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BERCEUSE D’ACTIONS DE GRACES (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 23 janvier 2024




    
BERCEUSE D’ACTIONS DE GRACES

Dors, mon pauvre coeur, ta journée est lasse.
C’est assez longtemps courir sur la trace
De l’amour qui fuit, du bonheur qui passe.

Dors, mendiant, dors…

C’est assez longtemps mendier ton pain,
Raconter ta peine et tendre la main,
Dors, tu n’en auras jamais à ta faim.

Dors, mendiant, dors…

Ne cherche plus rien, joins les mains et serre
Ta joie immense, ô ma longue misère,
D’avoir ce soir presque le nécessaire.

Dors, mendiant, dors…

Dors, puisqu’un bon riche à la fin du jour
Jusqu’à toi venu par un long détour
T’a fait l’aumône, enfin ! d’un peu d’amour.

Dors, mendiant, dors…

Dors, il t’a couvert d’un manteau de laine,
Tu n’as plus besoin de rien ô ma peine,
Raconte-toi tout bas ta bonne aubaine.

Dors, mendiant, dors…

C’est un vieil habit qui servit beaucoup.
On l’a tant mis qu’il n’en reste qu’un bout
Effiloché, déteint, troué partout.

Dors, mendiant, dors…

Il s’est usé, ce manteau de tendresse,
Sur tant et tant d’épaules en détresse
Qu’il t’est trop court, ô dernière pauvresse.

Dors, mendiant, dors…

Mais c’est assez, cette loque, c’est trop,
Cette bonté, c’est plus qu’il ne te faut
Pour t’endormir dessus, pour avoir chaud.

Dors, mendiant, dors….

Fais-toi bien petit, bien bas, de manière
À t’envelopper l’âme tout entière
Dans ce bout de joie et clos ta paupière.

Dors, mendiant, dors…

Sur ton bonheur, le coeur émerveillé,
Pose la tête et dors sans t’éveiller
Comme un enfant las sur son oreiller.

Dors, mendiant, dors…

Dors sur ton bonheur, dors et chante en rêve,
Dors, sans avoir peur que la nuit s’achève,
Dors, sans avoir peur que le jour se lève.

Dors, mendiant, dors…

Et si le temps passe encor, si le vent
Te prend tes haillons, si tout en rêvant
Tu demeures nu comme auparavant,

Dors, mendiant, dors…

Si la pitié que tu tiens ramassée
Sur ton coeur frileux demain est passée,
Dors dans la douceur qu’elle t’a laissée.

Dors, mendiant, dors…

Et béni soit pour cet habit fané
Celui qui vers toi s’étant retourné
S’il avait eu plus te l’aurait donné.

Dors, mendiant, dors…

Et béni soit Dieu ! Lui qui nous apprête
Le manteau d’amour tout entier, la fête
Qui nous couvrira des pieds à la tête.

Dors, mendiant, dors…

Béni soit Dieu ! Sous son manteau blottis
Avec tous les saints, les grands, les petits,
Nous aurons bien chaud dans le Paradis.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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Épreuves (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2023




    
Épreuves

Le mot Epreuves concerne l’inscrit
au sens physique et matériel du terme ;
cet enracinement est fondamental.

Ce mot Epreuves tient aussi
du chantier, de la tentative ;
ce qui n’exclut pas l’élan,
mais le parfait et le renouvelle.

Essais de l’artiste, de l’écrivain
susceptibles de remaniements,
de reprises, de ratures,
de destruction peut-être ?

Action faite d’ardeur et de doutes,
démarche sans point d’orgue,
conduite sans épilogue,
qui justifient à elles seules,
une existence.

Chemin qui ne comble ni n’enraye le désir.
Poème sans cesse en cours d’exécution.

La Poésie – manifestement présente dans nos destins,
avec ses appels renouvelés à la vie – est, à la fois :
l’éperon, l’espérance et l’épreuve du Vivant.

(Andrée Chedid)

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SÉDUITE, ENCEINTE, ABANDONNÉE ET FLÉTRIE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 16 novembre 2023



    

SÉDUITE, ENCEINTE, ABANDONNÉE ET FLÉTRIE

1

Mon amant m’a abandonnée
Que je suis malheureuse.
Hélas pourquoi m’a-t-il délaissée
Quand j’étais amoureuse ?
J’ai beau gémir et soupirer,
Ma perte est douloureuse.

2

Je lui ai fait présent d’un chapeau
Bordé à point d’Espagne
Le cordon de canne le plus beau
Qui venait d’Allemagne
Et une bourse au goût nouveau.
Tout cela de mes épargnes.

3

Quand il a vu que j’avais pour lui
Un amour si violente,
Par un beau jour il m’a surpris
Que j’étais chez ma tante.
Mon pucelage il m’a ravi
Mais sa beauté m’enchante.

