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Le temps nouveau et mai et violette… (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024



    
Le temps nouveau et mai et violette…

Le temps nouveau et mai et violette
Et rossignol me somment de chanter,
Et mon fin cœur me fait d’une amourette
Si doux présent que ne l’ose refuser.
Or me laisse Dieu en tel honneur monter
Que celle où j’ai mon cœur et mes pensers
Tienne une fois entre mes bras nuette,
Avant que j’aille outre mer !

Pour commencer la trouvai si doucette
Que ne croyais pour elle mal endurer,
Mais son doux vis et sa belle bouchette,
Et son bel œil qui est riant et clair
M’eurent pris avant que me pus donner.
Or ne me veut retenir ni quitter,
J’aime mieux avec elle faillir, si (me le) promet,
Qu’à une autre parvenir.

Las ! pourquoi l’ai-je de mes yeux regardée
La douce chose qui fausse amie a nom ?
Elle me raille, et je l’ai tant pleurée,
Si doucement ne fut trahi nul homme.
Tant que fus mien, ne me fit que le bien,
Or je suis sien, elle m’occit sans raison
Et pour autant que de cœur l’ai aimée,
Je ne sais autre raison.

De mille soupirs que je lui dois par dette,
Ne me veut pas d’un seul quitte clamer,
Et faux amour ne laisse que s’entremettre
Ni ne me laisse dormir ni reposer.
Si veut m’occire, moins aura à garder ;
Je ne sais m’en venger fors de pleurer,
Car qui amour détruit et déshérite
On ne l’en doit pas blâmer…

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil: Troubadours et trouvères
Traduction: France Igly
Editions: Pierre Seghers

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OÙ DONC EST LE BONHEUR ? (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024



Illustration: Salvador Dali
    
OÙ DONC EST LE BONHEUR ?

Sed satis est jam posse mori.
LUCAIN.

Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l’enfance éphémère,
Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,
Est l’âge du bonheur, et le plus beau moment
Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus tard, aimer, – garder dans son coeur de jeune homme
Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,
Glisser un mot furtif dans une tendre main,
Aspirer aux douceurs d’un ineffable hymen,

Envier l’eau qui fuit, le nuage qui vole,
Sentir son coeur se fondre au son d’une parole,
Connaître un pas qu’on aime et que jaloux on suit,
Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,

Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,
Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,
Tous les buissons d’avril, les feux du ciel vermeil,
Ne chercher qu’un regard, qu’une fleur, qu’un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d’une main jalouse
Les boutons d’orangers sur le front de l’épouse ;
Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé
Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;

Voir aux feux de midi, sans espoir qu’il renaisse,
Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,
Perdre l’illusion, l’espérance, et sentir
Qu’on vieillit au fardeau croissant du repentir,

Effacer de son front des taches et des rides ;
S’éprendre d’art, de vers, de voyages arides,
De cieux lointains, de mers où s’égarent nos pas ;
Redemander cet âge où l’on ne dormait pas ;

Se dire qu’on était bien malheureux, bien triste,
Bien fou, que maintenant on respire, on existe,
Et, plus vieux de dix ans, s’enfermer tout un jour
Pour relire avec pleurs quelques lettres d’amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,
Boire le reste amer de ces parfums aigris,

Être sage, et railler l’amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d’un oeil mouillé de pleurs
Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l’homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d’ombre.
C’est donc avoir vécu ! c’est donc avoir été !
Dans la joie et l’amour et la félicité

C’est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !
Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l’enfance où le coeur dort,

Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !
Où donc est le bonheur, disais-je ? – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné !

