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Poésie

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Peut-être avons-nous le sentiment d’avancer (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




Illustration: Gilbert Garcin
    
Peut-être
avons-nous
le sentiment d’avancer
quand nous tournons en rond
et que nous creusons
sans même y prendre garde
avec persévérance
la fosse
où nos os blanchiront
ainsi
nous marchons
nus frêles
et tremblants
à notre obscur destin.

*

Peinant et suant
comme bêtes de somme
sous le soleil
d’aplomb poing tendu
vers le ciel vide
avec entre les dents
ce petit os à ronger
— mais nul ne sait
quand cela cessera.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

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PHOTO 1948 (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Kiki Dimoula
    
PHOTO 1948

Je tiens une fleur, je crois.
Bizarre.
On dirait qu’un jour dans ma vie
un jardin est passé.

Dans l’autre main
je tiens une pierre.
L’air gracieux, arrogant.
Sans me douter qu’il y a là pour moi
l’annonce d’altérations,
et l’avant-goût de résistances.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une ignorance est passée.

Je souris.
La courbe du sourire,
le creux de cette humeur,
semble un arc bien tendu,
fin prêt.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une cible est passée.
Une aptitude à la victoire.
Le regard plongé
dans le péché originel :
il goûte au fruit défendu
de l’espoir.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une foi est passée.

Mon ombre, simple jeu de soleil.
En uniforme d’hésitation.
Elle n’a pas encore eu le temps
d’être pour moi compagne ou délatrice.
On dirait qu’un jour dans ma vie
une suffisance est passée.

Toi, tu n’apparais pas.
Mais pour qu’il y ait dans le paysage un précipice,
pour que je sois au bord
tenant une fleur
et souriant,
c’est que tu ne vas pas tarder.
On dirait qu’un jour dans ma vie
la vie est passée.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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Sur la forêt et le torrent (Jean-Baptiste Para)

Posted by arbrealettres sur 19 janvier 2024




    
Sur la forêt et le torrent à l’écume blanche,
Le ciel est tendu comme une vessie de tambour.

L’enfant aux mains barbouillées de mûres
Eprouve l’immensité dans chaque direction

Et s’il glisse un regard dans la fente des siècles
Où les livres et le temps font courir les aurores

Il voit les morts qui n’ont plus de mémoire
Façonner avec lui les significations.

(Jean-Baptiste Para)

 

Recueil: La faim des ombres
Traduction:
Editions: Obsidiane

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Il faut nommer les choses (Tahar Ben Jelloun)

Posted by arbrealettres sur 25 novembre 2023




    
Il faut nommer les choses
Les objets et les sentiments
Même si le doute rôde autour du langage
Il faut choisir les mots
Dire je t’aime à l’aimée
Prendre la main quand le départ est imminent
Avec les deux bras tendus
Repousser la solitude
La jeter loin dans la mer
Nommer c’est être présent
Savoir que
Le temps ne distribue pas de cadeaux
Être là
Solidaire et fraternel
Sans regarder la montre
Ni espérer la clémence du ciel.

(Tahar Ben Jelloun)

Recueil: Douleur et lumière du monde
Editions: Gallimard

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Le poème de l’arbre enfant (Jean Fanchette)

Posted by arbrealettres sur 16 octobre 2023



Illustration: Chaude Diy
    
Le poème de l’arbre enfant
à Yvonne et Robert Ganzo

Les pulsations d’un paysage
Vibrant dans les veines de l’arbre,
Le rocher frère et ses présages
Furent appris en ce matin
Porté vers moi du fond des âges.

Le même oiseau de rive en rive,
Rythme la saison des éclairs.
La même barque à la dérive
Rêve aux vertiges des déserts
Aux silences d’eau et de pierre.

L’orage éclate et l’arbre enfant,
Lové dans la paume du vent,
Comprend notre fraternité
Scellée dans le sang des étés.
Fus-je mélèze ? après ? avant ?

Dans les forêts de la mémoire,
L’homme plante ses territoires
Et l’arbre enfant, né des orages,
Découvre l’âme du feuillage
Blottie au coeur serré des soirs.

L’arbre se souvient de l’amande,
De la nuit lente des racines,
Des forêts d’ombre et de résine,
Jusqu’au cri du premier oiseau
Par-delà des siècles d’attente.

Et moi l’enfant d’une seconde,
Parmi l’or mouvant des genêts,
Je veille cet instant que fonde
L’angoisse de millions d’années
Dans le désordre clair du monde.

Tous ces oiseaux dans ma mémoire
Et tous ces mauves dans mes yeux.
Pour transmuer en feux et moire
Les paysages jamais mieux
Définis qu’en dehors du lieu.

L’arbre que j’appelle mélèze,
Se transforme en jacarandas,
Flamboyants, pourpres floraisons
Éclatant dans mon sang qui pèse
Le poids de toutes ces saisons.

Le loriot dans le cerisier,
Le colibri dans le manguier,
Moi écartelé par vos cris,
Moi soudain découvrant le prix
De vivre et d’accomplir deux vies.

Montagnes de quelle mémoire ?
Je vendange votre prescience.
J’atteins enfin aux transparences
Du minéral.
Brève lumière
Où je découvre cette main,
Tendue entre l’arbre et la pierre.

Et le sable redevient algue
L’âme innombrable du corail
Palpite, prise dans les mailles
De l’eau. Le charbon se souvient
Des forêts, de l’enfance du feu…
Tout dans l’éclair d’une seconde!

(Jean Fanchette)

Recueil: L’île Équinoxe
Editions: Philippe Rey

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VOYAGEURS (Ursula K. Le Guin)

Posted by arbrealettres sur 8 octobre 2023




    
VOYAGEURS

I
Nous sommes venus de la rive lointaine,
lumière d’étoile, et nous y retournerons
dans une frêle embarcation
grande comme deux mains tendues.

II
Réfléchir à la compassion.
Une luciole dans un jardin obscur.
Un lombric nu
sur une allée de béton.

III
Je pense à la traversée que
nous ferons ensemble
dans la barque sans rame
du fleuve sans rive.

***

TRAVELERS

I
We came from the far side of the
river of starlight and will cross back
over in a little boat
no bigger than two cupped hands.

II
Thinking about compassion.
A firefly in a great dark garden.
An earthworm naked
on a concrete path.

III
I think of the journey
we will take together
in the oarless boat
across the shoreless river.

(Ursula K. Le Guin)

Recueil: Derniers poèmes
Editions: Aux Forges de Vulcain

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Deux arbres cherchent à se rapprocher (Marina Tsvetaeva)

Posted by arbrealettres sur 2 octobre 2023




    
Deux arbres cherchent à se rapprocher.
Deux arbres. Ma maison est en face.
Une vieille maison et de vieux arbres.
Je suis jeune, sinon sans doute,
Serais-je sans regrets pour les arbres étrangers.

Le moins grand tend ses bras,
Comme une femme, de toutes ses forces.
Si tendu qu’on a mal à le regarder
Se tendre tant vers l’autre !
Le plus âgé, plus droit, qui sait?
Peut-être le plus malheureux des deux.

Deux arbres : dans le feu du soleil couchant
Et sous la pluie, et sous la neige aussi,
Toujours et encore, l’un vers l’autre !
Tel est la loi, l’un vers l’autre
Une même loi : l’un près de l’autre.

(Marina Tsvetaeva)

Recueil: Poèmes de Russie (1912-1920) suivi de La Porte arrachée par Marina
Traduction: Véronique Lossky & Georges Nivat
Editions: Des Syrthes

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Une main tendue (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 1 mars 2023



Illustration: Daniele Guido
    
[…]

Une main tendue
une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager

(Paul Eluard)

Recueil: L’effet haïku (Pascale Senk)
Editions: POINTS

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« LE PENSEUR » DE RODIN (Gabriela Mistral)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2023



Illustration: Auguste Rodin
    
« LE PENSEUR » DE RODIN

Son menton sur sa main rude,
le Penseur se souvient qu’il est chair vouée à la fosse,
chair de fatalité, nue en face du destin,
chair qui hait la mort, qui a frémi de beauté,
frémi d’amour, tout le long de son ardent printemps
et maintenant, à son automne, sent l’envahir le flot de la vérité et de la tristesse.
Sur son front passe le « il faut mourir »
du bronze, lorsque la nuit tombe.

L’angoisse sillonne ses muscles tendus,
chaque creux de sa chair s’emplit de terreur;
il se fend, telle feuille d’automne, à la voix du Seigneur
qui l’appelle dans le bronze… Et il n’y a pas d’arbre tordu,
sur la plaine au feu du soleil, pas de lion blessé,
crispés comme cet homme qui médite sur la mort.

(Gabriela Mistral)

Recueil: Poèmes choisis Prix Nobel de littérature 1945
Editions: Rombaldi

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Le Chemin (Patrick Bertrand)

Posted by arbrealettres sur 20 février 2023




Illustration: Serge Ceccarelli
    
Le Chemin

Il voit au-delà de notre âme
Le revers des mystères,
Est à vif jusqu’en son sommeil,
Se presse tranquillement solitaire.
En équilibre, son corps chaloupe
Sur la corde d’un chemin tendu.
Le chat parle une langue millénaire
Jauge, fixe, les yeux mi-clos,
Les fentes et les blessures
De nos plus vieilles lunes.
Il marche lentement son silence,
Mais connaît toutes les distances.
Il voit l’invisible
Et apprivoise celui qu’il a choisi.
Il prend la vie à pleines griffes
Et s’en va, impassible sage,
Se cacher pour mourir.

(Patrick Bertrand)

 

Recueil: Silence la queue du chat balance
Traduction:
Editions: Actes Sud

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