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Poésie

Posts Tagged ‘disparaître’

Où es-tu ? (Richard Rognet)

Posted by arbrealettres sur 21 Mai 2024




    
Où es-tu ?

Que fais-tu ?

Les étoiles s’enlisent,
ton corps est un grand cri sur les forêts malades,
dans la masse des nuits, à tâtons, tu avances,
et le monde s’éteint entre tes doigts fripés.

Où es-tu ?

Ta place disparaît au sein des ombres closes,
tu sens qu’au fond de toi la mort prend son élan,
mais qu’un double obstiné résiste comme un songe
que tu n’as pas su mettre en avant dans ta vie.

Que fais-tu ?

Délivres-tu l’enfant qui en toi se débat ?
l’enfant qui aurait dû te guider sur la terre,
cet enfant qu’on appelle et qu’on appelle encore
quand on quitte la rive où s’effacent les jours.

(Richard Rognet)

Recueil: Élégies pour le temps de vivre suivi de Dans les méandres des saisons
Editions: Gallimard

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LE CARROUSEL (Rainer Maria Rilke)

Posted by arbrealettres sur 21 Mai 2024



Illustration
    
LE CARROUSEL
Jardin du Luxembourg

Munis d’un toit et de son ombre
la troupe de chevaux bariolés
se met à tourner pour un moment ;
tous sont de ce pays
qui longtemps hésite avant de sombrer.
Si certains d’entre eux trottent en attelage
tous ont pourtant le même air décidé ;
un lion court près d’eux rouge et méchant
et de temps en temps un éléphant blanc.

Il y a même un cerf comme dans les bois,
sauf qu’il a une selle et sur cette selle
une petite fille bleue tenue par des courroies.
Un garçon tout blanc chevauche le lion
et s’y tient ferme d’une blanche main chaude
tandis que le fauve montre sa langue et ses crocs.
Et de temps en temps un éléphant blanc.

Et sur les chevaux passent,
des petites filles claires aussi
déjà trop âgées pour ces cabrioles
et en plein vol elles lèvent leur regard
pour le poser ailleurs, quelque part.
Et de temps en temps un éléphant blanc.

Et tout continue, se hâte vers la fin
et tourne et vire sans cesse et sans but.
Un rouge, un vert, un gris qui passent en hâte
un petit profil à peine ébauché.
Parfois un sourire aux anges
se tourne, éblouit et disparaît
dans ce jeu aveugle et hors d’haleine…

(Rainer Maria Rilke)

Recueil: Nouveaux poèmes suivi de Requiem
Traduction: de l’allemand par Lorand Gaspar et Jacques Legrand
Editions: POINTS

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Dernière étoile (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 17 Mai 2024




    
Dernière étoile qui disparais avant le jour,
Je pose sur ton scintillement bleu pâle mes yeux tranquilles,
mon regard calme,
Et je te vois en dehors,
Heureux de ma victoire à pouvoir te regarder
Sans aucun « état d’âme », sauf te regarder.
Ta beauté pour moi est dans ton existence.
Ta grandeur tient à ce que tu existes entièrement en dehors de moi.

(Fernando Pessoa)

Recueil: Poèmes jamais assemblés
Traduction: du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade,Fabienne Vallin
Editions: Unes

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Navire qui pars pour le lointain (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 14 Mai 2024




    
Navire qui pars pour le lointain,
Pourquoi est-ce que, contrairement aux autres,
Je ne ressens pas, une fois disparu, des saudades de toi ?
Parce que quand je ne te vois plus, tu cesses d’exister.
Et si on a la nostalgie de ce qui n’existe pas,
On n’est plus alors en relation avec rien,
Ce n’est pas du navire, mais de nous, que l’on ressent le manque.

(Fernando Pessoa)

Recueil: Poèmes jamais assemblés
Traduction: du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade,Fabienne Vallin
Editions: Unes

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L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain (Frédéric Nietzsche)

Posted by arbrealettres sur 8 Mai 2024



 

L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain, — une corde sur l’abîme.

Il est dangereux de passer au-delà, dangereux de rester en route,
dangereux de regarder en arrière, frisson et arrêt dangereux.

Ce qu’il y a de grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but :
ce que l’on peut aimer en l’homme, c’est qu’il est un passage et un déclin.

J’aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au-delà.

(Frédéric Nietzsche)

Illustration: Alain Chayer

 

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Tout saut finit par prendre appui (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 13 avril 2024




    
Tout saut finit par prendre appui.
Mais est possible en quelque lieu
un saut comme un incendie,
un saut qui consume l’espace
où il devrait prendre fin.

J’ai atteint mes insécurités définitives.
Ici commence le territoire
où l’on peut brûler tout ce qui est final
et créer son propre abîme
pour disparaître au-dedans

La pierre du non-être,
la sûre condition négative,
la pression du néant,
est l’ultime appui qui nous reste.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Nous sommes de trop (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2024



Illustration: Natacha Nikouline
    
Nous sommes de trop.
Ici ou n’importe où :
quelque part nous sommes de trop.
Nous sommes l’excédent
de quelque pierre transversale du destin.

La musique est faite
des foulées d’un adroit animal
qui s’approche et soudain disparaît.
Les paroles sont les spasmes minuscules
d’une herbe menue
qui a trop hâte de pousser
et ne trouve pas son propre soleil,
sa propre pluie.
Les amours ou personne,
les amours avec personne,
ou personne avec ses amours,
sont des orphelins qui tètent
à un sein depuis longtemps épuisé.

Les dieux qui sont tombés,
les dieux qui ne tombent pas
parce qu’ils n’ont jamais été en haut,
la forêt non végétale des dieux,
dialogue uniquement
avec la ligne d’horizon qui nous cerne.

Les mains, qui furent jadis
et les choses qui ne furent jamais
s’ajustent dans ce noeud qui n’emprisonne rien.

Non, il n’y a pas que nous seulement :
tout est de trop.
Ici ou ailleurs.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Où ont-elles disparu ces si nombreuses lycéennes? (Moon Chung-hee)

Posted by arbrealettres sur 24 mars 2024




    
Où ont-elles disparu ces si nombreuses lycéennes?

Cette fille travaillait bien à l’école
et excellait aussi dans ses activités personnelles
Sortie du lycée elle a réussi sans peine
au concours d’entrée à l’université mais où est-elle maintenant?

Fait-elle bouillir la soupe aux pommes de terre?
Après l’avoir préparée pendant trois heures avec l’os
s’exposant à la vapeur chaude devant la cuisinière à gaz
sera-t-elle heureuse le soir de regarder son mari
avaler de bon appétit cette soupe pendant quinze minutes?
Après avoir terminé la vaisselle aide-t-elle ses enfants à faire leurs devoirs?

Ou bien erre-t-elle encore dans la rue froide
à la recherche d’une embauche dans une société?
Dans un gymnase où l’on élit les candidats d’un parti politique
vêtue d’un hanbok les décore-t-elle de rubans?
Leur offre-t-elle des bouquets de fleurs?
Embauchée par bonheur, assise dans un coin d’un grand bureau
elle répondra aimablement au téléphone et servira quelquefois le thé
Est-elle devenue femme d’un médecin, femme d’un professeur ou bien infirmière?
Peut-être apprend-elle à chanter dans un centre culturel d’où elle part à la hâte avant que son mari rentre le soir

Où ont-elles disparu ces si nombreuses lycéennes?
Dans cette forêt de hauts buildings, ne devenant ni députées ni ministres ni médecins
ni professeures ni femmes d’affaires ni cadres d’une Société
rejetées de-ci de-là comme un gland tombé dans le repas du chien
errent-elles encore sans pouvoir se faire valoir?
Sans pouvoir prendre part au monde grand et large
sont-elles confinées dans la cuisine et la chambre?

Où ont-elles disparu ces si nombreuses lycéennes?

(Moon Chung-hee)
Recueil: Celle qui mangeait le riz froid

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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Huis-clos (Pierre Kobel)

Posted by arbrealettres sur 22 mars 2024




    Huis-clos

Ils ont cassé ma voix
Parce que je ne disais pas comme eux
Ils ont crevé mes yeux
Parce que je ne voyais pas comme eux
Ils ont brisé mes mains
Parce que je ne saluais pas comme eux
Ils ont frappé mon crâne
Parce que je ne pensais pas comme eux

Je suis un homme de barbelés
J’ai des prisons par tout mon corps
Je suis l’autre le dissident
La femme ou l’étranger
L’enfant l’homo
La différence
J’existe dans un monde
Qui rétrécit de toutes parts

Ils me jettent à la mer
Me torturent me tuent
Ils me font disparaître
Mais je serai là demain
toujours

Et j’ouvrirai les portes du grand large
malgré la parole refusée
malgré les regards aveuglés
malgré les pas attachés
malgré l’esprit déchiré

(Pierre Kobel)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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LA PLUS BELLE (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
LA PLUS BELLE

La plus belle, c’est celle qu’on croise
Qui surgit puis qui disparaît
Qui d’un regard vous embrase
Qu’on ne reverra sans doute jamais

La plus belle, c’est celle qui passe
Sans un regard, sans dire un mot
Comme dans le ciel, une aile d’oiseau
Qui passe, quand on a le coeur gros

La plus belle, c’est celle qui passe
Apparition, nimbée de grâce,
Et dont le souvenir s’efface,
Dont on ne suivra pas la trace

Un rayon de soleil fugace
Qui surgit puis qui disparaît
Et qu’on ne reverra jamais
La plus belle, c’est celle qui passe.

Jeudi 4 novembre 2004, au Café de l’Industrie,
quartier Bastille, à Paris.

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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