L’âme la plus parfaite est celle qui n’apparaît jamais –
L’âme qui est faite avec le corps,
Le corps abssolu des choses,
L’existence tout à fait réelle, sans ombres, sans moi,
La coïncidence entière et absolue
D’une chose avec elle-même.
(Fernando Pessoa)
Recueil: Poèmes jamais assemblés
Traduction: du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade,Fabienne Vallin
Editions: Unes
Le matériau dont les mots sont faits et le mortier qui les unit
m’ont peu à peu enseigné un rythme secret et solitaire.
J’ai appris que toute construction est une musique
et que toute musique est faite de regards.
Le regard d’un mot est son sens,
entre les paupières tremblantes d’une perte.
Car ce n’est pas nous qui regardons les mots :
ce sont eux qui nous regardent
et peut-être aussi au-delà de nous,
en battant des paupières d’un rythme secret et solitaire.
Peut-être que demain je trouverai un mot
qui ne regarde plus vers nulle part
et ne batte pas non plus des paupières.
Un mot qui se laisse regarder.
(Roberto Juarroz)
Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard
Merveilleuse histoire à conter, ma foi:
Belle et frêle, ardente, une femme choit.
C’était peut-être faux, peut-être vrai:
Les faits à tous deux nous indifféraient.
Mais le vin, la fumée de ton cigare
Transformaient le tout en plaisante histoire
Plus qu’en sujet d’opprobre ou de péché:
À la femme déchue que reprocher?
Rien, tant qu’il n’y avait à découvrir
Que sa beauté, sa fougue et son plaisir.
Mais tu partis, on baissa les lumières,
La brise entra, et la pâleur lunaire:
Et je perçus une voix féminine,
Impuissante plainte au mutisme incline.
Montée du tréfonds d’infinies ténèbres
Elle emplit la pièce d’une angoisse funèbre.
Morte, cette femme ne pouvait nier:
Les femmes aux plaintes sont destinées.
Aussi me fallut-il la nuit durant,
Moi l’étrangère, écouter ce tourment…
Les femmes aux plaintes sont destinées,
Les hommes à écouter… et soupirer…
***
The Haunted Chamber
Of course ’twas an excellent story to tell
Of a fair, frail, passionate woman who fell.
It may have been false, it may have been true.
That was nothing to me—it was less to you.
But with bottle between us, and clouds of smoke
From your last cigar, ’twas more of a joke
Than a matter of sin or a matter of shame
That a woman had fallen, and nothing to blame
So far as you or I could discover,
But her beauty, her blood and an ardent lover.
But when you were gone and the lights were low
And the breeze came in with the moon’s pale glow
The far, faint voice of a woman, I heard,
‘Twas but a wail, and it spoke no word.
It rose from the depths of some infinite gloom
And its tremulous anguish filled the room.
Yet the woman was dead and could not deny,
But women forever will whine and cry.
So now I must listen the whole night through
To the torment with which I had nothing to do—
But women forever will whine and cry
And men forever must listen—and sigh—
(Kate Chopin)
Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne
Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable.
J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité,
de quelque chose qui soit dément peut-être,
mais qui ne soit pas de ce monde.
Après la trace, vient la distance.
Ce que rêve l’autre, ce que rêve l’un,
L’un dans l’autre se sont compris.
Il n’est pas de lumière
Sans feu pour finir.
Commencée de fumée,
Ainsi se fait la forme,
Sans fait d’avenir.