Plus d’herbes bleues
Pour me mordiller les paupières dans un pré
Je meule la menthe sauvage
De mes dents d’adulte
Et je la crache sur le chemin
La bouche poivrée d’enfance perdue
L’âme broutée jusqu’à la terre
Par la vie — mouton
Qu’un jour
J’égorgerai.
Dans son sommeil glissant l’eau se suscite un songe
un chuchotis de joncs de roseaux d’herbes lentes et
ne sait jamais bien dans son dormant mélange où le
bougeant de l’eau cède au calme des plantes
La rivière engourdie par l’odeur de la menthe
dans les draps de son lit se retourne et se coule
Mêlant ses mortes eaux à sa chanson coulante
elle est celle qu’elle est surprise d’être une autre
L’eau qui dort se réveille absente de son flot
écarte de ses bras les lianes qui la lient déjouant
la verdure et l’incessant complot qu’ourdissent
dans son flux les algues alanguies.
Souvent elle s’assoit sur le pas de sa porte,
les mains abandonnées.
Elle regarde passer les saisons
qui s’en viennent et qui s’en vont
par le sang vermeil des vendanges
et par le givre de novembre,
attendant patiemment l’aube nouvelle,
ensoleillée, de chaque printemps,
promesse de l’été.
Depuis longtemps déjà elle s’applique à vivre.
Elle s’applique et pour ne rien oublier,
elle inscrit dans son livre la plainte des marais,
le cri obsédant des engoulevents tournoyant dans les champs.
Elle inscrit la mort, en lettres noires,
celle des bêtes, celle des gens
et puis aussi les arabesques
et le vagabondage des nuages.
Elle inscrit le parfum des roses pâles
et de la menthe sauvage qui envahit son coeur
d’une étrange langueur dans la tiédeur du soir.
Elle inscrit dans son livre le bleu-gris des toits d’ardoise,
le vert du lierre et le rouge perlant à la gorge des oiseaux.
Jours après nuits, elle inscrit
l’éclat des pierres, de l’éclair et du feu.
Elle inscrit
l’air léger qui l’emporte et la berce,
aussi fragile qu’un nouveau-né.
(Martine Laffon)
Recueil: Le Dit d’Amour
Traduction:
Editions: Alternatives
Nuit d’épines et de menthe
Des plantes en laine de couteau
Aux longs poils sous le ventre
Du froid de l’herbe des épines
L’aveu de la lune et des étoiles
On ne peut pas tout comprendre.
J’ai connu un commissaire de police
qui était clown en dehors de ses heures de service
J’ai connu des glycines roses plus que la rose elle-même
c’était dans un jardin
chez les Bénédictins
à Solesmes
J’ai connu des cinémas pour bonbons à la menthe
j’ai connu ce vieux zèbre triste qui se lamente
et lentement se décolore au Jardin des Plantes
J’ai même connu l’homme qui prêtait sa voix pour l’horloge parlante
mais un matin lavé de ma vie de mes livres
neuf comme une larme Adieu tour Eiffel
je reviendrai vers l’arbre aux sources du vivre
apprendre à chanter pour le vent
Et le vent m’apprendra les parfums de la plaine
et le vent m’apprendra les senteurs de l’été
Coquillages d’odeurs dans la brume incrustés
vous ne reviendrez plus aviver quelque peine
Non je n’ai plus soif et je laisse
cette vie d’ardoise et de pierre
couler couler
et déborder les verres