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Poésie

Posts Tagged ‘pourtant’

Tout hasard (Wislawa Szymborska)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024




    
Tout hasard

Cela a pu arriver. Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin. Pas à toi.

Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c’était à gauche. Car c’était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l’ombre.
Car le temps était ensoleillé.

Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n’y avait pas d’arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l’eau.

Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu du concours de circonstances.
Tu es encore là? Sorti d’un instant encore entrouvert?
Le filet n’avait qu’une maille et toi tu es passé au travers?

Je ne puis assez m’étonner, me taire.
Écoute
comme ton coeur me bat vite.

(Wislawa Szymborska)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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A cet instant (Ishikawa Takuboku)

Posted by arbrealettres sur 7 mars 2024



Illustration: Natori Shunsen
    
A cet instant j’ai manqué de prononcer
les mots décisifs qui aujourd’hui encore
demeurent pourtant dans mon coeur…

(Ishikawa Takuboku)

Recueil: Une poignée de sable
Traduction: du japonais par Yves-Marie Allioux
Editions: Philippe Picquier

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Métro, station Wittenbergplatz (Hans Magnus Enzensberger)

Posted by arbrealettres sur 24 février 2024



    

Métro, station Wittenbergplatz

Ceux qui, sous tes yeux, descendent vers toi
dans l’Hadès quotidien
par l’escalator, ce vieil homme renfrogné
au coeur morose,
et la femme fripée
qui marmonne à part soi son amertume…

Eux aussi pourtant ont été épris,
autrefois, un jour, oublieux d’eux-mêmes,
absents, rayonnants peut-être
d’exaltation, ou pas?
Comment est-ce arrivé? Depuis quand? Et pourquoi?
Dehors, la neige elle aussi s’est déjà transformée

en gadoue

***

U-Bahn Wittenbergplatz

Die dir da entgegensinken, abwärts
in den alltäglichen Hades
auf der Rolltreppe, dieser alte Mann,
ganz bei sich in seinem mürrischen Herzen,
und die zerknitterte Frau,
die etwas Bitteres vor sich hinmurmelt —

die waren doch auch einmal entflammt,
früher, irgendwann, selbstvergessen,
außer sich, strahlend
vor Übermut, oder nicht?
Wie kam es? Seit wann? Und warum?
Draußen der Schnee ist auch schon wieder

zu Matsch geworden

(Hans Magnus Enzensberger)

Recueil: L’HISTOIRE DES NUAGES 99 méditations
Traduction: de l’allemand par Frédéric Joly et Patrick Charbonneau
Editions: Vagabonde

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Il adviendra (Frankétienne)

Posted by arbrealettres sur 20 février 2024




    
Il adviendra que tu
te sentes souvent seul.
Pourtant tu n’est jamais seul
Alors
c’est quoi la solitude?

(Frankétienne)

Recueil: Anthologie secrète
Editions: Mémoire d’encrier

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EFFACEMENT (Jean Follain)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2024




    
EFFACEMENT

L’herbe a grandi au fossé profond
l’homme en marchant fixe
le nuage étiré
frangé comme son habit gris
des chiens aux horizons béants
diversement aboient
pourtant c’est la paix
le jour va s’incliner
il faudra bien encore
couper le pain à la nuit
assis sur le billot rustique
avec en fin de compte
l’impensable mort.

(Jean Follain)

Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard

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UNE PIERRE (Yves Bonnefoy)

Posted by arbrealettres sur 11 février 2024




    
UNE PIERRE

Viens, que je te dise à voix basse
Un enfant dont je me souviens,
Immobile comme il resta
À distance des autres vies.

Il n’a pas rejoint au matin
Ceux qui jouaient dans les arbres
À multiplier l’univers,
Ni couru a travers la plage
Vers plus de lumière encore.
Vois, pourtant, il a continué
Son chemin au pied de la dune,
Des traces de pas en sont preuves
Entre les chardons et la mer.

Et près d’eux tu peux voir s’emplir
De l’eau qui double le ciel
L’empreinte des pas plus larges
D’une compagne inconnue.