(Victor Hugo)

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La paupière philosophale (Ghérasim Luca)

Posted by arbrealettres sur 1 Mai 2024




    
La paupière philosophale

Bien au-delà du peu
la peau et l’épée
lapent
l’eau ailée
du petit pire

Toupie d’une peur idéale
épi à pas de pou
appât
ou pâle pet de pétale

La vie dupe la fille du vite

Tapis doux
où les fées filent
les feux muets
d’un rien de doute

L’effet est fête
faute hâte
écho et cause

Muer le vil métal
en pot-au-feu d’or mental
étale
un métapeu de métatout :

œufs de tatou…

mythes dormants…

haute île en air…

Mi-métamoi mi-métatoi
lemétanous nous étoile

Le mot « pied » ose
le mot « pierre » s’use
tout colle

Tou est foutu
touffu
fétu

faux
défi
défaut
fou

Peau fine
paupière finale
foetale
fatale
philosophale

(Ghérasim Luca)

Recueil: Héros-Limite suivi de Le Chant de la carpe et de Paralipomènes
Editions: Gallimard

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THE NIGHT YOU SLEPT (Cesare Pavese)

Posted by arbrealettres sur 28 avril 2024



    

THE NIGHT YOU SLEPT

La nuit elle aussi te ressemble,
nuit lointaine qui pleure
muette, dans le coeur profond,
et mornes les étoiles passent.

Une joue effleure une joue
— c’est un frisson glacé,
quelqu’un se débat et t’implore,
seul, perdu en toi, dans ta fièvre.

La nuit souffre et aspire vers
l’aube, pauvre coeur qui tressailles.
O visage fermé, sombre angoisse,
fièvre qui attristes les étoiles,

certains attendent l’aube
comme toi épiant ton visage en silence.
Tu reposes sous la nuit
comme un horizon mort et fermé.

Pauvre coeur qui tressailles,
un jour lointain tu étais l’aube.

(Cesare Pavese)

Recueil: Travailler fatigue La mort viendra et aura tes yeux
Traduction: Gilles de Van
Editions: Gallimard

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Tu me plais quand tu te tais (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 27 avril 2024



Illustration: Leslie Adams
    
Tu me plais quand tu te tais car tu es comme absente,
et tu m’entends de loin, et ma voix point ne te touche.
On dirait que tes yeux se seraient envolés
et on dirait qu’un baiser t’aurait scellé la bouche.

Comme toutes les choses sont emplies de mon âme
tu émerges des choses, de toute mon âme emplie.
Papillon de songe, tu ressembles à mon âme,
et tu ressembles au mot mélancolie.

Tu me plais quand tu te tais et sembles distante.
Et tu sembles gémir, papillon dans la berceuse.
Et tu m’entends de loin, et ma voix ne t’atteint pas :
laisse-moi me taire avec ton silence.

Laisse-moi aussi te parler avec ton silence.
clair comme une lampe, simple comme un anneau.
Tu es comme la nuit, muette et constellée.
Ton silence est d’étoile, si lointain et simple.

Tu me plais quand tu te tais car tu es comme absente.
Distante et endolorie comme si tu étais morte.
Un mot alors, un sourire suffisent.
Et la joie que ce ne soit pas vrai, la joie m’emporte.

***

Me gustas cuando callas porque estás como ausente,
y me oyes desde lejos, y mi voz no te toca.
Parece que los ojos se te hubieran volado
y parece que un beso te cerrara la boca.

Como todas las cosas están llenas de mi alma
emerges de las cosas, llena del alma mía.
Mariposa de sueño, te pareces a mi alma,
y te pareces a la palabra melancolía.

Me gustas cuando callas y estás como distante.
Y estás como quejándote, mariposa en arrullo.
Y me oyes desde lejos, y mi voz no te alcanza :
Déjame que me calle con el silencio tuyo.

Déjame que te hable también con tu silencio
claro como una lámpara, simple como un anillo.
Eres como la noche, callada y constelada.
Tu silencio es de estrella, tan lejano y sencillo.

Me gustas cuando callas porque estás como ausente.
Distante y dolorosa como si hubieras muerto.
Una palabra entonces, una sonrisa bastan.
Y estoy alegre, alegre de que no sea cierto.

