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VENT ET NUIT (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 9 Mai 2024





VENT ET NUIT

Heure de vent,
nuit contre la nuit,
ici, dans ma nuit.

Le vent taureau,
court, s’arrête, tourne,
va-t-il quelque part ?

Vent courroucé :
aux carrefours
l’âme se brise.

Comme moi-même,
colère accumulée
sans dénouement.

Vers où suis-je ?
Le vent vient et va.
Ni ici ni là.

Miroir aveugle.

(Octavio Paz)

Illustration

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Intérieur (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 7 Mai 2024




Intérieur

Pensées en guerre
veulent briser mon front

Par des chemins d’oiseaux
avance l’écriture

La main pense à voix haute
le mot en convie un autre

Sur la feuille où j’écris
vont et viennent les êtres que je vois

Le livre et le cahier
replient les ailes et reposent

On a déjà allumé les lampes
comme un lit l’heure s’ouvre et se ferme

Les bas rouges et le visage clair
vous entrez toi et la nuit

***

Interior

Pensamientos en guerra
quieren romper mi frente

Por caminos de pájaros
avanza la escritura

La mano piensa en voz alfa
una palabra llama a otra

En la hoja en que escribo
van y vienen los seres que veo

El libro y el cuaderno
repliegan las alas y reposan

Ya encendieron las lámparas
la hora se abre y cierra como un lecho

Con medias rojas y cara pálida
entran tú y la noche

(Octavio Paz)

Illustration: Giuseppe de Nittis

 

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Chanson persane (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    

Chanson persane

Celle qui tiens mon cœur m’a dit languissamment :
« Pourquoi donc es-tu triste et pâle, ô mon Charmant ? »
M’a dit languissamment celle qui tient mon cœur.

Celle qui tient mon cœur m’a dit moqueusement :
« Quel miel d’amour a donc englué mon Charmant ? »
M’a dit moqueusement celle qui tient mon cœur.

Moi, j’ai pris un miroir et j’ai dit à la Belle :
« Regarde en ce miroir, regarde, ô ma cruelle ! »
Et j’ai dit à la Belle, en brisant le miroir :

« Comme une perle d’ambre attire un brin de paille,
La langueur de ton teint m’appelle, je défaille,
Je suis le brin de paille et toi la perle d’ambre. »

« Apportez-moi des fleurs fleurantes et des cinnames
Pour ranimer le cœur de mon Roi qui se pâme,
Des cinnames pour son âme et des fleurs pour son son cœur ! »

(Rémy de Gourmont)

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CONTRE-MORT (Bernard Noël)

Posted by arbrealettres sur 27 avril 2024



Illustration: Gunther von Hagens
    
CONTRE-MORT

moi
qui chaque jour creuse sous ma peau
je n’ai soif
ni de vérité ni de bonheur ni de nom
mais de la source de cette soif
je ne promène pas mon petit démon bien policé
j’en ai dix mille me rongeant
et je leur souris
non pas comme une Joconde
non pas comme un bouddha satisfait de son détachement
non pas comme un yogi à l’âme soigneusement musclée
mais comme un homme
auquel tous les chemins ne sont pas bons
et
à mesure que le creux là-dessous va grandissant
d’étranges machines apparaissent dans mon corps
et d’abord cet oeil qui a percé à la racine du nez
et qui me fait douter de la valeur de mes yeux
condensation du regard
triangle à l’intérieur de mon crâne

triangle sans base
tel un entonnoir où s’engouffrent les cris
venus de la moelle épinière et du ventre
(du ventre dans lequel pousse
un énorme faisceau de racines flexibles
et dures comme des aiguilles d’acier)

triangle dont les parois incandescentes
tracent dans le cerveau une brûlure drainante
une brûlure qui est la présence même
la présence des choses
qui entrent en moi comme une décharge
une décharge brisant les écailles
brisant la paille et la poutre
brisant le filtre et les dents

il faudrait dire comment
dire la vision claire de cet oeil
qui n’a ni tendresse ni cynisme ni compassion
mais qui est vide et inexorable

tel un nuage d’abeilles au-dessus du gouffre
la présence approche
pattes de miel
douceur tiède
et
soudain
les mille piqûres des dards
il n’y a pas d’autre issue que le saut
mais

LE VIDE PORTE

les yeux regardent à travers le seul oeil
et dans l’épaisseur de midi
les choses entrent dans mon corps
l’espace se retrousse
dedans est immense
alors
tentation d’organiser aussitôt la conquête et d’en jouir
il fait soleil sous les épaules

[…]

(Bernard Noël)

Recueil: Extraits du corps
Editions: Gallimard

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Sauvetage (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 20 avril 2024




    
Sauvetage

Si tu n’existais pas,
si tu étais, je ne sais pas,
un tire-bouchon tressé,
une dichotomie entre ton âme et ton corps,
des envies qui restent sur leur faim.
Si tu étais, comment dire,
quelqu’un qui s’ajuste aux limites des jours,
un soupçon,
une tentative.

