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À MA FILLE (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 23 avril 2024




    
À MA FILLE

Ô mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
— Résignée ! —

Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l’azur de tes yeux
Mets ton âme !

Nul n’est heureux et nul n’est triomphant.
L’heure est pour tous une chose incomplète ;
L’heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.

Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, — destin morose ! —
Tout a manqué. Tout, c’est-à-dire, hélas !
Peu de chose.

Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l’univers chacun cherche et désire :
Un mot, un nom, un peu d’or, un regard,
Un sourire !

La gaîté manque au grand roi sans amours ;
La goutte d’eau manque au désert immense.
L’homme est un puits où le vide toujours
Recommence.

Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S’illuminent !

Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d’ombre.

Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.

Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu’il est et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d’ici-bas,
Et des hommes.

Cette loi sainte, il faut s’y conformer,
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
Ou tout plaindre !

(Victor Hugo)

Recueil: Les Contemplations
Editions:

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Contrainte (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024




Contrainte

Court et s’attarde sur mon front
lente et s’abîme en mon sang
l’heure passe sans passer
en moi se sculpte et se dissipe

Je suis le pain pour sa faim
moi le coeur qu’elle déserte
l’heure passe sans passer
effaçant ce que j’écris

Amour qui passe et peine fixe
en moi combat repose en moi
l’heure passe sans passer
corps de mercure et de cendre

Creuse ma poitrine et ne me touche
pierre perpétuelle qui ne pèse
l’heure passe sans passer
et c’est une blessure qui s’enflamme

Le jour est court l’heure immense
heure sans moi moi et sa peine
l’heure passe sans passer
en moi s’enfuit en moi s’enchaîne

***

Apremio

Carre y se demora en mi frente
lenta y se despeña en mi sangre
la hora pasa sin pasar
y en mí se esculpe y desvanece

Yo soy el pan para su hambre
yo el corazón que deshabita
la hora pasa sin pasar
y esto que escribo lo deshace

Amor que pasa y pena fija
en mi combate en mi reposa
la hora pasa sin pasar
cuerpo de azogue y de ceniza

Cava mi pecho y no me toca
piedra perpetua que no pesa
la hora pasa sin pasar
y es una herida que se encona

El día es breve la hora inmensa
hora sin mí yo con su pena
la hora pasa sin pasar
y en mí se fuga y se encadena

(Octavio Paz)

Illustration: Ibara

 

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Tu t’amenuises (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 6 avril 2024




    

tu t’amenuises

n’es plus
qu’un point

un point
qui se dilate

envahit
les lointains

reflue
en lui-même

lumière
étale

tu vas
et viens
entre le
rien et
l’immense

(Charles Juliet)

Recueil: Ce pays de silence précédé de Trop ardente et L’Inexorable
Editions: P.O.L.

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LES DISPROPORTIONS D’UN MOUSTIQUE EN CHAMBRE (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 15 mars 2024



    

LES DISPROPORTIONS D’UN MOUSTIQUE EN CHAMBRE

Quel écho dans les mots pourrait donner l’idée
Des ravages que fait aux nerfs de l’insomniaque
Un moustique ? Il faudrait que le mot ait la niaque
De la chose pour qu’elle y soit réalité.

Que le moustique y soit de la taille d’un tigre,
L’équivalent petit de l’immense montagne
Où s’entende trembler la zizanie qui gagne.
Quelque chose d’énorme autant que cette bigre

De bestiole étriquée, et pourtant colossale.
Tout change, tout varie, tout fluctue en fonction
De l’obsession qu’on a: seule vraie dimension.

L’infime moucheron peut remplir une salle.
Jamais poème assez ne dira à quel point
La taille du moustique explose en son tintouin.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

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LE MOT LAC (Ludovic Janvier)

Posted by arbrealettres sur 5 mars 2024




    

LE MOT LAC

Rien qu’à prononcer le mot lac
le ciel touche à votre figure
un vent clair vous prend aux cheveux
la fraîcheur vient au bord de l’oeil

Ce frôlement va devenir
un vol d’oiseau qui fend la soif
cette calme respiration
est l’eau qui baigne la pensée

Au fond du noir instant sans bruit
l’immense puits s’ouvre aux poumons
oubliée la frappe du sang
on est aussi léger que l’air

(Ludovic Janvier)

Recueil: La mer à boire
Editions: Gallimard

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Pomme ronde… (Rainer Maria Rilke)

Posted by arbrealettres sur 27 février 2024




    
Pomme ronde…

Pomme ronde, poire, banane
et groseille… Tout cela parle
de vie, de mort dans la bouche. Je sens…
Lisez plutôt sur le visage de l’enfant

lorsqu’il mord dans ces fruits. Oui, ceci vient de loin.
Sentez-vous l’ineffable dans votre bouche ?
Là où étaient des mots coulent des découvertes,
comme affranchies soudain de la pulpe du fruit.

Osez dire ce que vous nommez pomme.
Cette douceur qui d’abord se concentre,
puis, tandis qu’on l’éprouve, doucement érigée,

se fait clarté, lumière, transparence.
Son sens est double : terre et soleil.
Expérience, toucher : ô joie immense !

(Rainer Maria Rilke)

Recueil: Sonnets à Orphée
Editions:

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ROSACES SOUS L’ANGLE D’OR (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2024




    

ROSACES SOUS L’ANGLE D’OR

Lorsque nous nous regardons
Des nappes de neige étincellent
Sous le soleil qui se rapproche

Des fenêtres ouvrent leurs bras
Tout le long de la voie du bien
S’ouvrent des mains et des oiseaux
S’ouvrent les jours s’ouvrent les nuits
Et les étoiles de l’enfance
Aux quatre coins du ciel immense
Par grand besoin chantent menu

Lorsque nous nous regardons
La peur disparaît le poison
Se perd dans l’herbe fine fraîche

Les ronces dans les temples morts
Tirent de l’ombre enracinée
Leurs fruits ardents rouges et noirs
Le vin de la terre écumante
Noie les abeilles en plein vol
Et les paysans se souviennent
Des années les mieux enfournées

Lorsque nous nous regardons
La distance s’ouvre les veines
Le flot touche à toutes les plages

Les lions les biches les colombes
Tremblants d’air pur regardent naître
Leur semblable comme un printemps
Et l’abondante femme mère
Accorde vie à la luxure
Le monde change de couleur
Naissance contrarie absence

Lorsque nous nous regardons
Les murs brûlent de vie ancienne
Les murs brûlent de vie nouvelle
Dehors le lit de la nature
Est en innocence dressé
Crépusculaire le ciel baigne
Ta sanglotante et souriante
Figure de musicienne
Toujours plus nue esclave et reine
D’un feuillage perpétuel

Lorsque nous nous regardons
Toi la limpide moi l’obscur
Voir est partout souffle et désir

Créent le premier le dernier songe.

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

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Près de l’aigrette du grand pont (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    
Près de l’aigrette du grand pont
L’orgueil au large
J’attends tout ce que j’ai connu
Comblée d’espace scintillant
Ma mémoire est immense.

La bonté danse sur mes lèvres
Des haillons tièdes m’illuminent
Une route part de mon front
Proche et lointaine
La mer bondit et me salue
Elle a la forme d’une grappe
D’un plaisir mûr

J’aimais hier et j’aime encore
Je ne me dérobe à rien
Mon passé m’est fidèle
Le temps court dans mes veines

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

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POÈME DE LA SOLEÁ (Federico Garcia Lorca)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024




    
POÈME DE LA SOLEÁ
ÉVOCATION

Terre sèche,
terre sage
des nuits
immenses.

(Vent sur l’oliveraie,
vent sur la montagne.)

Terre
vieille
de la lampe
et de la peine.
Terre
des citernes profondes.
Terre
de la mort sans yeux,
terre des flèches.

(Vent sur les routes.
Brise dans les peupliers.)

***

POEMA DE LA SOLEA
EVOCACIÓN

Tierra seca,
tierra quieta
de noches
inmensas.

(Viento en el olivar,
viento en la sierra.)

Tierra
vieja
del candil
y la pena.
Tierra
de las hondas cisternas.
Tierra
de la muerte sin ojos
y las flechas.

(Viento por los caminos.
Brisa en las alamedas.)

(Federico Garcia Lorca)

Recueil: Romancero gitan Poème du chant profond
Traduction: Claude Esteban
Editions: Aubier

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À LA MAUVAISE HEURE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Illustration: Vincent Van Gogh
    
À LA MAUVAISE HEURE
Été, en Eubée

Entre nuit et petit jour
j’ai trouvé coincée l’heure sans heure.
L’allégresse impie des oiseaux m’a si tôt réveillée
que je suis sortie dans le reflux des ténèbres.
Mon balcon rame paisiblement
dans les hauts-fonds des couleurs.
Les jardins rêvent encore
de fleurs inconnues.
Lentement se déploie le glorieux horizon
comme un vulgaire mètre-ruban.
La mer a des allures d’oubli : on nous délaisse.
L’immensité a des allures d’oubli. Oubli immense.
Un caïque dans le fond n’avance plus,
la distance l’emporte et joue avec.
Le niveau des couleurs monte en murmurant.
Les formes s’approchent au pas de promenade.
Une rame blanche se réveille,
un toit bat des ailes,
un volet a frémi.
Un clocher se lève effrayé,
coupable : la foi doit se réveiller la première.
première avant tout.
Les formes s’approchent au pas de promenade.
Les portes se dessinent fermées
et les limites s’obstinent.
Les montagnes sorties dans la clarté
te ramènent en arrière.
Et toi où vas-tu, espoir?
Ils sont debout depuis longtemps, les refus.

Et moi, moi qui suis et m’appelle
heure avancée, que viens-je faire
parmi ces bonnes humeurs au berceau?

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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