignorante qui crois que la terre est nouvelle
Tous les matins, et tous les soirs le ciel nouveau,

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

D’autres ont pris leur rêve au piège et l’ont tout vif
Enfermé malgré lui dans leur strophe sonore
D’airain vaste, d’or calme ou de cristal plaintif,
Et l’applaudissement des hommes les honore…

Mais toi ! Tes rêves, comme un vol de moucherons,
T’étourdissent, dansant autour de tes prunelles,
Et ta main d’écolier trop lente pour leurs ailes
Sans en saisir un seul s’égare dans leurs ronds.

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

D’autres, se retirant à l’ombre de leurs cils,
Patients, cherchent la vermine de leur âme
Et pèsent dans l’angoisse avec des poids subtils
Son ombre et sa clarté, sa froidure et sa flamme.

Mais toi qui cours à Dieu comme un petit enfant,
Sans réfléchir, toi qui n’as pas d’autre science
Que d’aimer, que d’aimer et d’avoir confiance
Et de te jeter toute en ses bras qu’Il te tend,

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

Sans beauté ni savoir, sans force ni vertu,
Être qui par hasard ne ressemble à personne,
Je sais bien qui je suis, l’amour ne m’est pas dû
Et ne pas le trouver n’a plus rien qui m’étonne.

Mais malgré moi j’ai mal… De l’hiver à l’hiver,
Je m’en vais et partout je me sens plus lointaine,
Seule, seule, et le coeur qu’en silence je traîne
Me semble un poids trop lourd, sombre, inutile, amer…

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

Bah ! c’est au même lieu que les chemins divers
Aboutissent enfin, le mien comme les vôtres.
Bonne à rien que le sort conduisit de travers,
Je ferai mon squelette aussi bien que les autres.

Mais où me mettrez-vous, mon Dieu ?… Pas en enfer ;
Je n’eus pas dans le mal assez de savoir-faire.
Et pas au paradis : je n’ai rien pour vous plaire…
Hélas ! me direz-vous comme le monde hier :

Va plus loin, va-t’en ! Qui te connaît ? Passe !
Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.

N’aurai-je au dernier jour ni feu, ni lieu, ni toit
Où reposer enfin ma longue lassitude ?
Ou m’enfermerez-vous — hélas ! que j’aurai froid ! —
Dans une lune vide avec ma solitude ?…

Mais à quoi bon, Seigneur, chercher la fin de tout ?
Vous arrangerez bien ceci sans que j’y songe.
Je m’en vais, mon chemin dénudé se prolonge…
Vous êtes quelque part pour m’arrêter au bout.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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RONDE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Pal Szinyei-Merse
    
RONDE

Mon père me veut marier,
Sauvons-nous, sauvons-nous par les bois et la plaine,
Mon père me veut marier,
Petit oiseau, tout vif te laisseras-tu lier ?

L’affaire est sûre : il a du bien.
Sauvons-nous, sauvons-nous, bouchons-nous les oreilles
L’affaire est sûre : il a du bien…
C’est un mari… courons, le meilleur ne vaut rien !

Quand il vaudrait son pesant d’or,
Qu’il est lourd, qu’il est lourd et que je suis légère !
Quand il vaudrait son pesant d’or,
Il aura beau courir, il ne m’a pas encor !

Malgré ses louis, ses écus,
Ses sacs de blé, ses sacs de noix, ses sacs de laine,
Malgré ses louis, ses écus,
Il ne m’aura jamais, ni pour moins, ni pour plus.

Qu’il achète s’il a de quoi,
Les bois, la mer, le ciel, les plaines, les montagnes,
Qu’il achète s’il a de quoi,
Le monde entier plutôt qu’un seul cheveu de moi !

Laissez-vous mettre à la raison
Et garder au clapier, hérissons, chats sauvages,
Laissez-vous mettre à la raison
Avant qu’un sot d’époux m’enferme en sa maison.

Engraissez-vous au potager,
Bruyères, houx, myrtils des bois, genêts des landes,
Engraissez-vous au potager
Avant qu’un sot d’époux ne me donne à manger.

Je suis l’alouette de Mai
Qui s’élance dans le matin à tire d’ailes,
Je suis l’alouette de Mai
Qui court après son coeur jusqu’au bout du ciel gai !

J’y volerai si haut, si haut,
Que les coqs, les dindons et toute la volaille,
— J’y volerai si haut, si haut, —
S’ils veulent m’attraper en seront pour leur saut.

Si haut, si haut dans la chaleur,
J’ai peur du ciel, j’ai peur, j’ai peur… les dieux sont proches
Si haut, si haut dans la chaleur,
Qu’un éclair tout à coup me brûlera le coeur.

Et, brusque, du désert vermeil,
Il vient, il vient, il vient !… Hui ! l’alouette est prise !
Et, brusque, du désert vermeil,
Un aigle fou m’emportera dans le soleil.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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Le château (Mireille Gaglio)

Posted by arbrealettres sur 10 décembre 2023





Le château

La lune, ronde, sombre,
Dans l’eau glacée d’un lac
Laisse sa trace.
Le rocher aux reflets marbrés
Masse sombre,
Couronnée d’ombre:
C’est le château des chevaliers
Et des secrets.
Témoin de l’histoire
Il est sa mémoire.

Quelle sorcière, naguère, y fit retentir
Ses larmes, ses soupirs,
Ses prières et ses malédictions
Peut-être ses lamentations ?

Fantômes pourpres ou argent,
N’êtes-vous pas la mémoire du temps?
L’empreinte du bûcher
Où tout fut consumé?

Tout dort…
Seules quelques lumières
Altières
Du haut du château endormi
Scintillent dans la nuit.

(Mireille Gaglio)

Illustration

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