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Poésie

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Après tant et tant de pluie (Richard Rognet)

Posted by arbrealettres sur 22 Mai 2024



Illustration
    
Après tant et tant de pluie,
il fallait bien que s’étranglent les nuages
et que se reconstruise la forteresse du soleil.
Tout commence au fond du parc,

les merles ragaillardis enchantent la lumière,
les herbes qu’on dit mauvaises, avec les roses à moitié mortes,
les cosmos, les soucis, le romarin,
célèbrent à nouveau la vie autour de la maison.

Tout recommence, on est rassuré,
on sent qu’un souffle venu des champs
se pose calmement sur notre solitude.

On pourra lire encore, dans l’air apaisé,
les méticuleuses arabesques du temps.

(Richard Rognet)

Recueil: Élégies pour le temps de vivre suivi de Dans les méandres des saisons
Editions: Gallimard

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NOCTURNE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    
NOCTURNE

Le soleil descend â l’Ouest,
L’étoile du soir brille,
Les oiseaux font silence en leur nid
Et moi aussi je cherche mon gîte.
La lune, comme une fleur
Dans le grand buisson du ciel,
Se dresse au-dessus de la nuit
Et sourit, dans une silencieuse extase.

Adieu vertes prairies, adieu joyeux bosquets
Où les troupeaux ont folâtré,
Où les agneaux broutaient.
Les pieds des anges brillants glissent sans bruit,
Invisibles ils répandent sans cesse
Bienfaits et joie
Sur chaque bouton, sur chaque fleur
Dans chaque poitrine endormie.

Ils se penchent sur chaque nid sans souci
Où les oiseaux sont chaudement pelotonnés
Et visitent les tanières des bêtes
Pour toutes les préserver du mal.
S’ils découvrent quelque souffrance
Qui aurait dû être engourdie,
Ils versent le sommeil sur cette tête
Et s’assoient près de cette couche.

Quand les loups et les tigres hurlent de faim,
Ils sont pleins de pitié et pleurent,
Cherchant à éloigner cet ardent désir
Et à les écarter des brebis.
Mais s’ils bondissent, terribles,
Les anges attentifs
Accueillent les douces victimes
Pour leur ouvrir de nouveaux mondes.

C’est là que verseront des larmes d’or
Les yeux vermeils du lion
Qui aura pitié des faibles plaintes
Et tournera autour du troupeau
Et dira : « Sa douceur chasse la colère
Et sa santé
Chasse la maladie
De notre immortelle lumière. »

Et près de toi, bêlant agneau,
Je peux m’étendre et dormir
Ou penser à Celui qui porta ton nom
Et paître avec toi et pleurer.
Car, purifiée dans la rivière de vie
Ma crinière à jamais éblouissante
Resplendira comme l’or,
Pendant que je veillerai sur le troupeau.

***

Night

The sun descending in the west,
The evening star does shine;
The birds are silent in their nest.
And I must seek for mine.
The moon, like a flower
In heaven’s high bower,
With silent delight
Sits and smiles on the night.

Farewell, green fields and happy grove,
Where flocks have took delight:
Where lambs have nibbled, silent move
The feet of angels bright;
Unseen they pour blessing
And joy without ceasing
On each bud and blossom,
And each sleeping bosom.

They look in every thoughtless nest
Where birds are cover’d warm;
They visit caves of every beast,
To keep them all from harm:
If they see any weeping
That should have been sleeping,
They pour sleep on their head,
And sit down by their bed.

When wolves and tigers howl for prey,
They pitying stand and weep,
Seeking to drive their thirst away
And keep them from the sheep.
But, if they rush dreadful,
The angels, most heedful,
Receive each mild spirit,
New worlds to inherit.

And there the lion’s ruddy eyes
Shall flow with tears of gold:
And pitying the tender cries,
And walking round the fold:
Saying,  Wrath, by His meekness,
And, by His health, sickness,
Are driven away
From our immortal day.

And now beside thee, bleating lamb,
I can lie down and sleep,
Or think on Him who bore thy name,
Graze after thee, and weep.
For, wash’d in life’s river,
My bright mane for ever
Shall shine like the gold
As I guard o’er the fold.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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LE PRÉ DES SONS (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    

LE PRÉ DES SONS

Le soleil se lève
Et tout le ciel est heureux.
Salué par les cloches joyeuses,
Le printemps s’approche ;
L’alouette et la grive
Et tous les oiseaux des buissons
Font une ronde de leur chant
Autour du carillon de joie,
Et le pré de nos jeux
Sera le pré des sons.

Jean le vieil homme aux cheveux blancs,
Rit et chasse les soucis
Sous un chêne,
Et tous les grands-parents
Ils rient, ils rient,
Disent et disent :
Même joie de notre temps,
Même joie en ce jeune temps
Où nous étions garçons et filles
Dans le pré des sons.

Puis voici les petits si las.
Que leur joie est tombée
Comme le soleil
Et nos jeux sont finis.
Sur les genoux des mères,
Les enfants, les petits enfants,
Comme des oiseaux dans un nid,
Vont s’endormir.
Et des jeux, on n’en verra plus
Sur le pré des ombres.

***

The Ecchoing Green

The sun does arise,
And make happy the skies.
The merry bells ring
To welcome the Spring.
The sky-lark and thrush,
The birds of the bush,
Sing louder around,
To the bells’ cheerful sound.
While our sports shall be seen
On the Ecchoing Green.

Old John, with white hair
Does laugh away care,
Sitting under the oak,
Among the old folk,
They laugh at our play,
And soon they all say.
Such, such were the joys.
When we all girls & boys,
In our youth-time were seen,
On the Ecchoing Green.

Till the little ones weary
No more can be merry
The sun does descend,
And our sports have an end:
Round the laps of their mothers,
Many sisters and brothers,
Like birds in their nest,
Are ready for rest;
And sport no more seen,
On the darkening Green.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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Orage d’hiver (Hans Magnus Enzensberger)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    

Orage d’hiver

Quand l’air devient blanc,
que la vision perd la vue,
que le ciel tonne et fulmine,
que dans les bureaux s’éteint la lumière,
et que seule la sirène des pompiers
traverse le voile de neige
qui s’amoncelle en congères lumineuses,

les soucis, les affaires, les urgences
disparaissent pour un quart d’heure,
et sans penser à rien, enfin,
tu laisses ton regard se perdre
dans ce monde d’une aveuglante obscurité.

***

Wintergewitter

Wenn die Luft weiß wird,
die Sicht erblindet,
der Himmel knallt und blitzt,
das Licht in den Büros erlischt,
und nur die Sirene der Feuerwehr
durch den stiebenden Vorhang dringt,
der helle Wächten vor sich her treibt,

verschwinden für eine Viertelstunde Sorgen,
Geschäfte, Dringlichkeiten,
und du schaust hinaus,
endlich gedankenlos,
in die blendend verdunkelte Welt.

(Hans Magnus Enzensberger)

Recueil: L’HISTOIRE DES NUAGES 99 méditations
Traduction: de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Editions: Vagabonde

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Au loin disparu (Su Wu)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024



Illustration
    
Au loin disparu

Le cygne déploie ses ailes agiles et laisse le vent le porter au loin.
Un air vif le rappelle au souci et il tourne la tête, incertain.
Un cheval livre ses pas lourds à la steppe désertée — les siens sont partis.
Son coeur s’enlise dans des pensées interdites comme ses sabots dans la glaise meuble.

Le destin s’abat sans pitié sur deux dragons que leurs ailes opposent.
Il reste pourtant les chants qui savent révéler les amours secrets.
À l’ami qui s’en va, je joins les mots du ruisseau où coulent mes larmes.
L’écho des tambours exalte les vertus mâles et déchire les coeurs des compagnons vaincus.

La solitude des vers alimente le brasier du souvenir
Et plombe mon âme, mon âme brisée dans l’horizon des peines.
J’aimerais pouvoir entonner encore les airs de l’enfance,
Ton pays est loin désormais — il t’ignore jusqu’au trépas.

Le mal me dévisage et il pleut sur les joues des filets d’amertume.
Les cygnes volent leur vie entière deux à deux
Mais pour nous, hommes, qui ne pouvons nous envoler ensemble
Il n’y a que routes mornes aux destins séparés.

(Su Wu)

(140-60 av. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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En rencontrant la peine (Le Recueil des chants du Sud)(Chuci)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024




    
En rencontrant la peine

J’ai planté neuf acres d’orchidées,
Ensemencé cent champs de tournesol,
Piqué pivoines et lève-chars,
Marié les iris aux asarets.
Dans l’attente des tiges et des brins
J’excite l’espoir de la floraison grasse.
À quand le temps juste de la belle récolte ?
Et si elles fanent, mes jolies fleurs ;
Et si elles meurent
À quoi bon la crainte, à quoi bon la peine !
Je m’afflige pourtant de voir un jour
Leur parfum mêlé aux herbes folles.
J’ai vu les hommes se surpasser
En avarice et en cupidité.
Ce qu’ils ont s’ombre toujours
À la lumière de ce qu’ils n’ont pas encore.
Si satisfaits d’eux-mêmes
Vautrés dans l’indulgence
Leurs yeux impitoyables
Ne laissent personne indemne.
Ils cajolent ainsi l’aigreur de leur coeur jaloux.
J’ai quitté l’arène des hommes ;
Mais mon âme court les chemins glorieux
C’est l’âge qui me talonne aujourd’hui ;
Il m’apporte encore le souci du renom.
Je bois les perles d’eau à l’aube du magnolia ;
Le soir, je me nourris du chrysanthème d’automne.
Je suis désormais les accords de mon coeur parfait.
Quel mal y a-t-il à voir mon visage maigre et pâle ?

(Le Recueil des chants du Sud)(Chuci)

(IVè-IIIè siècles av. J.-C. : période des Royaumes Combattants)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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L’ÉPOUVANTE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Edouard Vuillard    
    
L’ÉPOUVANTE

Bon appétit, cher vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir, demain ?
Une chose longue et toujours pareille.

Nos jours sur nos jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus manger.

Un soir, ainsi, la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets familiers,
J’aurai le coeur plein de brusque surprise.

Je chercherai longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir pourquoi.

J’essayerai d’y voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Noue passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.

Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le coeur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
— Mère, laissez-moi, je ne veux plus rien.

Mère, toi, mère à ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.

Ô père, un soir, comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant vous mangez.

Vous irez errants parmi des ténèbres,
— Je ne sais pas quelles ténèbres, — dans un trou,
— Je ne sais pas lequel… — Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes funèbres.

Et vous mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai heurtés).

Êtes-vous là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?

Ah ! sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite, cachons-nous bien !

Que n’est-il un lieu sûr, secret des hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes.

Petite minute obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans amour ;

Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la bouche ;

Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en paix !

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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La morte (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 21 janvier 2024



Illustration; Alexander Bartashevich
    
La morte et ses mains tristes
Arrive au Paradis.

« D’où reviens-tu, ma fille
Si pâle en plein midi?

– Je reviens de la terre
Où j’avais un pays,

De la saison nouvelle
Où j’avais un ami.

Il m’a donné trois roses
mais jamais un épi.

Avant la fleur déclose,
Avant le blé mûri,

Hier il m’a trahie.
J’en suis morte aujourd’hui.

– Ne pleure plus ma fille
Le temps en est fini.

Nous enverrons sur terre
Un ange en ton pays.

Quérir ton ami traître,
Le ramener ici.

N’en faites rien, mon Père
La terre laissez-lui.

Sa belle y est plus belle
Que belle je ne suis,

Las ! et faudra, s’il pleure
Sans elle jour et nuit

Que de nouveau je meure
d’en avoir trop souci. »

(Marie Noël)

 

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La Cigale et la Fourmi (Isaac de Benserade)

Posted by arbrealettres sur 12 janvier 2024



Illustration: Grandville
    
La Cigale et la Fourmi.

On connaît les amis dans les occasions.
Chère Fourmi, d’un grain soyez-moi libérale ;
J’ai chanté tout l’été : tant pis pour vous Cigale ;
Et moi j’ai tout l’été fait mes provisions.

Vous qui chantez, riez, et toujours sans souci,
Ne songez qu’au présent, profitez de ceci.
Pleurs, dit un vieux refrain, sont au bout de la danse.
J’ajoute : l’on périt faute de prévoyance.

(Isaac de Benserade)

 

Recueil: Fables
Editions:

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