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Poésie

Posts Tagged ‘joindre’

ANALOGUE (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 12 avril 2024




    
ANALOGUE

Oui, joins les mains et prie…
Que tu pries est dans l’air…
Je sens que l’âme est prise
A tout ce que tu penses…

Il n’y a pas de chapelle,
Mais la paix de te croire
Rien que priant : en elle,
Moi, te rêver, te voir…

Rien de tout ça n’est sûr…
Tu souris, tu souris,
Et des nuages près
Planent de leurs profils…

De tous je ne sais rien.
Et je les aime tous…
Dans les nues je m’oublie
Et alors je m’appelle…

Mais le chant a cessé
Qui m’avait fait rêver
Tout cet enchantement…
Laisse-moi ne pas te trouver…

(Fernando Pessoa)

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Paix (Yannis Ritsos)

Posted by arbrealettres sur 20 mars 2024




    

Paix

Le rêve de l’enfant, c’est la paix.
Le rêve de la mère, c’est la paix.
Les paroles de l’amour sous les arbres, c’est la paix.
Quand les cicatrices des blessures se ferment sur le visage du monde
et que nos morts peuvent se tourner sur le flanc et trouver
un sommeil sans grief
en sachant que leur sang n’a pas été répandu en vain,
c’est la paix.

La paix est l’odeur du repas, le soir,
lorsqu’on n’entend plus avec crainte
la voiture faire halte dans la rue,
lorsque le coup à la porte désigne l’ami
et qu’en s’ouvrant la fenêtre
désigne à chaque heure le ciel
en fêtant nos yeux aux cloches lointaines des couleurs,
c’est la paix.

La paix est un verre de lait chaud
et un livre posés devant l’enfant qui s’éveille.
Lorsque les prisons sont réaménagées en bibliothèques,
lorsqu’un chant s’élève de seuil en seuil, la nuit,
à l’heure où la lune printanière sort du nuage
comme l’ouvrier rasé de frais
sort du coiffeur du quartier, le samedi soir
c’est la paix

Lorsque le jour qui est passé
n’est pas un jour qui est perdu
mais une racine
qui hisse les feuilles de la joie dans le soir,
et qu’il s’agit d’un jour de gagné
et d’un sommeil légitime, c’est la paix.

Lorsque la mort tient peu de place dans le coeur
et que le poète et le prolétaire
peuvent pareillement humer le grand oeillet du soir,
c’est la paix.

Sur les rails de mes vers,
le train qui s’en va vers l’avenir chargé de blé et de roses,
c’est la paix.

Mes frères,
au sein de la paix, le monde entier
avec tous ses rêves respire à pleins poumons.
Joignez vos mains, mes frères,
C’est cela, la paix.

(Yannis Ritsos)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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Au loin disparu (Su Wu)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024



Illustration
    
Au loin disparu

Le cygne déploie ses ailes agiles et laisse le vent le porter au loin.
Un air vif le rappelle au souci et il tourne la tête, incertain.
Un cheval livre ses pas lourds à la steppe désertée — les siens sont partis.
Son coeur s’enlise dans des pensées interdites comme ses sabots dans la glaise meuble.

Le destin s’abat sans pitié sur deux dragons que leurs ailes opposent.
Il reste pourtant les chants qui savent révéler les amours secrets.
À l’ami qui s’en va, je joins les mots du ruisseau où coulent mes larmes.
L’écho des tambours exalte les vertus mâles et déchire les coeurs des compagnons vaincus.

La solitude des vers alimente le brasier du souvenir
Et plombe mon âme, mon âme brisée dans l’horizon des peines.
J’aimerais pouvoir entonner encore les airs de l’enfance,
Ton pays est loin désormais — il t’ignore jusqu’au trépas.

Le mal me dévisage et il pleut sur les joues des filets d’amertume.
Les cygnes volent leur vie entière deux à deux
Mais pour nous, hommes, qui ne pouvons nous envoler ensemble
Il n’y a que routes mornes aux destins séparés.

(Su Wu)

(140-60 av. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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BERCEUSE D’ACTIONS DE GRACES (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 23 janvier 2024




    
BERCEUSE D’ACTIONS DE GRACES

Dors, mon pauvre coeur, ta journée est lasse.
C’est assez longtemps courir sur la trace
De l’amour qui fuit, du bonheur qui passe.

Dors, mendiant, dors…

C’est assez longtemps mendier ton pain,
Raconter ta peine et tendre la main,
Dors, tu n’en auras jamais à ta faim.

Dors, mendiant, dors…

Ne cherche plus rien, joins les mains et serre
Ta joie immense, ô ma longue misère,
D’avoir ce soir presque le nécessaire.

