Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘rage’

Températures (Hans Magnus Enzensberger)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    
Températures

Il est des températures que n’indique aucun thermomètre,
seule la peau peut les ressentir:
la tiède émanation du bébé qui sent le petit lait,
le frais parfum des pêches émanant du réfrigérateur,
la rage qui nous gonfle les veines, nous rougit le visage,
et la froide fleur de givre qui brûle l’enfant à la langue curieuse;
mais aussi la fièvre de la jalousie brûlant au bout des doigts,
la honte incandescente qui embrase la cervelle,
et ce qui, jamais et nulle part, ne survient dans notre galaxie:
les chaleurs de ceux qui, blottis dans le lit, dorment l’un contre l’autre.

***

Temperaturen

Temperaturen gibt es, die kein Thermometer mißt,
nur die Haut kann sie unterscheiden:
Den lauen Babydunst, der nach Buttermilch riecht,
den kühlen Hauch der Pfirsiche aus dem Kühlschrank,
den rötlichen Ausschlag der Wut, die uns die Masern in
das Gesicht treibt,
und die kalte Eisblume, die dem Kind auf der neugierigen
Zunge brennt;
ferner die fiebrige Glut der Eifersucht in den Fingerspitzen,
die hitzige Scham, die das Gehirn überschwemmt,
und was nie und nirgends sonst vorkommt in unserer Galaxie:
die beiden Wärmen der im Bett aneinander sich schmiegenden Schläfer.

(Hans Magnus Enzensberger)

Recueil: L’HISTOIRE DES NUAGES 99 méditations
Traduction: de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Editions: Vagabonde

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Rage (Jean-Luc Raharimanana)

Posted by arbrealettres sur 26 janvier 2024



Illustration
    
Rage

Parfois une bouffée de rage
Sans comprendre
Parfois une bouffée de rage
Qui submerge
Parfois une bouffée de rage
Soudaine
Impérieuse
Qui ramène les entrailles à la surface
Qui ramène au ressenti ce qui n’a pas été vécu

Parfois une bouffée de rage
sur ce qui aurait dû s’achever
Les noeuds coulants du passé
qui auraient dû se défaire sur la danse du temps

Et je comprends que je suis corps-tombeau
de mes ancêtres sans sépultures
Leurs funérailles sont dans l’envol de mes seuls gestes
Et dans les tracés que je pose sur mes seuls déplacements
Le seul son de ma bouche est le chant qu’ils ont ravalé
au moment de la chaîne garrottant leurs cous

Mais je suis né dans le fleuve oubli
Le flux des événements qui se précipitent
et qui effacent tout autre regard
n’appartenant pas au jour prochain
J’ai oublié,

Mais parfois une bouffée de rage
Sans comprendre
Mais parfois une bouffée de rage
Qui submerge
Soudaine
Impérieuse

Les chants qui proviennent de mon ventre
réclament une bouche pour dire.

(Jean-Luc Raharimanana)

 

Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Editions: Bruno Doucey

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

VITRES DE SON (Antonin Artaud)

Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2024



Illustration
    
VITRES DE SON

Vitres de son où virent les astres,
Verres où cuisent les cerveaux,
Le ciel fourmillant d’impudeurs
Dévore la nudité des astres.

Un lait bizarre et véhément
Fourmille au fond du firmament;
Un escargot monte et dérange
La placidité des nuages.

Délices et rages, le ciel entier
Lance sur nous comme un nuage
Un tourbillon d’ailes sauvages
Torrentielles d’obscénités.

(Antonin Artaud)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

FANCHON REFUSE, MAIS… (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 14 novembre 2023



Illustration: William Bouguereau

    

FANCHON REFUSE, MAIS…

Fanchon dans ce beau vallon
Viens unir ta voix à ma musette
Pourquoi me répéter toujours « non » !
Laissons nos troupeaux à l’ombrage
Profitons du temps du rossignol sauvage
… Profitons de la saison
Viens, viens. N’appréhendez rien.
Je suis un berger sage
Mon plaisir est de chanter ton nom
Fanchon (bis).

2

Berger fuyons le danger
Je ne te suis pas, je crains ma mère.
Berger fuyons le danger :
Maman me défend de m’éloigner,
Car si le loup rempli de rage
Dessus mon troupeau venait faire ravage
Qui pourrait me consoler ?
L’on dirait partout dans nos villages
Fanchon abandonne le verger.
Berger fuyons le danger, Berger… (bis).

3

Viens, viens, n’appréhendez rien.
Bravons les discours du voisinage
Viens, viens, n’appréhendez rien.
Nos troupeaux sont gardés par nos chiens.
Peut-on refuser un hommage
D’un berger discret
Tendre fidèle et sage,
Qui cherche tout pour nos biens ?
Promets moi la foi du mariage.
Donne-moi ton cœur et prends le mien.
Viens, viens (bis).

4

Non, non je n’y consens pas
A vous donner mon cœur
Je suis trop jeunette
Non, non je n’y consens pas
Vos discours flatteurs ne me tentent pas
Souvent j’entends dire à ma mère…

[…]

(Chansons du XVIIIè)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

CERF-VOLANT (Odette Romeu)

Posted by arbrealettres sur 15 septembre 2023



Illustration
    
CERF-VOLANT

Beau cerf-volant bigarré
Que le vent du Nord pourchasse
Toujours plus haut dans l’espace
Comme un grand voilier carré
Laissant traîner sur la lande
Sa liane de guirlande,

Tu ne vois pas de l’azur
Qu’au hasard des monts, des plaines
Des fleuves et des fontaines
Ton fil se souille d’impur
Limon boueux que la terre
Accroche à ta montgolfière

Et ce fil électrisé
Où s’agrippent des poussières
Combien de fois millénaires !
Est tellement empesé
Que fragile ta nacelle
Sous ce lestage chancelle

Mais pour briguer le timon
Quand le combat fera rage
Un soir de grêle et d’orage
Entre un Ange et le Démon
Quand pèsera trop la chaîne
Du mensonge et de la haine,

Le cerf-volant étiré
Rompra le fil qui l’égare
Larguant au vent son amarre
Et montera délivré
Pour voir une fleur éclore
Dans quelque Alpha du Centaure.

