Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘épars’

Des fils (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2024



Illustration: Gilbert Garcin
    
Des fils qui viennent du dehors
me composent un geste
qui se retourne et m’atteint au-dedans.

Je ne sais qui recherchent ces fils,
quelle autre complicité ou réponse ou lien,
quelle autre conjuration de formes.

Ou peut-être qu’aucun geste ne leur importe
et qu’ils poursuivent simplement
les fils épars de l’autre côté,
pour s’attacher à eux,
et que je suis uniquement
le lieu où le noeud est possible ?

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

CE QUE LES CLARINES REMÉMORENT (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 15 mars 2024




    
CE QUE LES CLARINES REMÉMORENT

Les cloches à leur cou tintent au pré des vaches
Qui portent près du coeur, dans la couleur froment
De leur robe de terre un écho grandissant
Du souvenir perdu qui à ce son s’attache.

Le fil en est épars dans l’herbe et la bourrache
Et à le retisser il se pourrait qu’on ait
Tout autant de succès, à coups de moulinets,
Qu’un rêveur de ruisseau qui à l’eau le relâche.

La cloche pour le son est un colimaçon:
On l’en tire un instant, il retourne dedans.
Sa nature est toujours un émerveillement.

À briser sa coquille on détruirait le son.
Pourquoi donc mettrait-on le passé dans un seau?
Le poisson a son prix quand il brille à son saut.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Sur la mort d’une rose (Raymond Radiguet)

Posted by arbrealettres sur 14 février 2024




    
Sur la mort d’une rose

Cette rose qui meurt dans un vase d’argile
Attriste mon regard,
Elle paraît souffrir et son fardeau fragile
Sera bientôt épars.

Les pétales tombés dessinent sur la table
Une couronne d’or,
Et pourtant un parfum subtil et palpable
Vient me troubler encor.

J’admire avec ferveur tous les êtres qui donnent
Ce qu’ils ont de plus beau
Et qui, devant la Mort s’inclinent et pardonnent
Aux auteurs de leurs maux,

Et c’est pourquoi penché sur cette rose molle
Qui se fane pour moi,
J’embrasse doucement l’odorante corolle
Une dernière fois.

(Raymond Radiguet)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 Comment »

Les Roses (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024




    
Les Roses

J’irai demain, chère, cueillir les roses
Qui dans l’allée sont épanouies.
L’imminence d’une peine inconnue aujourd’hui
Habite mon coeur qui a peur.
Mais blanches et rouges les roses n’étaient plus!
J’ai fait des pétales épars
Un petit tas sec et mort
Puis m’asseyant j’ai pleuré.

***

The Roses

I’ll gather the roses tomorrow, dear,
That are blooming over the way.
For the dread of an unknown sorrow near
Is holding my heart today.
But gone were the roses white and red!
So the scattered crumbs I swept
In a little mound all dry and dead
And sat me down and wept.

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

À MATINES (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 23 janvier 2024



Illustration: Edvard Munch
    
À MATINES
Donnez-nous aujourd’hui…

Du plus noir de l’abîme où mes sens sont noyés
Je viens ayant jeté le sommeil à mes pieds.

Je balbutie encore et ma prière est lourde.
A peine ai-je au cerveau quelque lumière sourde

Et ma pensée y cherche une issue à tâtons
Parmi des mots épars, aveugles sans bâtons.

Ô Père, il en est temps, les étoiles sont mortes,
Des cieux fermés encore entrebâille les portes.

Laisse échapper le jour à travers comme un fil
Pour conduire au soleil mes yeux pleins de péril…

Vêts-moi, Père ! Je n’ai ni chaussures, ni bourse.
Donne-moi ce qu’il faut pour reprendre ma course.

Baigne mon âme en l’innocence du matin,
Dans le bruit de la source et dans l’odeur du thym ;

Fais couler sur mes mains le ciel rose et l’arôme
Tendre du jeune jour pour que mon oeuvre embaume ;

Donne à ma voix le son transparent des ruisseaux ;
Dorme à mon coeur l’essor ingénu des oiseaux ;

Verse le calme ailé des brises sur ma face,
En mes yeux la candeur immense de l’espace ;

À mes pieds nus parmi les herbes en émoi
Prête un pas large et pur pour m’en aller vers Toi.

Et par les prés flottants voilés de mousselines,
Par le recueillement limpide des collines,

Mène-moi dans le haut du lumineux versant,
Aux cimes d’où l’eau vive éternelle descend.

Conduis-moi lentement seul à travers les choses
Le long des heures tour à tour brunes et roses,

Seul avec Toi, du ciel aspirant tout l’espoir,
De la paix du matin jusqu’à la paix du soir.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

SEPARATION (Boris Pasternak)

Posted by arbrealettres sur 17 janvier 2024



Illustration: Edvard Munch
    
SEPARATION

Un homme contemple du seuil
L’intérieur, immobile.
Elle est partie en un clin d’oeil.
Partout, c’est le désastre.

Partout, c’est un chaos confus.
Il le remarque à peine,
Car les larmes brouillent sa vue,
Et il a la migraine.

Sous son front il entend un bruit.
Réalité ou rêve ?
Mais pourquoi voit-il devant lui
La mer battant la grève ?

Quand le givre empêche de voir
Dehors le vaste monde,
A ce moment le désespoir
Est une mer profonde.

Il chérissait les moindres traits
De son corps, de son être,
Comme la mer chérit les baies
Où ses eaux vont renaître.

Comme roseaux qu’au fond de l’eau
Engloutit la tempête,
Gît en son coeur, sacré dépôt,
Toute sa silhouette.

Durant les temps des grands tourments,
Temps cruels et sauvages,
La vague d’un sort violent
La poussa vers sa plage.

