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Posts Tagged ‘rejoindre’

L’enfant du garde (René Guy Cadou)

Posted by arbrealettres sur 9 Mai 2024



 

Otto Dix Painting 012 [1280x768]

L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents

Si vous allez au fond du parc
Évitez de tirer de l’arc

La jeune fille du château
Y fait voler robe et chapeau

Elle a des bras des bras des bras
On dirait branches de lilas

Ses yeux d’eau vive son grand deuil
La font pareille à un chevreuil

L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents

Mangez à deux la soupe chaude
Et permettez que je me sauve

Permettez que je la rejoigne
Voici le temps qu’elle se peigne

Agenouillé dans l’herbe haute
Aimer ainsi serait-ce faute ?

L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents.

(René Guy Cadou)

Illustration: Otto Dix

 

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LES AMIS COMMUNS (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 4 mars 2024




    

LES AMIS COMMUNS

Nous avons des amis communs sur Facebook
Des amis communs morts
Personne ne supprime leur profil
Se contentant d’afficher les fleurs

C’est comme d’avoir une grand-mère
Enterrée au cimetière municipal
Et dont le pommier planté à sa tombe
a entremêlé ses racines avec le thuya de la tombe voisine
Je viens nettoyer la veille de Pâques
Des fois qu’elle décide
De se relever cette année

J’enlève les mauvaises herbes
Pour ne pas avoir honte lorsqu’elle se lèvera
J’allume les bougies
Pour avoir de la lumière lorsqu’elle se lèvera

Mais que faire des amis Facebook
Qui ont rejoint un monde meilleur
Alors que leur profil est resté dans ce bas monde

Est-ce qu’ils se relèveront
Vont-ils écrire quelques mots dans le chat
Feront-ils un selfie
Ou mettront-ils un like à ce poème ?

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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DES HOMMES (Jean Follain)

Posted by arbrealettres sur 16 février 2024




    
DES HOMMES

Au milieu d’un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d’autres pleuraient
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.

(Jean Follain)

Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard

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UNE PIERRE (Yves Bonnefoy)

Posted by arbrealettres sur 11 février 2024




    
UNE PIERRE

Viens, que je te dise à voix basse
Un enfant dont je me souviens,
Immobile comme il resta
À distance des autres vies.

Il n’a pas rejoint au matin
Ceux qui jouaient dans les arbres
À multiplier l’univers,
Ni couru a travers la plage
Vers plus de lumière encore.
Vois, pourtant, il a continué
Son chemin au pied de la dune,
Des traces de pas en sont preuves
Entre les chardons et la mer.

Et près d’eux tu peux voir s’emplir
De l’eau qui double le ciel
L’empreinte des pas plus larges
D’une compagne inconnue.

(Yves Bonnefoy)

Recueil: Ce qui fut sans lumière suivi de Début et fin de la neige et de Là où retombe la flèche
Editions: Gallimard

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Un jour (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024




    
Un jour

Attends-moi, ami, jusqu’au terme de ce jour;
Ce jour si parfait de l’été
Qui me retient de charmes sans fin,
Chaleur, musc des roses, enchantement des lumières.
Je vais m’arrêter, orner mon sein d’une fleur;
Anémone est son nom; elle vient de me tenir
Les plus doux, les plus légers propos qu’entende un coeur.
Je vais sur l’herbe m’allonger
Et plonger mes mains dans l’eau ridée du ruisseau
Puis me retourner, contempler le ciel bleu-blanc,
Et rire, pour écouter le rire des collines.
Je veux de ce jour qu’il soit mien,
Et au dernier baiser du soleil à la terre
Je vous rejoindrai toi et ta sobriété,
J’irai à ta guise, sans halte, sans regret,
Sans même garder sur mon sein la frêle fleur.
Attends seulement le terme de ce jour.

***

One Day

Wait for me friend, until the day be past:
This one most perfect summer day,
That hold me with an hundred varying spells
Of warmth, of rose scents and entrancing lights.
I’ll stop to place this flower on my breast;
‘Tis called anemone, and spake to me but jus, a moment gone
The softest, faintest speech that heart could listen to.
Now will I lie upon the sward
Plunging my hands deep in the rippling brook.
Now turn and gaze into the blue white sky
And laugh, and only laugh to hear the hills laugh back at me.
Let me but call the day my own,
And when the sun’s last kiss bath touched the earth
Then will I join thee on thy sober way
Whither thou wilst—nor linger—nor regret
Nor even keep the little flower at my breast.
Only but wait until the day be past.