Si tu n’existais pas,
si tu étais autre chose
avec les mêmes visage, voix et mains,
mais autre chose,
en ma fin de ton compte,
je te traverserais entière,
je briserais tes barrières,
j’irais de ton nord à ton sud en foulant
ta boussole
comme le naufragé qui parcourt des forêts
pour atteindre la mer
et je te peuplerais de mes bateaux,
à la proue de ton essence

j’attendrais
sans aucune hésitation ni délai
le sauvetage.

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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je suis allée faire un tour sur la plage (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 20 avril 2024




    
je suis allée faire un tour sur la plage,
il a plu comme sin on avait brisé le coeur du ciel
et j’ai compris
qu’on est de là où on pleure, mais qu’on voudra
toujours aller là où on rit.

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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Les bords de l’azur (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 6 avril 2024




    
Les bords de l’azur brisent la pierre.

Les papillons dorment,
mais leurs couleurs ne dorment pas.
Les amants dorment,
mais leur amour ne dort pas.
Les marges de dieu sont érodées.

Comment faire rentrer les choses dans les choses ?
Comment égaler la vie à sa mémoire ?
Comment polir mes yeux dans les tiens ?

La géométrie de l’être n’a pas d’espace.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Quelqu’un s’élèvera de la terre (Joy Harjo)

Posted by arbrealettres sur 3 avril 2024



Illustration
    
Quelqu’un s’élèvera de la terre
Sans ailes.

Un autre tombera du ciel
En passant par les noeuds d’un arbre.

Le chaos est primordial.
Tous les mots y prennent racine.

Tu ne dormiras jamais plus
Mais tu ne cesseras jamais de rêver.

La fin ne peut que suivre le commencement.
Et elle zigzaguera à travers le temps, les gouvernements, les amants.

Sois qui tu es, même si ça te tue.

Ça te tuera, oui. Encore et encore.
Alors même que tu vis.

Brise-moi le coeur, allez, veux-tu ?

***

Someone will lift from the earth
Without wings.

Another will fall from the sky
Through the knots of a tree.

Chaos is primordial.
All words have roots here.

You will never sleep again
Though you will never stop dreaming.

The end can only follow the beginning.
And it will zigzag through time, governments, and lovers.

Be who you are, even if it kills you.

It will. Over and over again.
Even as you live.

Break my heart, why don’t you?

(Joy Harjo)

Recueil: L’aube américaine
Traduction: de l’anglais (Etats Unis) par Héloïse Esquié
Editions: Globe

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BRISE-MOI LE CŒUR (Joy Harjo)

Posted by arbrealettres sur 3 avril 2024



La piste des Larmes
(en cherokee : Nunna daul Isunyi,
« La piste où ils ont pleuré »
en anglais : Trail of Tears)
    

BRISE-MOI LE CŒUR

Il y a toujours des fleurs,
Des cris d’amour, ou du sang.

Toujours quelqu’un qui part Via
l’exil, la mort ou le chagrin.

Le coeur est un poing.
Il empoche la prière ou retient la colère.

Il est un chronomètre.
Un musicien, ou un oracle à la sauvette.

Bébé, bébé, bébé
Tu ne peux pas dire ce qui fut dit

Avant, bien que même les mots
Soient des êtres d’habitude.

Tu ne peux forcer la poésie
À coups de règles, ou l’enchaîner à un bureau.

Le mystère est aveugle, mais te pousse
À dénouer le voile, pour l’éternité.

La police avec ses armes
Ne peut entrer ici et nous chasser de nos terres.

L’Histoire te trouvera toujours, et t’enveloppera
Dans ses mille bras.

***

BREAK MY HEART

There are always flowers, Love cries, or blood.
Someone is always leaving

By exile, death, or heartbreak.
The heart is a fist.

It pockets prayer or holds rage.
It’s a timekeeper.

Music maker, or backstreet truth teller.
Baby, baby, baby

You can’t say what’s been said
Before, though even words Are creatures of habit.

You cannot force poetry
With a ruler, or jail it at a desk.

Mystery is blind, but wills you
To untie the cloth, in eternity.

Police with their guns
Cannot enter here to move us off our lands.

History will always find you, and wrap you
In its thousand arms.

(Joy Harjo)

Recueil: L’aube américaine
Traduction: de l’anglais (Etats Unis) par Héloïse Esquié
Editions: Globe

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Involontairement (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2024




    
Involontairement je brise avec les doigts
une petite branche.
Je touche l’endroit de la rupture
et mes doigts s’illuminent:
le tout de la branche
a passé dans mes doigts.
Il restera en eux,
bien qu’à son tour je ne sais quoi me les brise
et que le tout de mes doigts
passe dans autre chose.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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