Parmi d’innombrables dangers,
Renversant les obstacles,
Jusqu’à lui elle fut poussée
Sur la crête des vagues.

La voici partie à présent
Par contrainte peut-être,
L’éloignement, d’un mal rongeant,
Lentement les pénètre.

Et l’homme à ces objets épars,
A ces robes jetées,
Comprend qu’au moment du départ
Elle était affolée.

Il va, il vient et jusqu’au soir,
Dans les tiroirs, il range
Et des chiffons et des mouchoirs,
Et des châles à franges.

Quand dans l’ouvrage resté là,
Il se pique à l’aiguille
Alors soudain il la revoit,
Et il pleure en silence.

(Boris Pasternak)

 

Recueil: Ma soeur la vie et autres poèmes
Traduction: sous la direction d’Hélène Henry
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Je rêve de déserts (Jean Fanchette)

Posted by arbrealettres sur 16 octobre 2023




    
Je rêve de déserts lourds de bruissements d’ailes
Où la sève engourdie figée en son mystère
Se souvient encore des saisons d’autrefois
Des symphonies de joie dans l’air éparpillé
De miracles anciens que la pierre éternise
Et je vois dans mon ciel le vert étonnement
De la première aurore du monde
Jaillie au-delà des collines bleues du temps
Comme une fulgurante gerbe de lumière.

Cycles après cycles Vie et Mort de toujours
Je vous revois ce soir les yeux écartelés
Entre Hier et Demain trajectoires sans fin
Et je brasse moi ce témoin sans âge
De ma lucidité le mystère de vivre

Et je cerne en tremblant des printemps millénaires
Épars dans le silence où revient toute chose.

(Jean Fanchette)

Recueil: L’île Équinoxe
Editions: Philippe Rey

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

CHEMIN DES SOURCES (Henry Bauchau)

Posted by arbrealettres sur 28 septembre 2023




    
CHEMIN DES SOURCES

Les dentelles passaient sous ta jupe de bise,
petite fille au goût de foin, petite fille au goût d’église
Sur une grande échelle grise,
aimant à respirer les signes graves des remises.

Les juments remuaient la paille des litières,
les nuits d’été, où soupiraient les tours d’église,
où se penchait la tour de Pise sur de grands lits de foin coupé
Quand l’étalon frappait dans les stalles sonores…

Et voici tes pieds nus, tes longs cheveux épars
— ô l’habile à manier les lents rideaux d’enfance —
ma soeur au goût de mains sauvages,
par les grands corridors aux chambres du passé
Portant la bougie blanche et le panier de pommes.

Fille qui devint femme entre les mains des hommes,
porta la robe des étangs, la robe noire de la lune
et, songeuse, écoutait monter du puits la voix
D’un aiglon qui criait appelant le soleil.

Vint l’austère finesse de l’eau fraîche
puisée à de très hautes chaînes.
Vint la vague où pointait, indécise, l’écume.
Et les yeux, les yeux bleus très anciens qu’on retrouve.

(Henry Bauchau)

Recueil: Poésie complète
Editions: ACTES SUD

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE TERME ÉPARS (René Char)

Posted by arbrealettres sur 25 septembre 2023



Illustration: Ana Cruz
    
LE TERME ÉPARS

Si tu cries, le monde se tait :
il s’éloigne avec ton Propre monde.

Donne toujours plus que tu ne peux reprendre.
Et oublie. Telle est la voie sacrée.

Qui convertit l’aiguillon en fleur
arrondit l’éclair

La foudre n’a qu’une maison, elle a plusieurs sentiers.
Maison qui s’exhausse, sentiers sans miettes.

Petite pluie réjouit le feuillage
et passe sans se nommer.

Nous pourrions être des chiens commandés par des serpents,
ou taire ce que nous sommes.

Le soir se libère du marteau,
l’homme reste enchaîné à son coeur.

L’oiseau sous terre
chante le deuil sur la terre.

Vous seules, folles feuilles,
remplissez votre vie.

Un brin d’allumette suffit à enflammer la plage
où vient mourir un livre.

L’arbre de plein vent est solitaire.
L’étreinte du vent l’est plus encore.

Comme l’incurieuse vérité serait exsangue
s’il n’y avait pas ce brisant de rougeur au loin
où ne sont point gravés le doute
et le dit du présent.

Nous avançons,
abandonnant toute parole en nous le promettant.

(René Char)

Recueil: le Nu perdu et autres poèmes 1964-1975
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

RENAISSANCE (Odette Romeu)

Posted by arbrealettres sur 15 septembre 2023




    
RENAISSANCE

Depuis que dans mon âme un elfe vaporeux
Vint toucher du doigt toutes choses
Pour la première fois dans le jardin ombreux
J’ai respiré l’odeur des roses

Tout est neuf maintenant, les arbres rassurés
Le murmure apaisant des vagues
Les vrilles de la vigne aux anneaux resserrés
Prêtes à me sertir de bagues

La lune qui s’étale, éparse en flots distraits
Sur le vif-argent d’un feuillage
La nuit phosphorescente où filtrent des secrets
La promesse d’or d’un rivage

Les algues, les varechs, l’univers enchanté
Qu’un reflux découvre à mer basse
Le temps qui se suspend, le bloc d’éternité
Où se fige l’instant qui passe

J’ai bu comme un enfant dans le creux de ma main
Au ruisseau qui me vit renaître
J’ai savouré le miel qui coulait d’un raisin
Pour la première fois peut-être

La mer s’est entr’ouverte et j’ai sondé la mer
Tout au fond brillait une aurore
Et si d’un même élan je sonde aussi l’éther
Qu’y vais-je découvrir encore ?

(Odette Romeu)

Recueil: Sur les rives du Jourdain
Editions: émergences

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »