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Blanche abeille (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 26 avril 2024



Illustration
    
Blanche abeille tu bourdonnes — ivre de miel — dans mon âme
et tu te tords en lentes spirales de fumée.

Je suis le désespéré, la parole sans échos,
celui qui perdit tout, et celui qui posséda tout.

Ultime amarre, en toi craque mon anxiété ultime.
En ma terre déserte tu es l’ultime rose.

Ah silencieuse !

Clos tes yeux profonds. Là bat des ailes la nuit.
Ah dénude ton corps de statue craintive.

Tu as des yeux profonds où la nuit bat des ailes.
De frais bras de fleur et giron de rose.

Tes seins ressemblent aux escargots blancs.
Un papillon d’ombre est venu s’endormir sur ton ventre.

Ah silencieuse !

Voici la solitude d’où tu es absente.
Il pleut. Le vent marin chasse d’errantes mouettes.

L’eau marche pieds nus dans les rues trempées.
De cet arbre geignent, comme des malades, les feuilles.

Blanche abeille, absente, encore tu bourdonnes dans mon âme.
Tu revis dans le temps, fine et silencieuse.

Ah silencieuse !

***

Abeja blanca zumbas — ebria de miel — en mi alma
y te tuerces en lentas espirales de humo.

Soy el desesperado, la palabra sin ecos,
el que lo perdió todo, y el que todo lo tuvo.

Última amarra, cruje en ti mi ansiedad última.
En mi tierra desierta eres la última rosa.

Ah silenciosa !

Cierra tus ojos profundos. Allí aletea la noche.
Ah desnuda tu cuerpo de estatua temerosa.

Tienes ojos profundos donde la noche alea.
Frescos brazos de flor y regazo de rosa.

Se parecen tus senos a los caracoles blancos.
Ha venido a dormirse en tu vientre una mariposa de sombra.

Ah silenciosa !

He aquí la soledad de donde estás ausente.
Llueve. El viento del mar caza errantes gaviotas.

El agua anda descalza por las calles mojadas.
De aquel árbol se quejan, como enfermos, las hojas.

Abeja blanca, ausente, aún zumbas en mi alma.
Revives en el tiempo, delgada y silenciosa.

Ah silenciosa !

(Pablo Neruda)

Recueil: Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée suivi des vers du capitaine
Traduction: Claude Couffon et Christian Rinderknecht
Editions: Gallimard

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LA VIE AURA MA PEAU (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
LA VIE AURA MA PEAU

La vie aura ma peau
ma peau d’enfant solitaire
écorchée aux coudes,
aux genoux dans les trous, les ornières

La vie aura ma peau
ma peau d’enfant héroïque
de rêveur épidermique
charmé par les yeux de ma mère

La vie aura ma peau
ma peau douce et frissonnante
ma peau ivre de jouissance
de baisers d’insouciance
Ma peau bronzée, ma peau claire
ma peau brûlée, ultra violée
par les radiations solaires

La vie aura ma peau
que je pensais avoir si dure
que j’exposais aux quatre vents
à la froidure comme au brûlant
La vie aura ma peau
parfumée d’ambre solaire
cernée d’ombre et de lumière
par vent glacé, par vent chaud

La vie aura ma peau
et que le Diable l’emporte
depuis le temps qu’elle me supporte
elle ne me fera pas de cadeau
Ma chair et tout le reste les os de mon squelette
finiront en poussière en paradis
ou en enfer cramé ou six pieds sous terre
Quand mon âme déchargée du poids de sa violence
aura repris le cours de sa divine errance
dans ce ballet d’atomes où rêve l’éternité

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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PRINTEMPS (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    
PRINTEMPS

Chantez sur la flûte,
La voici muette.
Oiseaux ivres
Nuit et jour
Le rossignol
Dans le vallon
L’alouette
Dans les cieux
Gais, gais, gais,
Pour saluer l’année.

Petit garçon
Lourd de joie,
Petite fille
Douce et gentille
Le coq crie
Et vous aussi,
Voix de joie,
Cris d’enfant,
Gais, gais, gais,
Pour saluer l’année.

Agnelet, agnelet,
Me voici,
Viens lécher
Mon cou blanc,
Laisse-moi tirer
Ta toison plus douce,
Laisse-moi baiser
Ta tête plus douce,
Gais, gais, gais,
Saluons l’année.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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DE VIEILLESSE (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 2 mars 2024




    
DE VIEILLESSE

Grand-père et grand-mère sont morts
Sont morts le même jour
La même heure
La même minute —
On a dit que c’était de vieillesse

Est crevé leur coq
Leur chèvre et chien
(Le chaton n’était pas à la maison)
Et on a dit que c’était de vieillesse

S’est écroulée leur maison
La grange s’est muée en ruine
Et la cave a été recouverte de terre
On a dit que c’était de vieillesse s’ils s’étaient écroulés

Leurs enfants sont venus, enterrer le grand-père et la grand-mère

Olya était enceinte
Serhiy était ivre
Sonya, elle, avait trois petites années

Et eux aussi ils sont morts
Et on a dit que c’était de vieillesse

Le vent froid fend les feuilles jaunes
Et en a recouvert grand-père, grand-mère, Olya, Serhiy, Sonya

Morts de vieillesses

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin)
Editions: des femmes

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À la joie (Missak Manouchian)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024



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À la joie

Ô joie, souffle enthousiaste,
Quand tu jaillis des cœurs gros de chagrins,
De détresse et de souffrance,
Doux et fécond est ton torrent de volupté !

Sur tes visages, tel un baiser de lumière,
Tantôt tu répands une ineffable rêverie,
Tantôt tu allumes de multiples appels lancinants
Dans les yeux, comme un inextinguible feu.
Tu es semblable à ces sources limpides
Venues du plus profond des montagnes…
Et qui comme les abondants ruisseaux printaniers
Donnent la vie à tous dans leur course.

Fertilisée par les ardeurs de l’hiver,
Aimée par le baiser ivre du soleil,
Tu es parfois une oasis née du sable,
Où d’innombrables lassitudes viennent te bénir.
Ô joie, lumière débordante,
Toi, fontaine enchantée, feu, sacré,
Telle la clarté vivifiante du soleil,
Sois inépuisable pour les cœurs obscurs !…

(Missak Manouchian)

Recueil: Ivre d’un grand rêve de liberté
Traduction: Stéphane Cermakian
Editions: Points

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Tenter, braver, persister, persévérer (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 26 janvier 2024



Illustration: Eugène Delacroix
    
Tenter, braver, persister, persévérer,
être fidèle à soi-même,
prendre corps à corps le destin,
étonner la catastrophe
par le peu de peur qu’elle nous fait,
tantôt affronter la puissance injuste,
tantôt insulter la victoire ivre,
tenir bon, tenir tête;

voilà l’exemple dont les peuples ont besoin,
et la lumière qui les électrise.

(Victor Hugo)

 

Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Editions: Bruno Doucey

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Viens (Gisèle Prassinos)

Posted by arbrealettres sur 9 janvier 2024




    
Viens

Viens retournons là-bas
Dans les champs
les maisons de feuilles abritent encore nos ombres petites.
Regarde sur ton front la verte gloire n’est pas flétrie
– l’autre ne fut qu’un rêve –
et dans les vergers
les fruits d’alors n’ont pu décider
sans toi
de se changer en arbre.

Viens mon Rouge prends tes armes
j’ai mes chardons
et je m’appelle Fleur de cerisier.

Le temps n’est rien
il n’y a pas de lits pour nos morts
pas de fin pour nos figures
les corps mentent
les miroirs sont ivres.

(Gisèle Prassinos)

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Marée Basse (Philippe Soupault)

Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2024



    

Marée Basse

Je songe à tous les vents
Simoun sirocco et mousson
à vous phénomènes et typhons
tandis qu’ici tout craque
et que la chaleur épaisse comme la neige
se répand dans le silence
O Lune simplicité oracle
qu’un vent de crépuscule
réduit en lucioles
O lune tout t’abandonne
toi l’amie du silence ennemie des vents
plus est-ce toi qui mène les nuages
paitre
au-delà de la nuit
tout t’abandonne tout te fuit
obéissante moins aimée
mes yeux se ferme grâce à toi
et ta douceur se répand dans les veines de la terre
je songe à vous absents ivres ou dormeurs
vents de terre et de mer
vous qui apprenez qu’il faut vivre
avec des ailes
ou dormir sans scrupules
quand les oiseaux vos enfants
cueillent les étoiles de la vie et du sommeil
vents des continents
roses vous tremblez
vous qui préférez le supplice du crépuscule

(Philippe Soupault)

Recueil: Georgia – Épitaphes – Chansons
Editions: Gallimard

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Une nuit (Constantin Cavafis)

Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2023



Illustration: Jean-Baptiste Valadie
    
Une nuit

La chambre était pauvre et ordinaire,
blottie au-dessus d’un bar douteux.
Par la fenêtre, la ruelle,
étroite et crasseuse. D’en bas
montaient les voix de quelques ouvriers .
qui jouaient aux cartes et s’en donnaient à coeur joie.

Et là, sur le lit humble et banal,
j’ai eu le corps de l’amour, j’ai eu les lèvres
voluptueuses et roses d’ivresse —
roses d’une telle ivresse qu’à l’heure même
où j’écris, après tant d’années,
dans ma maison déserte, j’en suis ivre à nouveau.

(Constantin Cavafis)

Recueil: Poèmes anciens ou retrouvés
Traduction: Gilles Ortlieb et Pierre Leyris
Editions: Seghers

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Je suis anéanti (Rûmi)

Posted by arbrealettres sur 11 novembre 2023




    
Je suis anéanti, et les parcelles de mon corps ont été jetées
Dans ce firmament qui est ma patrie originelle
Toutes sont ivres, joyeuses, amoureuses du Vin
De l’Invisible, par crainte de cette prison qui est moi-même.

(Rûmi)

Recueil: Rubâi’yât
Traduction: du Persan par Eva de Vitray-Meyerovitch et Djamchid Mortazavi
Editions: Albin-Michel

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