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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Pei-ts’ing-lo (Li Chang-Yin)

Posted by arbrealettres sur 31 janvier 2024




    
Pei-ts’ing-lo

A l’ouest le couchant absorbe les montagnes.
Je rejoins la hutte du moine solitaire.
Où est-il, parmi les feuilles tombées ?
Sous les nuages froids le chemin zigzague.

Un seul coup de pierre qui chante annonce la nuit.
Paisiblement appuyé sur une tige de rotin,
Particule parmi les particules,
Dans l’oubli de l’amour et de la haine.

(Li Chang-Yin)

Recueil: La montagne vide Anthologie de la poésie chinoise (IIIè – XIè siècle)
Traduction: Patrick Carré et Zéno Bianu
Editions: Albin Michel

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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L’ÉPOUVANTE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Edouard Vuillard    
    
L’ÉPOUVANTE

Bon appétit, cher vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir, demain ?
Une chose longue et toujours pareille.

Nos jours sur nos jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus manger.

Un soir, ainsi, la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets familiers,
J’aurai le coeur plein de brusque surprise.

Je chercherai longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir pourquoi.

J’essayerai d’y voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Noue passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.

Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le coeur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
— Mère, laissez-moi, je ne veux plus rien.

Mère, toi, mère à ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.

Ô père, un soir, comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant vous mangez.

Vous irez errants parmi des ténèbres,
— Je ne sais pas quelles ténèbres, — dans un trou,
— Je ne sais pas lequel… — Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes funèbres.

Et vous mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai heurtés).

Êtes-vous là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?

Ah ! sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite, cachons-nous bien !

Que n’est-il un lieu sûr, secret des hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes.

Petite minute obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans amour ;

Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la bouche ;

Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en paix !

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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À peine descendu sur la berge (Pier Paolo Pasolini)

Posted by arbrealettres sur 20 janvier 2024




    
À peine descendu sur la berge, j’écoute
les grillons en déire, dispersés, qui disent
que rien ne se réjouit de mon retour.
Et je m’en vais seul. Alors de sa secrète solitude
la lune immobile me rejoint et ravive un peu
mes cheveux, ma joue, mon flanc vigoureux.
Où aller maintenant? À quoi bon
le vieux foin sous la première gelée
les mornes étoiles; il n’y a plus qu’un désert
horrible, sans fin…

***

Riascolto, appena sceso giù dall’argine,
grilli in delirio, radi, corne a dirmi
che niente si rallegra al mio ritorno.
E m’incammino solo. Da nascoste
solitudini intanto mi raggiunge
l’immota luna, e appena mi riaccende
i capelli, la gota, il vivo fianco.
Dove m’inoltro? Ahi, non ha più senso
sotto la prima brina il vecchio fieno,
e le squallide stelle, ed è un deserto
orribile, inesteso…

(Pier Paolo Pasolini)

 

Recueil: Je suis vivant
Traduction: Olivier Apert et Ivan Messac
Editions: NOUS

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INVOCATION À LA MOMIE (Antonin Artaud)

Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2024




    

INVOCATION À LA MOMIE

Ces narines d’os et de peau
par où commencent les ténèbres
de l’absolu, et la peinture de ces lèvres
que tu fermes comme un rideau

Et cet or que te glisse en rêve
la vie qui te dépouille d’os,
et les fleurs de ce regard faux
par où tu rejoins la lumière

Momie, et ces mains de fuseaux
pour te retourner les entrailles,

ces mains où l’ombre épouvantable
prend la figure d’un oiseau

Tout cela dont s’orne la mort
comme d’un rite aléatoire,
ce papotage d’ombres, et l’or
où nagent tes entrailles noires

C’est par là que je te rejoins,
par la route calcinée des veines,
et ton or est comme ma peine
le pire et le plus sûr témoin.

(Antonin Artaud)

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