Le vent d’automne se lève,
La course tranquille des nuages blancs se précipite.
Plantes et arbres jaunissent et se dépouillent.
Les oies sauvages rejoignent le sud.
L’orchidée garde sa beauté
Et le Chrysanthème son parfum
Je me languis de mon unique amour,
Impuissant à oublier.
Nous lançons le grand navire sur la rivière Fen
Il fend sans peine son courant,
S’agitant en vagues blanches.
L’écho des tubes et des tambours
Amplifie le chant des rameurs.
Au sommet de la joie, les pensées tristes me pointent
Jeunesse et force, comme vous passez vite !
Sans espoir possible, nous déclinons.
(Liu Che)
l’empereur Wu des Han (156-87)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Cette chambre est fermée de tous côtés.
Cependant, un éclair l’a traversée.
Il me semble du moins en avoir aperçu un.
Ou est-ce la merveilleuse réalité
que nous percevons de l’endroit où nous sommes ?
Cet éclair, est-il désormais
ailleurs, hors d’ici ?
Est-ce chose possible ?
Il n’y a en ce lieu aucun passage.
Et les vitres des fenêtres sont couvertes d’épais rideaux.
Cela ne fut-il qu’une intime illusion?
Cet éclair, n’est-il passé qu’en moi?
Ce malentendu entre dedans et dehors
m’a fait entendre un grondement violent.
Pendant qu’en ce vide obscur
la respiration est à peine sensible,
un silence imperturbable demeure
couché et endormi à mes pieds sur lui : un couvre-pied.
Ce frémissement, qui a parcouru coins et recoins de ce lieu,
a provoqué dans les forêts environnantes un cri de douleur soudain,
audible jusqu’à cette chambre si bien fermée,
cri apparu pour s’éteindre aussitôt, sans disparaître pour autant.
Les rayons, qui pénétrèrent et lacérèrent cet instant fragile,
se sont enfuis et s’enfuient encore,
vers le haut et le bas, le nord, le sud.
S’agit-il du vaste ciel où je me tiens assis maintenant?
Quelle étrange vision pour mes yeux clos !
Mon siège tourne, et en tournant
m’entraîne dans une orbite circulaire,
planète au mouvement semblable
à des milliers d’autres en cet espace infini.
Est-ce donc ainsi la forme de ma pensée,
ainsi ce monde :
un royaume céleste dans la chambre ?
***
(Lokenath Bhattacharya)
Traduction de l’auteur et de Marc Blanchet
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
Lorsque les champs dorés devant ma vue ondulent,
Et la forêt tressaille au souffle du zéphyr,
Que mille chants d’oiseaux dans les airs se modulent,
Et sous la feuille un fruit recommence à bouffir;
Lorsque tout imprégnés d’éclatante rosée,
A l’aube ou par un soir incendiant les cieux,
Le candide muguet, ou la vierge pensée,
Me semble saluer d’un geste gracieux;
Lorsqu’une fraîche source au fond de la vallée,
Fredonnant un doux chant qui me berce et m’endort,
Murmure à mon oreille une légende ailée
D’un pays merveilleux du temps de l’âge d’or;
— Alors, je sens enfin dans mon âme se taire
Tous les tourments secrets des pensers anxieux.
Je conçois le bonheur possible sur la terre,
Et la Divinité — visible dans les cieux.
(Michel Lermontov)
Recueil: Michel Lermontov Poèmes
Traduction: Igor Astrow
Editions: Du Tricorne
Plus vite il marchait,
plus il approchait de sa maison,
plus elle rapetissait,
devenait inhabitable.
La distance se solidifiait derrière sa marche
et le poussait avec le rythme
d’une troupe militaire que rien ne presse.
Il lui fallait entrer dans cette maison minuscule,
ce qui était impossible et devint possible
lorsque la muraille militaire s’arrêta.
Le voyageur, alors, rapetissa très vite
cependant que sa maison grandissait à vue d’oeil
et qu’une belle jeune fille apparaissait à une fenêtre
et riait de son aventure.
(Jean Cocteau)
Recueil: Poèmes Appogiatures Clair-obscur Paraprosodies
Editions: Du Rocher
Il doit y avoir une couleur à découvrir,
Un assemblage de mots caché,
Il doit y avoir une clef pour ouvrir
La porte de ce mur démesuré.
Il doit y avoir une île au Sud,
Une corde plus tendue et résonnante,
Une autre mer qui nage dans un autre bleu,
Une autre hauteur de voix qui chante mieux.
Poésie tardive toi qui n’arrives
A dire pas même la moitié de ce que tu sais :
Ne te tais pas, si possible, ne renie pas
Ce corps de hasard où tu ne tiens pas.
***
«Há-de haver…»
Há-de haver urna cor por descobrir,
Um juntar de palavras escondido,
Há-de haver urna chave para abrir
A porta deste muro desmedido.
Há-de haver uma ilha mais ao sul,
Urna corda mais tensa e ressoante,
Outro mar que nade noutro azul,
Outra altura de voz que melhor cante.
Poesia tardía que não chegas
A dizer nem metade do que sabes:
Não calas, quanto podes, nem renegas
Este corpo de acaso em que não cabes.
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
C’est possible !
Qui sait ?
Quelque chose va se passer d’un jour à l’autre
Je le saurai tout de suite,
Dès que ça arrivera.
Cela pourrait arriver comme un boulet de canon tombé du ciel,
Une lueur dans l’œil,
Éclatant comme une rose !
Qui sait ?
C’est peut-être tout près,
Dans le quartier, sur la plage,
Sous un arbre.
J’ai le sentiment qu’un miracle,
Va arriver
Se révéler !
Serait-ce possible ? Oui c’est possible.
Quelque chose va se passer, quelque chose de bien,
Si je ne suis pas impatient !
Quelque chose va se passer, je ne sais pas quoi,
Mais ce
Sera splendide !
En un clic, en un choc,
Un téléphone sonnera, on tapera à la porte,
Laisse le verrou ouvert !
Quelque chose va se passer, je ne sais pas quand, mais ce sera bientôt ;
Décrocher la lune,
Avec une seule main !
Au coin de la rue,
Cela arrivera-t-il ? Oui, cela va arriver.
Peut-être même sans rien faire,
C’est bientôt l’heure !
Viens, petit quelque chose, viens, ne sois pas timide,
Va voir un mec,
Tire une chaise !
Il y a une mélodie dans l’air,
Et quelque chose de grand arrive !
Qui sait ?
C’est peut-être tout près,
Dans le quartier, sur la plage,
C’est peut-être pour ce soir…
***
WEST SIDE STORY – SOMETHING’S COMING
Could be!
Who knows?
There’s something due any day;
I will know right away,
Soon as it shows.
It may come cannonballing down through the sky,
Gleam in its eye,
Bright as a rose!
Who knows?
It’s only just out of reach,
Down the block, on a beach,
Under a tree.
I got a feeling there’s a miracle due,
Gonna come true,
Coming to me!
Could it be? Yes, it could.
Something’s coming, something good,
If I can wait!
Something’s coming, I don’t know what it is,
But it is
Gonna be great!
With a click, with a shock,
Phone’ll jingle, door’ll knock,
Open the latch!
Something’s coming, don’t know when, but it’s soon;
Catch the moon,
One-handed catch!
Around the corner,
Or whistling down the river,
Come on, deliver
To me!
Will it be? Yes, it will.
Maybe just by holding still,
It’ll be there!
Come on, something, come on in, don’t be shy,
Meet a guy,
Pull up a chair!
The air is humming,
And something great is coming!
Who knows?
It’s only just out of reach,
Down the block, on a beach,
Maybe tonight . . .
je recule jusqu’au coeur
de l’étrange
là où se sont forgées
chimères et visions
seul ce chemin
en ligne droite
vers le haut
connaît mes possibles
contre toute attente
je suis vivante
Je n’ai pas faim, je n’ai pas mal, je ne sens pas mauvais
peut-être que je souffre au fond de moi sans le savoir
je fais semblant de rire
je ne désire pas l’impossible
ni le possible, les corps à moi interdits
ne rassasient pas mon regard.
Vers le ciel quelque fois
je regarde avec envie
à l’heure où le soleil perd son éclat
et où l’amant bleu se livre
à la séduction de la nuit.
Ma seule participation
au tourbillon du monde
est mon souffle bien réglé.
Mais je ressens aussi une autre
participation singulière
l’angoisse m’étreint soudain
à cause de la souffrance humaine.
Elle s’étend sur la terre
comme une nappe rituelle
qui trempée de sang
recouvre mythes et dieux
éternellement elle se régénère
et se confond avec la vie.
Oui, maintenant je voudrais pleurer
mais la source même de mes larmes
s’est tarie.
***
Η ανορεξία της ύπαρξης
Δεν πεινάω, δεν πονάω, δε βρωμάω
ίσως κάπου βαθιά να υποφέρω και να μην το ξέρω
κάνω πως γελάω
δεν επιθυμώ το αδύνατο
ούτε το δυνατό
τα απαγορευμένα για μένα σώματα
δε μου χορταίνουν τη ματιά.
Τον ουρανό καμιά φορά
κοιτάω με λαχτάρα
την ώρα που ο ήλιος σβήνει τη λάμψη του
κι ο γαλανός εραστής παραδίνεται
στη γοητεία της νύχτας.
Η μόνη μου συμμετοχή
στο στροβίλισμα του κόσμου
είναι η ανάσα μου που βγαίνει σταθερή.
Αλλά νιώθω και μια άλλη
παράξενη συμμετοχή∙
αγωνία με πιάνει ξαφνικά
για τον ανθρώπινο πόνο.
Απλώνεται πάνω στη γη
σαν τελετουργικό τραπεζομάντιλο
που μουσκεμένο στο αίμα
σκεπάζει μύθους και θεούς
αιώνια αναγεννιέται
και με τη ζωή ταυτίζεται.
Ναι, τώρα θέλω να κλάψω
αλλά στέρεψε ως και των δακρύων μου η πηγή.