(Odette Romeu)

Recueil: Sur les rives du Jourdain
Editions: émergences

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Complainte à sa dame (Théodore Agrippa d’Aubigné)

Posted by arbrealettres sur 13 août 2023




    
Complainte à sa dame
Stances

Ne lisez pas ces vers, si mieux vous n’aimez lire
Les écrits de mon coeur, les feux de mon martyre :
Non, ne les lisez pas, mais regardez aux Cieux,
Voyez comme ils ont joint leurs larmes à mes larmes,
Oyez comme les vents pour moi lèvent les armes,
À ce sacré papier ne refusez vos yeux.

Boute feux dont l’ardeur incessamment me tue,
Plus n’est ma triste voix digne y être entendue :
Amours, venez crier de vos piteuses voix
Ô amours éperdus, causes de ma folie,
Ô enfants insensés, prodigues de ma vie,
Tordez vos petits bras, mordez vos petits doigts.

Vous accusez mon feu, vous en êtes l’amorce,
Vous m’accusez d’effort, et je n’ai point de force,
Vous vous plaignez de moi, et de vous je me plains,
Vous accusez la main, et le coeur lui commande,
L’amour plus grand au coeur; et vous encor plus grande,
Commandez à l’amour; et au coeur et aux mains.

Mon péché fia la cause, et non pas l’entreprendre ;
Vaincu, j’ai voulu vaincre, et pris j’ai voulu prendre.
Telle fut la fureur de Scevole Romain :
Il mit la main au feu qui faillit à l’ouvrage,
Brave en son désespoir; et plus brave en sa rage,
Brûlait bien plus son coeur qu’il ne brûlait sa main.

(Théodore Agrippa d’Aubigné)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Minuit (Lucie Delarue-Mardrus)

Posted by arbrealettres sur 13 juin 2023




    
Minuit

Minuit, dormir. Regard furtif aux vitres sages ;
Le jardin entrevu, noir, dans le vent profond…
Ô véhémente nuit de lune et de nuages,
Promène dans ta course affolée et tes rages
Le drame de ma joie et de ma passion.

(Lucie Delarue-Mardrus)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

SANS TÊTE (Hermann Hesse)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2023




    
SANS TÊTE

Plus de couvercle à la marmite,
La vapeur s’envole gaiement.
Pour peu que l’on vous décapite,
La vie est pleine d’agrément.
Plus de rhume, de nez, de gouttes,
De rages de dents, de maux d’yeux,
Les migraines s’effacent toutes,
On vit au pays merveilleux.
Mais sans tête, plus de pensée…
Faut-il s’en plaindre ? Le bon vin
Dont votre gorge est arrosée
Reste un gargarisme divin.
Dès lors, que d’heures claires, nettes,
Sans lumières, sans bruits pervers !
On ne cherche plus ses lunettes,
On ne fait jamais plus de vers.

***

KOPFLOS

Man nehm den Deckel nur vom Topfe
Und sieh, wie froh der Dampf entweicht !
Wie lebt nach abgeschnittnem Kopfe
Das schwere Leben sich so leicht !
Kein Schnupfen mehr, kein Nasentropfen,
Kein Zahnweh und kein Augenbrand
Noch Stirnkatarrh noch Schläfenklopfen,
Es ist wie im Schlaraffenland.
Zwar gibt es ohne Kopf kein Denken,
Doch ist es darum nicht so schad,
Man kann mit Wein die Kehle tränken,
Es ist das beste Gurgelbad.
Und ach, wie lebt es sich so stille :
Kein Wort, kein Lärm, kein grelles Licht !
Und nie mehr sucht man seine Brille
Und nie mehr macht man ein Gedicht.

(Hermann Hesse)

Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti

Posted in humour, poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Neptune (Aya Cheddadi)

Posted by arbrealettres sur 24 décembre 2022



 

Illustration: Noèla Morisot
    
Neptune

Je m’habille chaque jour d’un bleu nouveau
veste électrique ou indigo
turquoise vase troublée des émaux
fluorescence ou lait de brumes
rage violette cernes de lune

(Aya Cheddadi)

 

Recueil: Tunis marine
Traduction:
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Le fond de l’air est brun (Jean-Luc Despax)

Posted by arbrealettres sur 31 octobre 2022




    
Le fond de l’air est brun

«Nous rappelons à notre aimable clientèle
qu’il est interdit de penser dans le métro.»

Le devoir de réserve
Et le droit de se taire
Essuyer les quolibets
Essuyer les collabos
Suivre les consignes
Prendre de la bouteille
On finit toujours par entendre
Le bruit des bottes qu’on a léchées

Pasteur en eût inventé la rage.
Nous mettons le feu aux mèches.
Tintin reste introuvable.

(Jean-Luc Despax)

Recueil: La révolte des poètes
Traduction:
Editions: Livre de poche Jeunesse

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »