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Poésie

Posts Tagged ‘empêcher’

SEPARATION (Boris Pasternak)

Posted by arbrealettres sur 17 janvier 2024



Illustration: Edvard Munch
    
SEPARATION

Un homme contemple du seuil
L’intérieur, immobile.
Elle est partie en un clin d’oeil.
Partout, c’est le désastre.

Partout, c’est un chaos confus.
Il le remarque à peine,
Car les larmes brouillent sa vue,
Et il a la migraine.

Sous son front il entend un bruit.
Réalité ou rêve ?
Mais pourquoi voit-il devant lui
La mer battant la grève ?

Quand le givre empêche de voir
Dehors le vaste monde,
A ce moment le désespoir
Est une mer profonde.

Il chérissait les moindres traits
De son corps, de son être,
Comme la mer chérit les baies
Où ses eaux vont renaître.

Comme roseaux qu’au fond de l’eau
Engloutit la tempête,
Gît en son coeur, sacré dépôt,
Toute sa silhouette.

Durant les temps des grands tourments,
Temps cruels et sauvages,
La vague d’un sort violent
La poussa vers sa plage.

Parmi d’innombrables dangers,
Renversant les obstacles,
Jusqu’à lui elle fut poussée
Sur la crête des vagues.

La voici partie à présent
Par contrainte peut-être,
L’éloignement, d’un mal rongeant,
Lentement les pénètre.

Et l’homme à ces objets épars,
A ces robes jetées,
Comprend qu’au moment du départ
Elle était affolée.

Il va, il vient et jusqu’au soir,
Dans les tiroirs, il range
Et des chiffons et des mouchoirs,
Et des châles à franges.

Quand dans l’ouvrage resté là,
Il se pique à l’aiguille
Alors soudain il la revoit,
Et il pleure en silence.

(Boris Pasternak)

 

Recueil: Ma soeur la vie et autres poèmes
Traduction: sous la direction d’Hélène Henry
Editions: Gallimard

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Les oiseaux (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 13 novembre 2023




    
Les oiseaux m’empêchent de penser,
quel bonheur.

[…]

Je n’ai pas pris de notes
mais je me souviens très bien
de ce que disaient les oiseaux :
écrire n’est pas penser.
Vivre n’est pas vouloir.
Aimer n’est pas savoir.
Mourir n’est pas perdre.

(Christian Bobin)

Recueil: La nuit du coeur
Editions: Gallimard

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Bergeries (Eugène Guillevic)

Posted by arbrealettres sur 9 octobre 2023




    
Bergeries
(extrait)

Suppose

Que pour moi l’étendue
Soit de l’ordre du cri

Et que je te demande
De ramener son règne

À la plainte habitant
le creux des coquillages.

Suppose

Que la mer ait envie
De nous voir de plus près

Et que je te demande
D’aller lui répéter

Que nous ne pouvons pas
L’empêcher d’être seule.

Suppose

Que près de nous la mer
Se mette à grommeler

Et que je te demande
De n’avoir d’autre peur

Que celle que nous donne
Son silence étranglé

Suppose

Qu’il n’y ait que le vent
À rencontrer sur terre

Et que je te demande
De souffler à sa place

Et d’agir avec moi
Comme avec un trois-mâts.

Suppose

Que je me laisse un jour
Marcher sur l’océan

Et que je te demande
De m’appeler pour voir

Si ton cri peut changer
Mes rapports avec l’eau.

Suppose

Que la vague et le sable
Jurent de te dissoudre

Et que je te demande
De m’étreindre à ce point

Qu’on ne puisse te prendre
Et me laisser un corps.

Suppose

Que la nuit me rejette
Quand je suis sans refuge

Et que je te demande
De me garder à toi

Pour affronter le noir
Sans redouter sa haine.

(Eugène Guillevic)

Recueil: Bergeries
Editions: Gallimard

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L’oubli me pousse et me contourne (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 4 octobre 2023




    
L’oubli me pousse et me contourne

Avec ses pattes de velours,
Il est poussé par le silence
Et l’un de l’autre ils font le tour,
Doucereux étouffeurs d’amour.

On sait toujours à quoi ils pensent
Et c’est aux dépens de nos jours,
Eux qui confondent leurs contours
Et l’un l’autre se recommencent

Pour mieux effilocher nos jours
Jusqu’à l’ultime transparence,
Tout en faisant le coeur plus lourd
Pour presque empêcher son avance.

Voilà, voilà qu’ils l’ont glacé !
C’est leur façon de terrasser.
Oh ! que je tâte cette pierre
Qu’éclaire l’étoile polaire !