(Yves Bonnefoy)

Recueil: Ce qui fut sans lumière suivi de Début et fin de la neige et de Là où retombe la flèche
Editions: Gallimard

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En danger de mots (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 19 décembre 2023




    
En danger de mots

À quoi servent les mots
Face à celui qui meurt !

Pourtant
Ils apprivoisent l’abîme
Désamorcent les peurs

Ramifient la tendresse
jusqu’au seuil de l’obscur.

À quoi servent les mots
Face à celui qui vit !

Ils brisent ou bien apaisent
Incendient ou délivrent

Ils modèlent nos visages
Saccagent ou donnent ferment.

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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Son sourire (Franz Toussaint)

Posted by arbrealettres sur 20 novembre 2023



Illustration: Oleg Zhivetin
    
Son sourire

Tu es mon univers,
avec des collines et des jardins,
avec des sources et des moissons.

Je voudrais avoir mille bouches,
je voudrais n’avoir jamais besoin de sommeil.

Pourtant, ne suis-je pas le voyageur qui s’endort,
chaque soir, sous des ombrages parfumés ?

(Franz Toussaint)

Recueil: Le jardin des caresses
Editions: Paris Piazza

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Du fond de l’abîme (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 8 novembre 2023




    
Du fond de l’abîme

V

Je parle du fond de l’abîme
Et je vois le fond de l’abîme
L’homme creusé comme une mine
Comme un port sans vaisseaux
Comme un foyer sans feu

Pauvre visage sacrifié
Pauvre visage sans limites
Composé de tous les visages saccagés
Tu rêvais de balcons de voiles de voyages
Tu rêvais de printemps de baisers de bonté
Tu savais bien quels sont les droits et les devoirs
De la beauté mon beau visage dispersé

Il faudrait pour cacher ton horreur et ta honte
Des mains nouvelles des mains entières dans leur tâche
Mains travailleuses au présent
Et courageuses même en rêve.

VI

Je parle du fond de l’abîme
Je parle du fond de mon gouffre
C’est le soir et les ombres fuient
Le soir m’a rendu sage et fraternel
Il ouvre partout ses portes lugubres

Je n’ai pas peur j’entre partout
Je vois de mieux en mieux la forme humaine
Sans visage encore et pourtant
Dans un coin sombre où le mur est en ruines
Des yeux sont là aussi clairs que les miens
Ai-je grandi ai-je un peu de pouvoir.

(Paul Eluard)

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L’embarcadère (André Velter)

Posted by arbrealettres sur 22 octobre 2023




    
L’embarcadère

Le désir est pareil à cette porte,
Du temps des surréalistes au 54 rue du Château,

À la fois ouverte et fermée,

Pour les départs à tous les vents
Et le refuge des nuits de magie claire.

*

La poésie aussi est cet impossible même
Qui tient les deux côtés de la frontière,

Sur les pentes d’on ne sait quel exil,

Quand le tocsin qui bat le sang
Éveille un chant de mort où renaître.

*

Mais il n’y a pas d’illusion à se faire,
L’insolente issue de série noire

A retrouvé ses garde-fous domestiques,

Chambranle, serrure, verrou,
Tout l’agencement de la syntaxe grégaire.

*

Le génie du lieu n’a pas laissé de gages,
Juste un éclair de légende libertaire

Et guère plus de réalité jetée hors champ

Que quelques mutineries de corps, d’esprit,
Voire de cadavres exquis.

*

L’embarcadère perdure pourtant,
Qui ravive l’insomnie du dernier navire venu

Au large de Tossa de Mar,

Vaisseau fantôme caréné d’or et d’aube
Dans les yeux fauves d’Ava Gardner.

*

C’est qu’une splendeur fatale
Mène les amours et les âmes

Jusqu’à revenir de tout

Sans qu’il y ait à changer d’impatience
Ni de sens ascendant.

*

Nous avançons à l’orient de nous,
Avec la force de conquérants inutiles,

Décidés comme jamais

À découvrir les traces qui tout effacent
Autant de ce côté-ci que de l’autre.

(André Velter)

Recueil: Trafiquer dans l’infini
Editions: Gallimard

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