(Pablo Neruda)

Recueil: Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée suivi des vers du capitaine
Traduction: Claude Couffon et Christian Rinderknecht
Editions: Gallimard

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PRINTEMPS (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    
PRINTEMPS

Chantez sur la flûte,
La voici muette.
Oiseaux ivres
Nuit et jour
Le rossignol
Dans le vallon
L’alouette
Dans les cieux
Gais, gais, gais,
Pour saluer l’année.

Petit garçon
Lourd de joie,
Petite fille
Douce et gentille
Le coq crie
Et vous aussi,
Voix de joie,
Cris d’enfant,
Gais, gais, gais,
Pour saluer l’année.

Agnelet, agnelet,
Me voici,
Viens lécher
Mon cou blanc,
Laisse-moi tirer
Ta toison plus douce,
Laisse-moi baiser
Ta tête plus douce,
Gais, gais, gais,
Saluons l’année.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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Dansez l’orange… (Rainer Maria Rilke)

Posted by arbrealettres sur 27 février 2024




    

Dansez l’orange…

Retenez-le — ah, ce goût ! — qui s’échappe.
— Sourde musique : un murmure en cadence, —
Jeunes filles, vous, chaudes, jeunes filles, muettes,
du fruit éprouvé exécutez la danse !

Dansez l’orange. Qui peut oublier
comme de sa douceur se défendait le fruit,
en soi-même fondant. Vous l’avez possédé,
en vous exquisément vous l’avez converti.

Dansez l’orange. Ce pays plus chaud,
projetez-le : qu’elle rayonne, mûre,
dans l’air natal. Dévoilez, embrasées,

tous ses parfums, pour créer le rapport
avec l’écorce pure et rebelle,
avec le suc dont l’heureuse ruisselle.

(Rainer Maria Rilke)

Recueil: Sonnets à Orphée
Editions:

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Sans musique (Paul Éluard)

Posted by arbrealettres sur 9 février 2024



Illustration: Edvard Munch
    
Sans musique

Les muets sont des menteurs, parle.
Je suis vraiment en colère de parler seul
Et ma parole
Éveille des erreurs

Mon petit coeur.

(Paul Éluard)

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Encore plus exilé de toi (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 30 janvier 2024




    
Encore plus exilé de toi par la neige.
Vint un oiseau muet se poser sur le seuil — pourquoi ? —
et s’envola.
Fleury-en-Bière.

Il a neigé sur la maison
c’est l’air et le silence immenses
de la cime, et c’est l’horizon
des oublis que l’aube ensemence.

Il a neigé sur l’avenue
c’est la plage démesurée
sans une empreinte, toute nue
après l’étreinte des marées

Il a neigé sur les allées
c’est le jardin qui ne sait rien
rien que les fleurs ensommeillées
aux racines de leurs chagrins

Il a neigé sur la forêt
c’est plus lisible l’écriture
et moins déchirant le secret
mais aussi vive la blessure

Il a neigé. Tu me quittas
la patte d’oiseau vient des cieux
que signe-t-elle sur le pas
de la porte, est-ce ton adieu,

ou ton retour ?

(Robert Mallet)

 

Recueil: Quand le miroir s’étonne suivi de Silex éclaté et de L’espace d’une fenêtre
Editions: Gallimard

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Il y a de ces moments et de ces lieux (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 29 janvier 2024




    
Il y a de ces moments et de ces lieux où l’harmonie
des choses nous fait croire que nous résoudrons
l’insoluble de nos vies.
Angkor Tom.

Un vol de perroquets muets
sur le fouillis de pierres se perchait
Crâne rasé, vêtu d’orange, un bonze
silencieux frappait une cloche
Le bleu des ailes, les rumeurs du bronze
les feuillages gris de la roche
la prière dorée à l’ombre éclose
envahissaient la chair du couchant rose
et célébraient mes impossibles noces
Est-ce vivre un poème ou le mensonge
que d’accepter comme l’envers du songe
un son de ciel dans la couleur des choses ?

(Robert Mallet)

 

Recueil: Quand le miroir s’étonne suivi de Silex éclaté et de L’espace d’une fenêtre
Editions: Gallimard

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