La langue
est un puissant stupéfiant
dont la charge électrique a pour effet majeur
d’accélérer les infrapulsations du poème
toutefois
ses combinaisons insolites
ne peuvent témoigner avec justesse
de l’intensité des événements
ni rendre grâce
aux épiphanies quotidiennes
et cependant lorsque nos épidermes
dans l’odeur de l’excès
en frémissant se frôlent
comme tonnerre et foudre
nous sommes alors tout prêts
de croire en la beauté des choses.
Ça ne me dérange pas que Walt Whitman dise
« Je contiens des multitudes », en fait ça me plaît bien,
mais tout ce que je peux imaginer dire c’est
« Je contiens un sandwich, un café et une pulsation. »
Peut être que je devrais ouvrir mes bras et chanter,
« Oh, attrape tout et serre fort Ah!
Alors les nuages, les livres, le baromètre, les yeux de plus
en plus grands viennent se fracasser
et me laissent éparpillé sur le sol,
un joyeux méli-mélo de molécules! »
(Ron Padgett)
Recueil: On ne sait jamais
Traduction: Claire Guillot
Editions: Joca Seria
La rencontre fugace des amants
dans les lits furtifs de l’après-midi.
Et déjà l’adieu comme précédant presque
le début de l’amour
et l’amour haletant
à tes aines buvant
le ventre bleu de ta première nudité,
tes paupières
et la brusque
pulsation brisée d’un temps immémorial
larguant les amarres vers l’intérieur du temps.
Tu disais ce sera la nuit, mon amour.
Et la lumière
tombait déjà,
mais c’était égal, comme était égal
égal à égal
jamais à toujours, jamais à encore
dans la seule saison
solaire
de ton regard.
(José Ángel Valente)
Recueil: Trois leçons de ténèbres suivi de Mandorle et de L’éclat
Traduction: Jacques Ancet
Editions: Gallimard
Viens à moi dans le silence de la nuit ;
Viens dans le silence éloquent d’un rêve ;
Viens, les joues rondes et douces, les yeux étincelants
Comme un ruisseau ensoleillé ;
Reviens en pleurs,
O souvenir, espoir, amour d’années révolues.
O rêve si doux, trop doux, trop doux-amer,
Dont le réveil aurait dû se produire au Paradis
Où des âmes comblées d’amour vivent et se rencontrent,
Où des yeux assoiffés de désir
Observent la porte qui, doucement,
Laisse entrer pour ne plus laisser sortir.
Pourtant, reviens-moi en rêve, que je revive
Ma vie bien que mortellement transie :
Reviens-moi en rêve, que je rende
Pulsation pour pulsation, souffle pour souffle :
Baisse la voix, penche-toi bien,
Comme il y a longtemps, mon amour, bien longtemps.
Le poème de l’arbre enfant
à Yvonne et Robert Ganzo
Les pulsations d’un paysage
Vibrant dans les veines de l’arbre,
Le rocher frère et ses présages
Furent appris en ce matin
Porté vers moi du fond des âges.
Le même oiseau de rive en rive,
Rythme la saison des éclairs.
La même barque à la dérive
Rêve aux vertiges des déserts
Aux silences d’eau et de pierre.
L’orage éclate et l’arbre enfant,
Lové dans la paume du vent,
Comprend notre fraternité
Scellée dans le sang des étés.
Fus-je mélèze ? après ? avant ?
Dans les forêts de la mémoire,
L’homme plante ses territoires
Et l’arbre enfant, né des orages,
Découvre l’âme du feuillage
Blottie au coeur serré des soirs.
L’arbre se souvient de l’amande,
De la nuit lente des racines,
Des forêts d’ombre et de résine,
Jusqu’au cri du premier oiseau
Par-delà des siècles d’attente.
Et moi l’enfant d’une seconde,
Parmi l’or mouvant des genêts,
Je veille cet instant que fonde
L’angoisse de millions d’années
Dans le désordre clair du monde.
Tous ces oiseaux dans ma mémoire
Et tous ces mauves dans mes yeux.
Pour transmuer en feux et moire
Les paysages jamais mieux
Définis qu’en dehors du lieu.
L’arbre que j’appelle mélèze,
Se transforme en jacarandas,
Flamboyants, pourpres floraisons
Éclatant dans mon sang qui pèse
Le poids de toutes ces saisons.
Le loriot dans le cerisier,
Le colibri dans le manguier,
Moi écartelé par vos cris,
Moi soudain découvrant le prix
De vivre et d’accomplir deux vies.
Montagnes de quelle mémoire ?
Je vendange votre prescience.
J’atteins enfin aux transparences
Du minéral.
Brève lumière
Où je découvre cette main,
Tendue entre l’arbre et la pierre.
Et le sable redevient algue
L’âme innombrable du corail
Palpite, prise dans les mailles
De l’eau. Le charbon se souvient
Des forêts, de l’enfance du feu…
Tout dans l’éclair d’une seconde!
Guerrier de l’obscur,
Vous vous étoilez,
Prenez garde à vous,
Vos yeux vont brûler !
Vous ne pouvez rien
Sans obscurité.
Il faut une armure
Prise dans la nuit
Pour que se précise
Votre âme secrète,
Ombre militaire,
Toujours ennemie.
Que restera-t-il
Du meilleur de vous
Lorsque vous serez
Une étoile aveugle
Sans autorité,
Une étoile errante,
La tête et les pieds ?
Il faut revenir
À votre ténèbre,
Il faut retrouver
La pulsation
De vos grosses fièvres,
C’est votre façon
De vous étoiler.
(Jules Supervielle)
Recueil: La Fable du monde suivi de Oublieuse mémoire
Editions: Gallimard
Cité sur l’île
engloutie dans mon coeur,
voici je descends
dans l’antique lumière des marées
près de sépulcres au bord
d’une eau qui dégage sa joie
d’arbres rêvés.
Je m’appelle : un son se mire
en un écho d’amour et son secret est doux,
un frisson de larges écroulements d’air.
Quelle lassitude de renaissances précoces
s’écoule en dedans !
Toujours la même peine d’être à moi
au sein d’une heure au-delà du temps.
Et je sens dans la jalouse
pulsation de veines végétales
tes morts devenus
moins profonds :
Naima
c’est impossible
impossible de surgir de si loin
Naima
d’écouter si profond
d’entrer à ce point dans le cœur du monde
Naima
d’entrer dans le grain de la voix
le grain de
la Voie lactée
d’entrer dans tout ce qui me noie
Naima
c’est le sang de ta voix
Naima
ma pulsation précieuse