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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LE CORPS (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 3 octobre 2023



Illustration: Gunther von Hagens
    
LE CORPS

Ici l’univers est à l’abri dans la profonde température de l’homme
Et les étoiles délicates avancent de leurs pas célestes
Dans l’obscurité qui fait loi dès que la peau est franchie,
Ici tout s’accompagne des pas silencieux de notre sang
Et de secrètes avalanches qui ne font aucun bruit dans nos parages,
Ici le contenu est tellement plus grand
Que le corps à l’étroit, le triste contenant…

Mais cela n’empêche pas nos humbles mains de tous les jours
De toucher les différents points de notre corps qui loge les astres,
Avec les distances interstellaires en nous fidèlement respectées.
Comme des géants infinis réduits à la petitesse par le corps humain,
où il nous faut tenir tant bien que mal,
Nous passons les uns près des autres, cachant mal nos étoiles, nos vertiges,
Qui se reflètent dans nos yeux, seules fêlures de notre peau.

Et nous sommes toujours sous le coup de cette immensité intérieure
Même quand notre monde, frappé de doute,
Recule en nous rapidement jusqu’à devenir minuscule et s’effacer,
Notre coeur ne battant plus que pour sa pelure de chair,
Réduits que nous sommes alors à l’extrême nudité de nos organes,
Ces bêtes à l’abandon dans leur sanglante écurie.

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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J’ai ouvert le coffret de fer (Marina Tsvetaeva)

Posted by arbrealettres sur 1 octobre 2023




    
Les oiseaux du paradis chantent
Et nous empêchent d’y entrer

J’ai ouvert le coffret de fer,
J’ai tiré un cadeau de larmes,
La petite bague à grosse perle
Une grosse perle !

Sortie, furtive comme un chat, sur le perron
J’ai tourné mon visage au vent,
Les vents soufflaient, les oiseaux volaient,
Cygnes à droite, à gauche — des corbeaux !
Nos chemins sont à l’opposé :
Tu t’en iras avec les premiers nuages,
Tu passeras par d’épaisses forêts, des déserts secs,

Tu appelleras en vain ton âme,
Tes yeux seront noyés de larmes
Moi, j’entendrai en haut, la chouette,
Et sur moi — le bruissement de l’herbe…

(Marina Tsvetaeva)

Recueil: Poèmes de Russie (1912-1920) suivi de La Porte arrachée par Marina
Traduction: Véronique Lossky & Georges Nivat
Editions: Des Syrthes

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NE PAS DORMIR (Claude Roy)

Posted by arbrealettres sur 21 septembre 2023




    
NE PAS DORMIR

J’aime ne pas dormir lorsque tu dors déjà bercée à fond de cale
aux flancs de qui clapote l’eau de la nuit des temps
l’eau calme de l’oubli qui bruit à voix si basse
que le silence sage n’en laisse deviner pas même le murmure

Je me penche sur toi j’écoute ton absence
j’écarte de la main tes cheveux sur ton front
et l’enfant d’autrefois si perdu
qui erre encore sur la route et attend tout transi
et ne se souvient plus d’avoir été depuis réchauffé et nourri
Dors et laisse dormir l’enfant Chagrin et sa soeur Longue Absence
Dors A force de rames à force de patience
déjà nous abordons aux îles du vent clair
déjà le jour mélange ses draps blancs
aux draps qui te dessinent

Tu dors et moi je veille immobile
et pourtant sans plus rester en place
que l’herbe dans les prés quand le vent
en passant la rebrousse et l’efface
Je retiens mon souffle j’ai peur que tu ne t’éveilles
j’ai peur que tu sois là j’ai peur que tu sois loin
Le vent m’empêche de dormir si tu es loin de moi
ton cœur m’empêche de mourir s’il bat tout près du mien

Écoute ma très chère ma seule ma soeur aux yeux si clos
écoute mon souci de toi qui marche sur la pointe des pieds
Il tourne autour de toi
Il hésite Il revient Il craint de t’éveiller
Il a peur en rôdant de faire craquer un meuble ou grincer une porte
Je vais dormir encore glisser et te rejoindre ailleurs à l’envers
ressemblant et brouillé de mon double qui veille.

(Claude Roy)

Recueil: Poésies
Editions: Gallimard

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Aube (Raimbaut de Vaqueiras)

Posted by arbrealettres sur 20 septembre 2023




    
Aube

Veille bien, guetteur du château,
Car celle qui m’est belle et bonne
Est toute mienne jusqu’à l’aube.
Le jour vient sans être invité,
Le jeu d’amour,
L’aube l’empêche, l’aube, oui, l’aube.

Veille, ami, et guette, crie, chante,
Je possède ma désirée,
Mais contre l’aube je proteste
Et contre le jour déplaisant
Qui nous effraie
bien plus que l’aube, l’aube, oui, l’aube

Prends garde, guetteur de la tour,
Au mauvais seigneur, le jaloux
Ennuyeux beaucoup plus que l’aube.
Nous, en bas, nous parlons d’amour,
Mais grande peur
Nous vient à l’aube, l’aube, oui, l’aube

Dame, adieu, je ne peux rester,
Malgré moi me faut vous quitter,
Mais bien grand souci me fait l’aube
Quand je la vois poindre si tôt
Nous séparer,
C’est ce que veut l’aube, oui l’aube.

(Raimbaut de Vaqueiras)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

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Bataille (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 23 Mai 2023




    
Bataille

La douleur a fondu sur ma chair. La douleur
A passé renversant mon cerveau d’un coup d’aile.
Et je me suis battu seul à seule avec elle
Toute la nuit, sans voir, comme avec un voleur.

Et me voilà gisant mais je ne suis pas mort
Prends garde à toi, douleur, à peine est-ce une trêve
Prends garde à toi, douleur, déjà je me relève
Prends garde à toi, demain, je serai le plus fort.

La douleur m’a jeté garrotté dans sa forge
Elle m’a retourné les deux yeux à l’envers
Pour m’empêcher d’y voir elle a tordu mes nerfs
Pour m’étrangler comme des cordes à ma gorge.

Prends garde à toi ! Je t’empoignerai par les ailes,
Je te les casserai comme un bout de bois sec
Et les petits enfants s’amuseront avec
Je te les briserai ces deux poignets rebelles

Et partout où j’irai tu iras me suivant
Aussi loin qu’à mon gré je voudrai t’y contraindre
et les maisons la nuit t’écouteront te plaindre
Comme un aigle blessé qui lutte avec le vent.

Je brûlerai tes yeux pour éclairer mon livre
Je marcherai sur toi comme sur un chemin
Ton sang j’en ferai boire à tout le genre humain.
Je le lui servirai jusqu’à ce qu’il soit ivre.

Pour m’élever au ciel j’ouvrirai pas à pas
Dans ta chair les degrés d’une échelle vivante,
Je te commanderai, tu seras ma servante
Et quand je te crierai : « Chante ! » tu chanteras. »

(Marie Noël)

Recueil: Quelqu’un plus tard se souviendra de nous
Editions: Gallimard

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Pour parvenir à tout goûter (Saint Jean de la Croix)

Posted by arbrealettres sur 18 avril 2023



Illustration 
    
Pour parvenir à tout goûter

Rédaction tirée
du Mont de la Perfection
ou Mont Carmel
dessiné par saint Jean de la Croix

Pour parvenir au tout

Pour parvenir à ce que tu ne sais pas,
tu dois aller par où tu ne sais pas.
Pour parvenir à ce que tu ne goûtes pas,
tu dois aller par où tu ne goûtes pas.
Pour parvenir à posséder ce que tu ne possèdes pas
tu dois aller par où tu ne possèdes pas.
Pour parvenir à ce que tu n’es pas
tu dois aller par où tu n’es pas.

Pour avoir tout

Pour parvenir à tout savoir,
ne veuille rien savoir rien
Pour parvenir à tout goûter
ne veuille rien goûter en rien.

Pour parvenir à tout posséder,
ne veuille en rien posséder rien.
Pour parvenir à être tout,
ne veuille en rien n’être rien.

Pour ne pas empêcher le tout

Quand tu te fixes sur quelque chose,
tu cesses de te jeter dans le tout.
Car, pour parvenir en tout au tout,
tu dois tout entier te laisser en tout,
et quand tu parviendras à tout avoir en tout,
tu dois l’avoir sans rien vouloir.
Car si tu veux avoir quelque chose en tout,
tu n’as pas un pur trésor en Dieu.

Signe que l’on possède tout

En ce dénuement l’esprit
trouve sa quiétude et son repos
car, comme il ne convoite rien, rien
ne le tire vers le haut
et rien ne le pousse vers le bas, il est
au centre de son humilité.
Car quand il convoite quelque chose,
en cela même il se fatigue.

***

Para venir a gustarlo todo

Redacción sacada
del Monte de Perfección
o Monte Carmelo
dibujado por san Juan de la Cruz

Modo para venir al todo

Para venir a lo que no sabes
has de ir por donde no sabes.
Para venir a lo que no gustas
has de ir por donde no gustas.
Para venir a poseer lo que no posees
has de ir por donde no posees.
Para venir a lo que no eres
has de ir por donde no eres.

Modo de tener al todo

Para venir a saberlo todo
no quieras saber algo en nada.
Para venir a gustarlo todo
no quieras gustar algo en nada.

Para venir a poseerlo todo,
no quieras poseer algo en nada,
Para venir a serlo todo,
no quieras ser algo en nada.

Modo para no impedir al todo

Cuando reparas en algo,
dejas de arrojarte al todo.
Porque, para venir del todo al todo,
has de dejarte del todo en todo,
Y cuando lo vengas del todo a tener
has de tenerlo sin nada querer.
Porque, si quieres tener algo en todo
no tienes puro en Dios tu tesoro.

Indicio de que se tiene todo

En esta desnudez halla el
espíritu su quietud, y descanso,
porque como nada codicia, nada
lo impele hacia arriba, y nada
lo oprime hacia abajo, que está
en el centro de su humildad.
Que cuando algo codicia,
en eso mismo se fatiga.

(Saint Jean de la Croix)

Recueil: Jean de la Croix L’oeuvre poétique
Traduction: de l’espagnol par Bernard Sesé
Editions: Arfuyen

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