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Poésie

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Pour ceux qui sont partis (Natsume Sôseki)

Posted by arbrealettres sur 14 Mai 2024



Pour ceux qui sont partis
Pour ceux qui sont restés
Les oies reviennent.

(Natsume Sôseki)

Illustration: Hiroshige

 

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OÙ DONC EST LE BONHEUR ? (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024



Illustration: Salvador Dali
    
OÙ DONC EST LE BONHEUR ?

Sed satis est jam posse mori.
LUCAIN.

Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l’enfance éphémère,
Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,
Est l’âge du bonheur, et le plus beau moment
Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus tard, aimer, – garder dans son coeur de jeune homme
Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,
Glisser un mot furtif dans une tendre main,
Aspirer aux douceurs d’un ineffable hymen,

Envier l’eau qui fuit, le nuage qui vole,
Sentir son coeur se fondre au son d’une parole,
Connaître un pas qu’on aime et que jaloux on suit,
Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,

Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,
Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,
Tous les buissons d’avril, les feux du ciel vermeil,
Ne chercher qu’un regard, qu’une fleur, qu’un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d’une main jalouse
Les boutons d’orangers sur le front de l’épouse ;
Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé
Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;

Voir aux feux de midi, sans espoir qu’il renaisse,
Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,
Perdre l’illusion, l’espérance, et sentir
Qu’on vieillit au fardeau croissant du repentir,

Effacer de son front des taches et des rides ;
S’éprendre d’art, de vers, de voyages arides,
De cieux lointains, de mers où s’égarent nos pas ;
Redemander cet âge où l’on ne dormait pas ;

Se dire qu’on était bien malheureux, bien triste,
Bien fou, que maintenant on respire, on existe,
Et, plus vieux de dix ans, s’enfermer tout un jour
Pour relire avec pleurs quelques lettres d’amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,
Boire le reste amer de ces parfums aigris,

Être sage, et railler l’amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d’un oeil mouillé de pleurs
Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l’homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d’ombre.
C’est donc avoir vécu ! c’est donc avoir été !
Dans la joie et l’amour et la félicité

C’est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !
Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l’enfance où le coeur dort,

Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !
Où donc est le bonheur, disais-je ? – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné !

(Victor Hugo)

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À présent (Cees Nooteboom)

Posted by arbrealettres sur 23 avril 2024



 Illustration: Max Neumann
    
À présent le silence est
le reste de la distance
sans souvenir
pas de vie.

Je n’entends plus
mes pas,
ce qui m’entoure
est caché.

J’avance à l’aveugle, pâle chien
dans le froid. Ce doit être ici,
ici je dis adieu à mon moi
et lentement ne deviens

personne.

(Cees Nooteboom)

Recueil: L’oeil du moine suivi de Adieu
Traduction: du néerlandais par Philippe Noble
Editions: Actes Sud

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Un nuage m’a visité (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 12 avril 2024




    
Un nuage m’a visité.
Et m’a laissé en s’en allant
son contour de vent.

Une ombre m’a visité.
Et m’a laissé en s’en allant
le poids d’un autre corps.

Une bouffée d’images m’a visité.
Et m’a laissé en s’en allant
l’irréligion du rêve.

Une absence m’a visité.
Et m’a laissé en s’en allant
mon image dans le temps.

Et moi je visite la vie.
Je lui laisserai en m’en allant
la grâce de ces restes.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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LA VIE AURA MA PEAU (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
LA VIE AURA MA PEAU

La vie aura ma peau
ma peau d’enfant solitaire
écorchée aux coudes,
aux genoux dans les trous, les ornières

La vie aura ma peau
ma peau d’enfant héroïque
de rêveur épidermique
charmé par les yeux de ma mère

La vie aura ma peau
ma peau douce et frissonnante
ma peau ivre de jouissance
de baisers d’insouciance
Ma peau bronzée, ma peau claire
ma peau brûlée, ultra violée
par les radiations solaires

La vie aura ma peau
que je pensais avoir si dure
que j’exposais aux quatre vents
à la froidure comme au brûlant
La vie aura ma peau
parfumée d’ambre solaire
cernée d’ombre et de lumière
par vent glacé, par vent chaud

La vie aura ma peau
et que le Diable l’emporte
depuis le temps qu’elle me supporte
elle ne me fera pas de cadeau
Ma chair et tout le reste les os de mon squelette
finiront en poussière en paradis
ou en enfer cramé ou six pieds sous terre
Quand mon âme déchargée du poids de sa violence
aura repris le cours de sa divine errance
dans ce ballet d’atomes où rêve l’éternité

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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LE VENT (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
LE VENT

Le vent
ça brasse de l’air
ça fait danser les feuilles mortes
ça fait claquer les portes
et baisser les paupières

Le vent ça donne des ailes
à ceux qui traînent la patte
ça ramène des nouvelles
de la Terre de Feu aux Carpates

Le vent ça vous matraque
juste ce qu’il faut derrière l’oreille

Ça fait voler les châles
ça fait gonfler les voiles
ça fait danser les flammes
et ça plaque les volants des robes
sur les cuisses des femmes…
ça fait chanter les morts
et vibrer les étoiles

Le vent ça hurle dehors
ça hurle dans la nuit
ça murmure sous les portes
et puis ça pousse des cris

Le vent ça affole les cerveaux
ça bouscule les poivrots
ça retourne les bagnoles

Le vent
ça enflamme les crinières
ça gicle dans l’ornière
ça souffle dans les crânes

Le vent ça sculpte les rochers
ça couche les champs de blé
ça décoiffe les beautés

Le vent ça claque les étendards
ça déchire les drapeaux
ça balaie les remparts

Le vent ça vous plaque contre un mur
ça vous lèche la figure
comme un grand chien joyeux.

Le vent
qui fait tourner la Terre
et tourner la poussière autour de tes pieds nus

Le vent
qui souffle dans ma tête
me chante un air de fête un air de liberté

Le vent

Emportera mes restes
balaiera la poussière
de mes os sur la terre
où j’ai dansé
mortel
parmi les ombres
entre les flammes
autour du feu qui crache
sur le ciel étoilé
des milliards d’étincelles

Vendredi 30 décembre 1994, à Calvi
Un soir de grand vent, la nuit, dans la citadelle.
En repensant aux feux de la Saint-Jean.

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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ART POÉTIQUE (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 15 mars 2024




    
ART POÉTIQUE

Le premier vers nous coûte alors qu’il est fortuit.
Il vient quand ça lui chante après qu’on l’a cherché,
Jamais à bout d’effort: toujours on l’a mâché
Sans le savoir et c’est pourquoi il est gratuit.

On croyait l’arracher, c’est lui qui nous retrouve.
Ce qui vient par surprise est chargé de son sens.
Pour la bonne fortune il faut avoir confiance.
Ce qui nous est donné sans réserve se prouve.

Le reste se poursuit sans obstacle majeur,
Il suffit de se faire un tantinet songeur.
L’eau s’enchaîne en versant de l’eau à ses maillons.

Ainsi coule le fleuve en liquidant sa pâte
Dans le gaufreur de l’eau où se forge sans hâte
Le doux miel du soleil dans chacun des rayons.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

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LE PETIT VAGABOND (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



Illustration: William Blake
    
LE PETIT VAGABOND

Maman chérie, maman chérie, l’église est froide,
Mais l’Auberge est saine, agréable et chaude ;
Du reste, je peux dire où je suis bien traité,
Une telle hospitalité au ciel ne conviendrait pas.

Mais si on nous donnait à l’église de la bière
Et un bon feu pour réjouir nos âmes,
Nous chanterions et nous prierions tout le long du jour
Et ne voudrions plus jamais quitter l’église.

Alors le Pasteur pourrait prêcher et boire et chanter
Et nous serions aussi heureux que les oiseaux au printemps,
Et l’humble dame Hypocrisie qui est toujours au temple
N’aurait pas d’enfants cagneux, ni jeûnes, ni verges.

Et Dieu, comme un père se réjouissant de voir
Ses enfants aussi gais et heureux que lui
N’aurait plus de querelles avec le Diable ou avec le baril,
Mais l’embrasserait en lui donnant le boire aussi bien que le vêtement.

***

The Little Vagabond

Dear Mother, dear Mother, the Church is cold,
But the Ale-house is healthy & pleasant & warm;
Besides I can tell where I am use’d well,
Such usage in heaven will never do well.

But if at the Church they would give us some Ale.
And a pleasant fire, our souls to regale;
We’d sing and we’d pray, all the live-long day;
Nor ever once wish from the Church to stray,

Then the Parson might preach & drink & sing.
And we’d be as happy as birds in the spring:
And modest dame Lurch, who is always at Church,
Would not have bandy children nor fasting nor birch.

And God like a father rejoicing to see,
His children as pleasant and happy as he:
Would have no more quarrel with the Devil or the Barrel
But kiss him & give him both drink and apparel.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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PRÉLUDE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
PRÉLUDE

Alouette, chante-petit
Qui revenez du Paradis,

Que faites-vous, sans voix ni vol,
Quand vous retombez sur le sol?

Notre soeur qui chantez aux cieux
Et volez au souffle de Dieu,

Que faites-vous, ange un instant,
Sur terre le reste du temps?

Ingrate et lourde autant que nous,
— Ou plus — ma soeur, que faites-vous

Quand Dieu retient son vent ailé
Et sur vos pieds vous laisse aller?

Ma soeur, donnez-nous votre jour
Céleste qui revient d’amour,

Mais donnez-nous ce jour aussi
Qui trébuche non loin d’ici.

Votre jour sans aile ni chant
Qui traîne sur un maigre champ;

Le jour aveugle, le jour bas
Où le ciel repousse vos pas;

Le jour où, gros d’orage épais,
Le temps de votre âme est mauvais,

Où dans l’ombre votre coeur geint,
Grince, se heurte à son prochain…

Donnez-nous votre jour, ma soeur,
Qui n’a ni grâce, ni douceur,

Votre jour vrai. — L’autre est si court! —
Votre jour gris de chaque jour

Qui suit sa misère à tâtons
Comme une vieille et son bâton.

Ah ! pauvresse ! ah ! soeur, prêtez-nous,
Ce soir, votre bâton de houx.

— Où sont errantes vos chansons
Pour endormir les nourrissons? —

Marcher est long, marcher est lent,
Soeur qui boitez, au ciel allant,

Marcher est rude. Nous boitons.
Soeur, prêtez-nous votre bâton,

Et Dieu, s’il y pense, en avril
Nous donne l’aile.
Ainsi soit-il.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les chants de la Merci suivi de Chants des Quatre-Temps
Traduction:
Editions: Gallimard

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