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Posts Tagged ‘obscurité’

RÉPONSE À LA TERRE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    
RÉPONSE À LA TERRE

Terre leva la tête
Au-dessus de l’obscurité redoutable et lamentable.
Sa lumière enfuie
Cruelle lugubre
Et les cheveux couverts d’un gris désespoir.

Moi, prisonnière des eaux,
La rivalité des étoiles emprisonne mon antre
Dans un gel blanc ;
En gémissant
J’entends le père des hommes antiques.
Père égoïste des hommes,

Cruel, jaloux, égoïste Effroi,
La joie peut-elle,
Enchaînée dans la nuit.
Enfanter les vierges de la jeunesse et du matin ?

Le printemps cache-t-il sa joie,
Quand éclatent les bourgeons et les fleurs ?
Le semeur
Sème-t-il pendant la nuit ?
Le laboureur laboure-t-il dans l’obscurité ?

Romps cette lourde chaîne
Qui glace mes os.
Égoïste, vaine,
Éternelle malédiction,
Qui réduit le libre amour en esclavage.

***

EARTH’S ANSWER

Earth raised up her head
From the darkness dread and drear,
Her light fled,
Stony, dread,
And her locks covered with grey despair.

Prisoned on watery shore,
Starry jealousy does keep my den
Cold and hoar;
Weeping o’er,
I hear the father of the ancient men.

Selfish father of men!
Cruel, jealous, selfish fear!
Can delight,
Chained in night,
The virgins of youth and morning bear.

Does spring hide its joy,
When buds and blossoms grow?
Does the sower
Sow by night,
Or the ploughman in darkness plough?

Break this heavy chain,
That does freeze my bones around!
Selfish, vain,
Eternal bane,
That free love with bondage bound.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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Orage d’hiver (Hans Magnus Enzensberger)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    

Orage d’hiver

Quand l’air devient blanc,
que la vision perd la vue,
que le ciel tonne et fulmine,
que dans les bureaux s’éteint la lumière,
et que seule la sirène des pompiers
traverse le voile de neige
qui s’amoncelle en congères lumineuses,

les soucis, les affaires, les urgences
disparaissent pour un quart d’heure,
et sans penser à rien, enfin,
tu laisses ton regard se perdre
dans ce monde d’une aveuglante obscurité.

***

Wintergewitter

Wenn die Luft weiß wird,
die Sicht erblindet,
der Himmel knallt und blitzt,
das Licht in den Büros erlischt,
und nur die Sirene der Feuerwehr
durch den stiebenden Vorhang dringt,
der helle Wächten vor sich her treibt,

verschwinden für eine Viertelstunde Sorgen,
Geschäfte, Dringlichkeiten,
und du schaust hinaus,
endlich gedankenlos,
in die blendend verdunkelte Welt.

(Hans Magnus Enzensberger)

Recueil: L’HISTOIRE DES NUAGES 99 méditations
Traduction: de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Editions: Vagabonde

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Souviens-toi (Christina Rossetti)

Posted by arbrealettres sur 22 novembre 2023



Christina Rossetti

Illustration: Dante Gabriel Rossetti
    
Souviens-toi

Souviens-toi de moi quand je serai partie
Partie bien loin au pays du silence ;
Quand tu ne pourras plus me tenir la main,
Ni moi choisir de partir ou rester.

Souviens-toi de moi quand tu ne me parleras plus
Jour après jour de tes projets pour notre avenir :
Souviens-toi simplement de moi ; tu comprends
Qu’il sera alors tard pour les conseils ou les prières.

Pourtant, si tu devais m’oublier un temps,
Puis te souvenir, ne sois pas triste :
Car si dans l’obscurité et la décomposition subsiste
Un vestige des idées qui furent les miennes,

Mieux vaut que tu oublies en souriant
Plutôt que de te souvenir en pleurant.

(Christina Rossetti)

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LE VIEILLARD PHILOSOPHE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 18 novembre 2023




    
LE VIEILLARD PHILOSOPHE

1

L’on compte quatre vingt deux ans !
Je crois qu’à cet âge
Il est temps d’abandonner le monde.
Je le quitterai sans regret,
Et gaîment je fais mon paquet ;
Bonsoir la compagnie.

2

Quand du monde je sortirai,
Je ne sais pas là où j’irai.
Mais en Dieu je me fie.
Il ne peut que de me mener bien ;
Ainsi je n’appréhende rien ;
Bonsoir la compagnie.

3

J’ai goûté de tous les plaisirs ;
J’en ai gardé le souvenir ;
A présent je m’ennuie.
Mais à force de venir vieux,
Peut-on se flatter d’être heureux ?
Bonsoir la compagnie.

4

Nul mortel n’est ressuscité
Pour nous dire la vérité
Du bien de l’autre monde.
Une profonde obscurité,
C’est le sort de l’humanité.
Bonsoir la compagnie.

5

Quand l’on prétend tout savoir
Depuis le matin jusqu’au soir,
L’on lit, l’on étudie
Mais par ma foi les plus savants
Sont comme moi des ignorants.
Bonsoir la compagnie.

6

Dieu fait tout sans nous consulter.
Rien ne lui peut résister.
Ma carrière est remplie,
Mais quand l’on n’est plus propre à rien
L’on se retire et l’on fait bien.
Bonsoir la compagnie.

7

Rien ne périt entièrement
Et la mort n’est qu’un changement,
Dit ma philosophie.
Que ce système est consolant,
Je chante en adoptant ce plan
Bonsoir la compagnie.

(Chansons du XVIIIè)
http://f.duchene.free.fr/berssous/index.htm

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Je suis chez moi (Richard Wright)

Posted by arbrealettres sur 2 novembre 2023



Richard Wright
    
Je suis chez moi

au plus profond du roc,
dans les profondeurs
silencieuses et froides du sable de la mer,
sur les feuilles tremblantes des arbres secoués.
Dans les étendues glacées d’espace stellaire,
sur l’étamine des fleurs qui se penchent
dans les colonnes descendantes de lumière
qui emprisonnent pailles et poussières,
dans l’obscurité et le silence des marais.

J’étais, je suis, je serai.

Partout et nulle part,
visible et invisible,
senti et non senti,
là et ailleurs,
dans tout et dans rien,

je plane,
cherchant à pénétrer

(Richard Wright)

Recueil: Richard Wright, poète
Traduction: Michel Fabre
Editions: Présence Africaine

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Auschwitz est mon manteau (Ceija Stojka)

Posted by arbrealettres sur 5 octobre 2023




    
Auschwitz est mon manteau
tu as peur de l’obscurité?
je te dis que là où le chemin est dépeuplé,
tu n’as pas besoin de t’effrayer

je n’ai pas peur.
ma peur s’est arrêtée à Auschwitz
et dans les camps.

Auschwitz est mon manteau,
Bergen-Belsen ma robe
et Ravensbrück mon tricot de peau.
de quoi faut-il que j’aie peur?

***

Auschwitz ist mein mantel
du hast angst vor der finsternis?
ich sage dir, wo der weg menschenleer ist,
brauchst du dich nicht zu fürchten

ich habe keine angst.
meine angst ist in Auschwitz geblieben
und in den lagern.

Auschwitz ist mein mantel
Bergen-Belsen mein kleid
Und Ravensbrück mein unterhemd.
Wovor soll ich mich fürchten?

(Ceija Stojka)

Recueil: Auschwitz est mon manteau
Traduction: de l’allemand (Autriche) François Mathieu
Editions: Bruno Doucey

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L’ESPÉRANCE (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 4 octobre 2023




    
L’ESPÉRANCE

Dans l’obscurité pressentir la joie,
Savoir susciter la fraîcheur des roses,
Leur jeune parfum qui vient sous vos doigts

Comme une douceur cherche un autre corps.

Le coeur précédé d’antennes agiles,
Avancer en soi, et grâce à quels yeux,
Éclairer ceci, déceler cela,

Rien qu’en approchant des mains lumineuses.

Mais dans quel jardin erre-t-on ainsi
Qui ne serait clos que par la pensée?
Ah pensons tout bas, n’effarouchons rien,

Je sens que se forme un secret soleil.

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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L’obscurité me désaltère (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 4 octobre 2023




    
L’obscurité me désaltère,
Elle porte de si beaux fruits
Plus mûrs que tous ceux de la terre,
J’aime les pêches de la nuit,
Sentir couler au fond de l’âme
Ce jus qui vient du fond des temps
Et laisse sans discernement
Comme après le vin ou la femme.

Obscurité non seulement
Du ciel mais de l’aveuglement.
Mon sang noircit d’un sombre éclat
A gros bouillons au fond de moi.
L’âme au loin dans tout son recul
S’étoile à de grandes distances
Avec la même confiance
Du ciel après le crépuscule.

Ô petits enfants dans la nuit
Sous votre capuchon épais
Vous comprenez bien ce que c’est,
A demi-mots on se saisit.
Est-ce le maternel tombeau
Vivant dont vous vous souvenez,
Tout ce qui nous a précédés
Ou ce qui fait encor défaut ?

Morts, je demande un coup de main
Pour comprendre tout ce qui rient,
Mangeons ensemble les raisins
De la grande treille nocturne
Et retenons-en bien le grain
Pour le faire germer en nous.
Encore, encore de la nuit
Au fond des houles taciturnes.

Nous irons au loin, nous irons,
Nous nous immobiliserons
Dans la bonace inévitable
Et nous mangerons à la table
Où l’on n’a pas besoin d’y voir
Où les mets entrent dans la bouche
Sans que nos pauvres mains les touchent,
Où l’on ignore le sanglot
Sous la bannière du tombeau.

Je ne crois plus à la clarté
De l’après-mort mais à du noir
Qui gagne encore sur le noir
Auquel j’étais habitué.
Ah ! par avance taisons-nous
Afin d’être un peu préparés
Au grand silence fédéré
Entre les étoiles et nous.

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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Guerrier de l’obscur (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 4 octobre 2023




    
Guerrier de l’obscur,
Vous vous étoilez,
Prenez garde à vous,
Vos yeux vont brûler !
Vous ne pouvez rien
Sans obscurité.
Il faut une armure
Prise dans la nuit
Pour que se précise
Votre âme secrète,
Ombre militaire,
Toujours ennemie.
Que restera-t-il
Du meilleur de vous
Lorsque vous serez
Une étoile aveugle
Sans autorité,
Une étoile errante,
La tête et les pieds ?
Il faut revenir
À votre ténèbre,
Il faut retrouver
La pulsation
De vos grosses fièvres,
C’est votre façon
De vous étoiler.

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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LE CORPS (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 3 octobre 2023



Illustration: Gunther von Hagens
    
LE CORPS

Ici l’univers est à l’abri dans la profonde température de l’homme
Et les étoiles délicates avancent de leurs pas célestes
Dans l’obscurité qui fait loi dès que la peau est franchie,
Ici tout s’accompagne des pas silencieux de notre sang
Et de secrètes avalanches qui ne font aucun bruit dans nos parages,
Ici le contenu est tellement plus grand
Que le corps à l’étroit, le triste contenant…

Mais cela n’empêche pas nos humbles mains de tous les jours
De toucher les différents points de notre corps qui loge les astres,
Avec les distances interstellaires en nous fidèlement respectées.
Comme des géants infinis réduits à la petitesse par le corps humain,
où il nous faut tenir tant bien que mal,
Nous passons les uns près des autres, cachant mal nos étoiles, nos vertiges,
Qui se reflètent dans nos yeux, seules fêlures de notre peau.

Et nous sommes toujours sous le coup de cette immensité intérieure
Même quand notre monde, frappé de doute,
Recule en nous rapidement jusqu’à devenir minuscule et s’effacer,
Notre coeur ne battant plus que pour sa pelure de chair,
Réduits que nous sommes alors à l’extrême nudité de nos organes,
Ces bêtes à l’abandon dans leur sanglante écurie.

(Jules Supervielle)

Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard

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