Dors, mendiant, dors…

Dors, puisqu’un bon riche à la fin du jour
Jusqu’à toi venu par un long détour
T’a fait l’aumône, enfin ! d’un peu d’amour.

Dors, mendiant, dors…

Dors, il t’a couvert d’un manteau de laine,
Tu n’as plus besoin de rien ô ma peine,
Raconte-toi tout bas ta bonne aubaine.

Dors, mendiant, dors…

C’est un vieil habit qui servit beaucoup.
On l’a tant mis qu’il n’en reste qu’un bout
Effiloché, déteint, troué partout.

Dors, mendiant, dors…

Il s’est usé, ce manteau de tendresse,
Sur tant et tant d’épaules en détresse
Qu’il t’est trop court, ô dernière pauvresse.

Dors, mendiant, dors…

Mais c’est assez, cette loque, c’est trop,
Cette bonté, c’est plus qu’il ne te faut
Pour t’endormir dessus, pour avoir chaud.

Dors, mendiant, dors….

Fais-toi bien petit, bien bas, de manière
À t’envelopper l’âme tout entière
Dans ce bout de joie et clos ta paupière.

Dors, mendiant, dors…

Sur ton bonheur, le coeur émerveillé,
Pose la tête et dors sans t’éveiller
Comme un enfant las sur son oreiller.

Dors, mendiant, dors…

Dors sur ton bonheur, dors et chante en rêve,
Dors, sans avoir peur que la nuit s’achève,
Dors, sans avoir peur que le jour se lève.

Dors, mendiant, dors…

Et si le temps passe encor, si le vent
Te prend tes haillons, si tout en rêvant
Tu demeures nu comme auparavant,

Dors, mendiant, dors…

Si la pitié que tu tiens ramassée
Sur ton coeur frileux demain est passée,
Dors dans la douceur qu’elle t’a laissée.

Dors, mendiant, dors…

Et béni soit pour cet habit fané
Celui qui vers toi s’étant retourné
S’il avait eu plus te l’aurait donné.

Dors, mendiant, dors…

Et béni soit Dieu ! Lui qui nous apprête
Le manteau d’amour tout entier, la fête
Qui nous couvrira des pieds à la tête.

Dors, mendiant, dors…

Béni soit Dieu ! Sous son manteau blottis
Avec tous les saints, les grands, les petits,
Nous aurons bien chaud dans le Paradis.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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DIALOGUES (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Berthe Morisot   
    
DIALOGUES

Comme la tombe sur les morts mon coeur est lourd,
La tombe sur les morts close avec de la pierre.
Mes yeux veulent toujours regarder en arrière.
Qu’ai-je donc égaré le long du temps qui court ?

— Va prier le soleil pour que mon champ prospère,
C’est ta dot qui mûrit dans nos blés.
— Oui, mon père.

Depuis qu’on a fermé la porte sur ses pas,
La nappe du festin est à jamais pliée.
Je ne sais pas s’il m’a tout à fait oubliée,
Mais quand je le rencontre il ne me parle pas.

— Sommes-nous au couvent ? Cette robe sévère,
Ôte-la. Mets ta robe à volants.
— Oui, ma mère.

J’ai mal… je ne sais pas où souffrir me conduit,
Et dans mon coeur j’entends un rossignol de flamme
Désespéré qui chante, chante à perdre l’âme.
Mais j’attends pour pleurer, comme j’attends la nuit !

_ Soeur, la chanson d’amour que tu savais naguère,
Celle où passe un oiseau, chante-la…
— Oui, mon frère.

Quand donc viendra la mort dont les pas font frémir
pour qu’enfin de l’aimer, enfin ! je me repose…
II sera doux le jour où de la chambre close
On joindra les volets pour me laisser dormir.

_ Soeur, partons ! Serais-tu par hasard endormie ?
Le bal est commencé. Vite, allons !

— Oui, ma mie.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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Nusch (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 2 décembre 2023


Crystal bleu lumière- Acrylique sur polystyrène-50X50 cms-Nat.D. 2009

 

Les sentiments apparents
La légèreté d’approche
La chevelure des caresses.

Sans soucis sans soupçons
Tes yeux sont livrés à ce qu’ils voient
Vus par ce qu’ils regardent.

Confiance de cristal
Entre deux miroirs
La nuit tes yeux se perdent
Pour joindre l’éveil au désir.

(Paul Eluard)

Illustration

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LE CHARME DU PLAISIR (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 18 novembre 2023




    
LE CHARME DU PLAISIR

1

Jeune beauté faite pour nos désirs
A la gaité joignez la volupté.
C’est la divinité
Qui soutient votre empire
Dans les bras d’un amant.
Que son cœur est charmant.
Qu’en pensez-vous ?
Bon je vous vois sourire.

2

Pour vos appas Lucie mon cœur soupire.
Laissez moi voir
Par dessous ce mouchoir
Ah le beau reposoir.
Souffrez que l’on admire.
Je voudrais que ma main
Y commette un larcin.
Qu’en pensez-vous ? (bis)

3

Quoi, vous boudez !
Lucie je me retire
J’irai plus bas chercher d’autres appas.
Si je fais du fracas
Vous n’aurez rien à dire ;
Si je donne du désir
Et aussi du plaisir
Qu’en pensez-vous ? (bis)

4

Il ne faut pas
Mourir vierge martyre.
Faisons un tour au palais de l’amour.
Des secrets de sa cour
Je vais vous instruire.
Son trône est un sofa,
Son sceptre le voilà
Qu’en pensez-vous ? (bis)

5

Suivez mes pas
Je suis un vaillant sire :
Cinq à six fois
C’est le moins de mes exploits
Cet ouvrage je crois,
C’est vous qui me l’inspirez.
Demain je reviendrai, je recommencerai
Qu’en pensez-vous ? (bis)

6

Fanchette, hé bien
Ne voulez-vous rien dire ?
Répondez donc si cela est ou non.
Vous savez qu’un garçon
Demande à se produire.
Son plus cher agrément
Est celui d’être amant
Qu’en pensez-vous (bis).

7

Qu’en pensez-vous
Plus belle que l’aurore ?
Vos yeux riant me rendront-ils content ?
Ne tardez pas longtemps
Tendre objet que j’adore.
Rendez-moi mon cœur joyeux.
Faites un amant heureux
Qu’en pensez vous ? (bis)

8

Qu’en pensez-vous ?
Ah daignez donc m’instruire.
Vos sentiments me semblent surprenants.
Un silence aussi grand !
Faites que mon cœur soupire.
Apprenez moi enfin
Quel sera mon destin.
Qu’en pensez-vous ? (bis)

9

Laissez charmer votre cœur Zémire
Pourquoi tarder
Puisqu’il faut s’engager.
Le temps est précieux
Quand le cœur le désire.
Comblerez-vous mes vœux ?
Oui, je lis dans vos yeux.
Qu’en pensez-vous ? (bis)

10

Oui cher Tircis votre amour j’accepte
Mais un amant doit agir prudemment.
Si je fus si longtemps
A demeurer muette,
C’est pour mieux sentir
Le charme du plaisir
Qu’en pensez-vous ?
Bon je vous vois sourire.

(Chansons du XVIIIè)

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QUOIQUE ENCORE PETITE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 16 novembre 2023



Illustration
    
QUOIQUE ENCORE PETITE

1

Que n’ai-je de l’agrément
Pour avoir un amant tendre.
J’ai déjà plus de quinze ans
Et je suis lasse d’attendre.
Je vois que ma grande sœur
En a beaucoup à la suite.
Hélas j’ai bien du malheur
D’être encore au rang des petites.

2

L’autre jour dans un vallon
J’aperçois une bergère
Avec son berger mignon.
Je parlais d’amour sincère :
J’ai vu aussitôt leur sort
Ah mon pauvre cœur palpite !
Comment peindre ma douleur,
C’est un défaut d’être petite.

3

Viens à moi petit mouton
Que je te fasse caresse.
Quitte ton berger mignon.
– Il faut que tu sois ma maîtresse.
– Je n’ai pas tant de bonheur.
Ma sœur a tout le mérite.
Hélas que j’ai du malheur
D’être encore au rang des petites

4

Derrière un buisson caché
Il sortit pour la bergère
Le plus joli des bergers,
Qui lui dit « Paie ma poulette ! »
Ce loup parut étonnant,
Elle en fut toute interdite.
Rassurez-vous belle enfant :
Je suis votre amant ma petite.

5

Vous avez beaucoup d’appas,
Je trouve en vous une grâce
Que bien des grandes n’ont pas,
Car guère ne vous surpassent.
Je veux joindre mes liens
Au nombre de vos mérites,
Puisque votre grande sœur
Vous en avez quoique petite.

6

Je rends des grâces à l’amour
Qui m’a donné l’art de plaire.
A mon berger chaque jour
Je veux lui être sincère.
Je suis contente aujourd’hui :
Mon malheur a pris la fuite
J’ai l’amant le plus joli
Quoique je suis encore petite.