4

Hélas maman que dira-t-on
De moi dans le village ?
Pour une fois que j’ai été
Dessus le vert bocage,
Mon pucelage j’ai laissé
Hélas pour moi quelle disgrâce.

5

Me voilà enceinte à présent
Le fardeau me désole.
Adieu ma joie et agrément
Car ma beauté s’envole.
Beaucoup des filles en ont fait autant
De cela je me console.

6

Je lui reproche mais c’est en vain
Son action et sa conquête.
Etant donc dans le chagrin
Me répondit le traître :
« Belle j’ai cueilli votre raisin
Adieu panier vendange faite ».

7

Méfiez-vous de ce libertin
Jeunes filles à votre âge
Car ces jeunes hommes sont si malins.
N’ouvrez pas votre cage.
Et ne montrez jamais le chemin
Aux oiseaux si volages.

(Chansons du XVIIIè)

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Crois-moi, l’amour (Rûmi)

Posted by arbrealettres sur 10 novembre 2023




    
Crois-moi, l’amour est une action noble
S’il y a un défaut, c’est que la nature de l’esprit est mauvaise.
Tu donnes le nom d’amour à ta sensualité :
Il y a bien du chemin entre la sensualité et l’amour!

(Rûmi)

Recueil: Rubâi’yât
Traduction: du Persan par Eva de Vitray-Meyerovitch et Djamchid Mortazavi
Editions: Albin-Michel

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NOIR COURAGE (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 22 octobre 2023




    
NOIR COURAGE

Ni la nuit ni le néant,
Mais la ténèbre à l’oeuvre,
Renaissante
Où que se portent les yeux.

La Voie n’est obscure
Qu’au premier abord,
Du sang et de l’or
Palpitent en secret :

Du sang pris à témoin
D’un rythme de terre et de carbone,
Et de l’or arraché
Aux cendres des bûchers.

Tout destin passé au noir
Connaît ce champ d’action,
Cet espace sans pardon
Qui blesse et régénère,

Qui d’une même lumière
S’en va payer comptant
Les amours, les alarmes,
Ce palimpseste d’os et de peau

Où rien n’est écrit
Une fois pour toutes.

(André Velter)

Recueil: Séduire l’univers précédé de à contre peur
Editions: Gallimard

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LES SPIRES (William Butler Yeats)

Posted by arbrealettres sur 17 octobre 2023



Illustration: William Blake
    
LES SPIRES

Les Spires ! Les Spires ! Vieux Visage de Pierre, regarde ;
A penser trop longtemps, tu ne peux plus penser,
Trop de beauté se tue, trop de valeur aussi,
Les formes de jadis sont aujourd’hui perdues.
Un sang irrationnel coule et salit la terre ;
Empédocle partout a semé le désordre ;
Hector est mort, il y a des flammes à Troie ;
Et nos yeux qui regardent ont un rire tragique.

Qu’importe si triomphe une vision de mort
Si le corps est meurtri, sali de boue, de sang ?
Qu’importe? Les soupirs et les larmes sont vains,
La grâce de nos jours plus beaux s’en est allée ;
Je ne désire plus trouver des figures peintes
Ni des boîtes de fard dans les anciens tombeaux ;
Qu’importe ? Une voix sort du fond de ces cavernes,
Et ne sait que ce cri : «Homme, Réjouis-toi ! ».

Nos actions et nos actes, notre âme aussi sont vils,
Qu’importe ? Ceux que chérit ce Visage de Pierre,
Amoureux des chevaux et amoureux des femmes,
Sauront, brisant enfin le marbre du sépulcre,
Hors de la nuit étrange des fouines et des hiboux,
Ou de tout le néant riche et noir, déterrer
Le saint, le noble, l’ouvrier, et de nouveau
Le monde tournera sur la spire insolite.

***

THE GYRES

The gyres! the gyres! Old Rocky Face, look forth;
Things thought too long can be no longer thought,
For beauty dies of beauty, worth of worth,
And ancient lineaments are blotted out.
Irrational streams of blood are staining earth;
Empedocles has thrown all things about;
Hector is dead and there’s a light in Troy;
We that look on but laugh in tragic joy.

What matter though numb nightmare ride on top,
And blood and mire the sensitive body stain?
What matter? Heave no sigh, let no tear drop,
A greater, a more gracious time has gone;
For painted forms or boxes of make-up
In ancient tombs I sighed, but not again;
What matter? Out of cavern comes a voice,
And all it knows is that one word ‘Rejoice!’

Conduct and work grow coarse, and coarse the soul,
What matter? Those that Rocky Face holds dear,
Lovers of horses and of women, shall,
From marble of a broken sepulchre,
Or dark betwixt the polecat and the owl,
Or any rich, dark nothing disinter
The workman, noble and saint, and all things run
On that unfashionable gyre again.
And blood and mire the sensitive body stain.

(William Butler Yeats)

Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS

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Cantique (Hadji Bayram Veli)

Posted by arbrealettres sur 6 avril 2023



Hadji Bayram Veli   
    
Cantique

Si tu veux te connaître
Cherche ton âme dans ton âme
Lâche ton âme et trouve-la
Connais-toi toi-même, connais-toi !

Qui connaît ses actions
Connaît ses qualités
C’est là qu’il voit son être…
Connais-toi toi-même, connais-toi !

Visibles sont tes qualités,
C’est ton être qui les voit
Après cela quoi de plus,
Connais-toi toi-même, connais-toi !

Qui a atteint l’étonnement
Est baigné de lumière,
Il a trouvé l’Union avec l’Être…
Connais-toi toi-même, connais-toi !

Bayram a connu sa vérité,
Là il a trouvé celui qui sait.
Lui-même a été celui qui trouve…
Connais-toi toi-même, connais-toi !

(Hadji Bayram Veli)

Recueil: Poèmes des derviches anatoliens
Traduction: Guzine Dino,Michèle Aquien,Pierre Chuvin
Editions: Fata Morgana

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Encore une heure de lumière (Israël Eliraz)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022



Illustration: Christian Girault
    
Encore une heure de lumière
pour m’asseoir à tes côtés

te regarder
sous toutes tes faces

suivre au creux de ton épaule
l’action du temps sur ton visage :

comment il passe
sur lui et transforme derrière, au bout du sable

l’eau en des champs qui se déroulent
côte à côte, pendant que la lumière

jaune baisse puis remonte
s’incurve puis s’allonge un peu

Encore un moment, on ne la verra plus
Elle s’éteindra presque.

***

(Israël Eliraz)

Adaptatipn de Jean-Pierre Lemaire
 

Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers

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Je n’ai jamais bien su (Hélène Cadou)

Posted by arbrealettres sur 21 septembre 2022



    

Je n’ai jamais bien su

Je n’ai jamais bien su le langage des vivants
Et j’essaie en vain d’accorder mon âme
À ceux qui parlent savamment.
Vienne une autre vie avec sa corbeille d’espoir
J’y mettrai mes actions perdues
Mes phrases dérisoires
Et cette étendue sans chaleur
Qui me sépare des humains.
Nommez-moi les choses
Afin que j’apprenne à les tenir dans ma main
Donnez-moi le nom secret des êtres
Afin qu’en eux mon coeur pénètre
Comme une eau douce au mois de Juin.
J’écoute un chant qui ne peut plus s’éteindre
Qui porte en lui tous les bonheurs et tous les cris
Est-ce une flûte? Est-ce une lampe
Que tu me tends ô poésie?
Je marche à la rencontre du jour
Et je vois la beauté invisible du monde
Telle une haute flamme
Dans les regards amis.

(Hélène Cadou)

Cantate des nuits intérieures, Si958.

Recueil: La Beauté Éphéméride poétique pour chanter la vie
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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LE JOUR OÙ TOUT SE BRISE EN TOI (Cécile Coulon)

Posted by arbrealettres sur 22 mars 2022



Illustration: Bing Wright
    
LE JOUR OÙ TOUT SE BRISE EN TOI

Le jour où tout se brise en toi
est un jour de vacances, ou bien
un jour de bureau, ou encore
un jour de retrouvailles, un jour
de famille, d’amis, de mariage ou de sexe.

Le jour où tout se brise en toi
ressemble aux autres jours de l’année : bien
sûr il y eut des signes de cet effondrement
mais tout est toujours sur le point de
s’effondrer, les immeubles, les piles de
linge propre, les actions en bourse,
alors pourquoi accorder à ces alarmes
quotidiennes la moindre importance ?

Le jour où tout se brise en toi —
je dis bien « tout » car il ne s’agit pas seulement
du coeur cassé comme le cou d’une volaille
la veille d’un dimanche à la campagne,
je parle du corps, de l’os du genou à celui de la mâchoire,
je parle de l’âme dans ses derniers retranchements,
je parle des plaies qui s’ouvrent, toutes en même temps.
Je parle de la raison qui se jette contre les murs,
du crâne mordu du sommet au
menton, des doigts de la main gauche
pliés entre ceux de la main droite.

Le jour où tout se brise en toi,
le pire n’est pas la quantité ahurissante de larmes
que tu bois des paupières à la bouche,
ni la migraine qui paralyse le visage et la nuque,
le pire, le jour où tout se brise en toi,
c’est le langage qu’on abandonne pour
des reniflements, le langage qu’on roue de coups
pour qu’il cesse d’aboyer ses mots d’amour
et de respect, le langage qu’on étouffe
dans la pornographie, le langage auquel on croyait tant
qui s’effondre avec le reste.

Le jour où tout se brise en toi
tu t’en veux si fort d’y avoir cru.

(Cécile Coulon)

Recueil: Noir Volcan
Traduction:
Editions: Le Castor Astral

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