Non, je n’avalerai pas vos paroles
fantômes vos paraboles
d’inventaire, vos courbes de
Bourse de massacres.
Je choisis les cris
d’oiseaux de mer
le craquement des pierres
tout ce qui brave, hurle, éclate muettement dans le monde.
Le sang aux tempes, le coeur battant, le toc des artères,
c’est aussi ma parole
touchable
sous le doigt.
Au bord du temps
je tâte l’incertain
dans les feuilles des arbres
aux cellules pourtant si proches
de mes propres cellules, closes en cette chair
qui se retire et se rapproche
jusqu’à coller au tissu végétal
pour reconnaître
un rapport très sourd
un micron de complicité
main, feuille, ensemble,
toutes deux nervurées, actives, sève et sang,
nous affirmons, nous attestons la vie.
(Marie-Claire Bancquart)
Recueil: Voix Vives de méditerranée en méditerranée Anthologie Sète 2019
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
« Je n’irai plus aux bois
d’Afrique
Où dansent tous les rois
de pique. »
La dernière hirondelle
se meurt
Elle bat de ses ailes
son cœur.
Du fil télégraphique
désert
Où tremble une musique
d’hiver
Elle crie et appelle
ses sœurs :
« Au secours hirondelles
j’ai peur. »
Mais sa voix trop petite
se perd
Dans le vent qui agite
la mer.
Elle entend un message
d’amant
Passer en son plumage
mourant.
La parole est oiseau
comme elle
Qui pose au manteau
des belles.
« Ton Paul t’aime et t’adore
toujours,
Il pense à nos aurores
d’amour. »
Ah ! beau ciel de paroles
rempli
Toutes les bouches volent
la nuit.
Paupières de voyage
en pleurs
Elle prend le message
et meurt.
Orages de tendresse
l’oiseau
Se console ou se blesse
aux mots.
La dernière hirondelle
est là
Inerte sous son aile
qui bat.
Et moi je suis debout à la fenêtre
Je vois l’hirondelle à terre et pourtant
Je ne pense qu’à celui que j’attends
Celui qui m’aime et me dira peut-être :
« Viens avec moi aux bois
d’Afrique
Où dansent tous les rois
de pique. »
I
Ma France à moi elle est joyeuse
Elle dit bonjour et comment allez-vous
Mais elle sait dire non elle est frondeuse
On ne la f’ra jamais mettre à genoux
Ma France à moi celle que j’adore
Celle qui chantait le chant des partisans
Celle des Klarsfeld celle de Senghor
Celle de Prévert et la France des paysans
France de Stendhal Chamfort Molière
France de Balzac La Fontaine et Victor
Des frères Lumière d’Apollinaire
D’Alfred Jarry des chants de Maldoror
Ma France à moi qu’avant tout j’aime
C’est celle de la liberté d’expression
Les mots d’amour voire les blasphèmes
Sont l’essentiel de ma respiration
II
France de Matisse Monet Soulages
France de Desproges et des tweets de Pivot
France de Coluche France du partage
France de Daumier Gotlib et Picasso
Ma France à moi peut-êt’ croyante
Mais a parfaitement le droit d’être athée
Bible ou Coran si ça lui chante
Elle dit pardon c’est pas ma tasse de thé
Ma France à moi elle est gourmande
D’accordéon de jazz et de Verdi
Elle chérit ses enfants d’légende
Ceux du Vel’ d’hiv’ et ceux du paradis
L’obscurantisme d’un autre âge
Les fanatismes elle en a fait son deuil
Aucun racisme aucun clivage
Ne sont bienv’nus sur sa terre d’accueil
III
Nos femmes en France embrassent et dansent
Libres d’aimer d’faire valser les textos
Z’apprécient guère qu’on les tabasse
Ni d’êt’ voilées ce n’sont pas des bateaux
Eh oui ma France adore ses femmes
Les Barbara Colette Marie Curie
Les De Beauvoir celles qui s’enflamment
Lucie Aubrac Simone Veil Adjani
Ma France de Jaurès fût compagne
Et des savants des chercheurs elle raffole
Jules Ferry Pasteur Charlemagne
C’est grâce à eux qu’on va tous à l’école
Bien sûr ma France elle est laïque
De penser libre et libre de parole
C’est la France de la république
Les religions s’apprenn’ pas à l’école
IV
Cette France que certains haïssez
A ceux qui l’aiment il vous faut la laisser
Cette chanson libre jaillie d’mon cœur
J’aim’rais qu’les écoliers l’apprenn’ par cœur
Car cette Franc’-là tel est mon vœu
Je souhait’ qu’elle soit demain leur France à eux
Une étoile ralentit, dénudée jusqu’au jour.
Appel capté tout au fond, le feu ne laisse pas de trêve.
Mieux vaut une vie sans parole qu’une parole sans vie.
Il faudra bien ouvrir la permanence du souffle.
(Zéno Bianu)
Recueil: Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas
Traduction:
Editions: Gallimard
je n’ai pas choisi de naître
mais je dois accepter et la vie et la mort
je n’ai pas choisi le jour l’heure le lieu
ou l’époque de ma venue au monde
ni choisi le nom que je porte
ou mon sexe ou la couleur de mes yeux
mais faire des prédictions cela je l’ai voulu
j’espère et désespère dans le même temps
je fais des rêves étranges qui chassent le sommeil
j’ai des moments de long silence
puis les mots se bousculent sur mes lèvres
il est pénible de ne pas être entendue
ma parole n’est pourtant pas trompeuse
elle est dans la douleur du monde
il me faut garder une vision limpide
parler le langage de l’âme
qui est lumière et sagesse
sans quoi la stupeur et le désarroi
me rendront muette à jamais
je suis née femme ma parole
est dans la douleur du monde
(Amina Saïd)
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Que les joncs couvrent mon corps,
mes pieds, mon visage,
que personne ne surveille
quand j’écoute en silence l’eau
des fleuves qui me parlent.
Le son des cailloux
quand ils frôlent l’eau,
ce sont des baisers de soir et de lune,
et des baisers d’aube.
Un jour quelqu’un m’a dit
que les fleuves ne parlent jamais,
qu’ils suivent simplement leur cours
et qu’ils s’échappent sans paroles.
Comme je fus triste ce jour-là
quand j’ai entendu ses mots,
je suis partie en courant vers le fleuve
pour qu’il m’explique
pourquoi je l’entends si clairement
et d’autres ne l’entendent pas du tout.
(Raquel Ilonde)
Traduit de l’espagnol par Graciela Villanueva, in Poésie d’Afrique au sud du Sahara, Actes Sud/ Unesco,1995.
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey