Seigneur du vertige,
l’épervier
solitaire dans la hauteur
trace un signe,
aussitôt
évanoui dans la lumière, dans l’air.
Obstiné, de l’aube jusqu’au soir
il le répète.
Il dessine, sans le savoir,
une question :
le pouvoir est-il liberté,
la liberté est-elle destin ?
Lumière et air.
Trois mille battements et deux cent litres de sang
Si je pouvais me multiplier
je me promènerais avec toi
en te donnant les deux mains.
Je veux dire
que si je pouvais être deux,
moi deux fois
— comprends-moi —,
une âme répétée
comme la boucle qui s’enroulerait entre deux doigts
et ressemblerait à un auriculaire
ou les lèvres
qui laisseraient passer la langue
précédant un baiser
qui se dupliquerait en quête d’éternité,
je coloniserais ton présent et tes lendemains,
t’attendrais où que tu sois
et où tu voudrais être,
me languirais de toi
en voyant tes baisers faire des gouttières entre mes cils
et je te dessinerais en même temps des lèvres
pleines de salive
au milieu du majeur.
Si je pouvais me dédoubler
je nous observerais de l’extérieur
comme on regarde la mort dans les yeux :
avec envie.
Si je pouvais être ici et là
je serais en toi et en toi,
je mettrais le feu à Troie,
tout en t’offrant Paris,
je te regarderais dormir
et rêverais de toi en même temps.
Tu sais ce à quoi je me réfère,
si je pouvais fausser les coordonnées,
je créerais une carte où ne figureraient que tes orteils
et ce besoin que j’ai de te suivre partout.
Si je pouvais être la même en deux moitiés, amour,
je t’habillerais avec autant de nervosité
que tu en as quand tu me laisses te dénuder,
je polirais mes erreurs
pour que le faux pas soit doux
et je serais à la fois le précipice et l’élan
de toutes tes peurs, de tous tes rêves.
Si je pouvais,
mon amour,
je transformerais tout ce qui est maintenant singulier
en pluriel
Mais je ne peux pas,
et tu dois donc te satisfaire
de la seule chose que je puisse faire :
t’aimer
— pas le double, ni par deux, ni au carré,
mais avec la force d’une armée
de trois mille battements et deux cents litres
de sang
qui en voulant te donner plus qu’elle
ne possède
te donne tout ce qu’elle est —.
(Elvira Sastre)
Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL
Ménageant chèvre et chou on s’imagine chic
Mais à trop les mêler on en deviendrait bouc.
À ramer pour rimer, tant qu’à bien faire on souque.
Si ça pouvait coller, ce serait fantastique.
On ne peut pas courir deux lièvres à la fois,
Répète le proverbe en sa sagesse folle.
Il n’y a pourtant rien qui autant me désole
Que de ne pas tenir les écarts sous ma loi.
Je fais tout pour garder dans un bel oxymore
Les contraires partis, fussent-ils occis, morts.
Il faut qu’en mon sonnet tout tombe opinément.
Tant qu’il n’est pas parfait, pas question qu’on le quitte,
Coûte que coûte on doit le mener au bout, quitte
À en devenir chèvre et y faire chou blanc.
L’enfant copie
des fractions sans couleur
puis dans le silence glacial
d’une nuit d’hiver occidental
ouvre enfin son livre d’histoire
sur ce cri qu’Assas lança
appelant un régiment d’Auvergne,
il le répète un moment
puis tombe dans un long sommeil.
(Jean Follain)
Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard
Mon aimée, la brise
dit ta robe blanche et pure…
Mes yeux ne te verront pas;
mon coeur t’attend!
Le vent m’a apporté
ton nom dans le matin;
la montagne répète
l’écho de tes pas…
Mes yeux ne te verront pas;
mon coeur t’attend!
Dans les sombres clochers
les cloches carillonnent…
Mes yeux ne te verront pas;
mon coeur t’attend!
Les coups du marteau
disent le noir cercueil;
et les coups de la bêche
l’endroit de la fosse…
Mes yeux ne te verront pas;
mon coeur t’attend!
(Antonio Machado)
Recueil: Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre
Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé
Editions: Gallimard
Dans le fond d’un bocage,
Lisette soupirant,
Entourée de feuillages,
Pleurait amèrement.
Assise dessus l’herbette
Dans les tristes forêts
Entretenait seulette
L’écho de ses regrets.
2
La belle, de l’amante
En déclarant ses maux
Pour les pleurs elle augmente
Le coulant des ruisseaux
Les échos de la plaine
Témoins de son malheur
En retirant la peine
Répétant sa douleur.
3
Tircis le plus fidèle
Des bergers du hameau,
Qu’en vain ma voix appelle,
Gardait là son troupeau
Un bouquet de violettes
Me donnant chaque jour
Et souvent en cachette
Des baisers pleins d’amour.
4
Tircis est mort, que faire ?
Mes yeux versent des pleurs.
Fleurettes pour me plaire
Changez votre couleur.
Plaintive tourterelle,
Rossignol charmant,
Et vous échos fidèles
Respectez ma douleur.
5
Allez à l’aventure
Pauvres petits agneaux.
Cherchez votre pâture
Dans ces tristes coteaux.
Oui je vous abandonne
Tircis est au tombeau,
Que rien ne vous étonne,
Je le suivrai bientôt.
– J’entre ici sans cérémonie
Conduit par un parfait amour.
Disposez-vous chère Sophie
A recevoir un petit bonjour.
– Restez dit Sophie, où vous êtes
N’approchez pas de moi surtout,
Le bruit que vous faites gâte tout ! (bis)
2
– Quel changement de caractère !
D’où vient cette vérité ?
N’ai-je plus le don de vous plaire ?
Ah, j’espère à votre bonté
– Quoi, faut-il que je répète
Je vous le dis encore un coup,
Le bruit que vous faites gâte tout ! (bis).
3
– Permettez moi je vous supplie
De toucher votre belle main
Encore une fois dans ma vie.
Je voudrais mais je suis trop loin
– Que vos poursuites m’inquiètent
C’est vouloir me pousser à bout
Le bruit que vous faites gâte tout (bis).
4
– J’ai pour vous ici dans ma poche,
Un mignon et galant bouquet
Permettez au moins que j’approche
Pour l’attacher à ce corset.
– Je crois vos façons indiscrètes
Vous ne vous gênez pas beaucoup
Le bruit que vous faites gâte tout (bis).
5
– Se peut-il, étant aussi belle
Donner des lois qui font languir.
Si vous étiez toujours cruelle.
Je crois qu’il en faudra mourir
– Loin d’ici toutes vos fleurettes
La crainte en fait passer le goût.
Le bruit que vous faites gâte tout (bis)(2).
Le long de ce coteau
Paissait troupeau sans chien ni houlette.
Adieu tout mon bonheur
Hélas trompeur ; j’ai perdu le cœur.
Désormais dans le bois seulette
N’entendant plus sa tendre musette
Hélas je veux languir.
Allez troupeau laissez moi mourir.
2
Et vous cher agnelet
De mes regrets tu m’es trop cruel
Ici des faux serments
De mon amant que j’aime tendrement
Loin de moi mon amour t’appelle
Va cher agneau trouver l’infidèle
Et dis lui tous les jours
Que sa tendre Isis l’aimera toujours.
3
Et vous sombre forêt
De mes regrets tu m’es trop cruelle.
Ici des faux serments
De mon amant que j’aime tendrement
Souvenez-vous de ma vive tendresse
Et que partout l’on répète sans cesse
Iris …. gardant ta foi
Iris vaincue va mourir pour toi.
Fanchon dans ce beau vallon
Viens unir ta voix à ma musette
Pourquoi me répéter toujours « non » !
Laissons nos troupeaux à l’ombrage
Profitons du temps du rossignol sauvage
… Profitons de la saison
Viens, viens. N’appréhendez rien.
Je suis un berger sage
Mon plaisir est de chanter ton nom
Fanchon (bis).
2
Berger fuyons le danger
Je ne te suis pas, je crains ma mère.
Berger fuyons le danger :
Maman me défend de m’éloigner,
Car si le loup rempli de rage
Dessus mon troupeau venait faire ravage
Qui pourrait me consoler ?
L’on dirait partout dans nos villages
Fanchon abandonne le verger.
Berger fuyons le danger, Berger… (bis).
3
Viens, viens, n’appréhendez rien.
Bravons les discours du voisinage
Viens, viens, n’appréhendez rien.
Nos troupeaux sont gardés par nos chiens.
Peut-on refuser un hommage
D’un berger discret
Tendre fidèle et sage,
Qui cherche tout pour nos biens ?
Promets moi la foi du mariage.
Donne-moi ton cœur et prends le mien.
Viens, viens (bis).
4
Non, non je n’y consens pas
A vous donner mon cœur
Je suis trop jeunette
Non, non je n’y consens pas
Vos discours flatteurs ne me tentent pas
Souvent j’entends dire à ma mère…