(Chansons du XVIIIè)

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JE NE PUIS PLUS ATTENDRE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 16 novembre 2023



Illustration: François Boucher
    
JE NE PUIS PLUS ATTENDRE

1

Jardin rempli des charmes
Que vous êtes charmant.
Vous suspendez mes larmes
Et les maux que je ressens.
Tous les plaisirs j’éprouve
Dans ce lieu enchanté.
Heureux si je retrouve
Ma chère liberté.

2

J’adore une inhumaine
Qui ne m’aime pas .
Insensible à ma peine
Elle cause mon trépas.
Je gémis, je soupire
Enchaîné par l’amour.
Je conte mon martyr
Aux échos d’alentour.

3

Pour dissiper ma peine
Et mon cuisant chagrin
Je vais, je me promène.
Quelque tour au jardin
L’amour me favorise :
Dans ce jardin fleuri
Je vis, quelle surprise,
Ma bergère endormie.

4

Quel transport me dévore !
Qu’entends-je, où suis-je hélas !
L’amour m’occupe encore
Qui est donc, qui voilà ?
C’est Colin ou je rêve.
Le sommeil l’a surpris
Il faut que je me lève
Pour joindre mes brebis.

5

Au bord d’une fontaine
Elle était étendue
Alors mes yeux promènent.
Sa gorge toute nue.
Non jamais dans Cythère
L’amour ne fut si beau.
Cette entrevue si chère
A donné tous mes maux.

6

Je vis sur une rose
Un papillon léger,
De la sucer il n’ose
Sans prévoir le danger.
De là je vis une belle
Caresser son amant.
Que ne puis-je ma chère
En faire tout autant.

7

Doux zéphyr de l’aurore
Voltigez doucement,
La beauté que j’adore
Dort bien tranquillement.
Doux oiseaux de nos plaines
Chantez un peu plus bas.
Laissez dormir Climène
Ne l’interrompez pas.

8

Où courez-vous si vite
Insensible beauté ?
Pour vous mon cœur palpite
…. Arrêtez, arrêtez…
A des discours si tendres
Colin soit mon vainqueur.
Je ne peux plus attendre,
Je te donne mon cœur.

(Chansons du XVIIIè)

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LE MARTYRE DE L’AMANTE AU COUVENT (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 15 novembre 2023




    
LE MARTYRE DE L’AMANTE AU COUVENT

1

Faut-il pour un amant
Que ce couvent soit ma résidence ?
Verrais-je avec plaisir
Bientôt finir ce temps de souffrir ?
Sans cesse dans l’impatience
Dois-je donc perdre l’expérience
De voir le lieu charmant
Où mon amant me fit son serment ?

2

Ce jour délicieux
Est trop heureux que je le regrette.
Mes yeux vous ont perdu.
Vœux superflus. Non, je ne sors plus.
Voltigeons de ce vert bocage.
Cessez donc votre joyeux ramage.
Julie est au couvent.
Bien tristement, loin de son amant.

3

Ce jour peu consolant
Trop auniant(*) fatale retraite
Je vois de mes beaux jours
Le triste cours passer sans amour.
Loin de l’amant que je regrette
Je pleure et je languis seulette,
Hélas que devenir,
Toujours gémir. Il faut donc mourir !

4

Grille, triste parloir,
Votre pouvoir fait couler mes larmes.
Peu ou plus de fierté !
De la dureté pour ma liberté !
Au monde, je n’ai plus des charmes
Mes plaisirs se changent en alarmes.
Amour, grand dieu des cœurs
Calmez mes pleurs, changez mon malheur.

5

Vous qui sous des verrous
Parut jaloux me donnant des chaînes
Est-ce un crime d’aimer et de charmer !
Pourquoi m’alarmer
Ignorez-vous toutes les peines
Que j’endure amante inhumaine
L’amant dont j’ai la foi
Est loin de moi sans savoir pourquoi.

6

Barbare de mon cœur
Votre fureur quand finira-t-elle ?
J’aimerai mon amant
Sincèrement éternellement.
Quand je fermerai mes paupières
Au ciel je ferai ma prière
Qu’il vive heureux content.
Puis en mourant, adieu mon amant !

7

Petits oiseaux du bois
Joignez ma voix, plaignez mon martyre
Aux bergers d’alentour.
Chantez toujours mes tristes amours.
Je me plains, hélas je soupire.
C’est en vain que je le désire
Amour, grand dieu des cœurs
Calmez mes pleurs, changez mon malheur.

(*) Auniant : mesurant à la longueur de l’aune, comme l’auneur avant la Révolution…

(Chansons du XVIIIè)

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