Entourer chaque son d’un cercle,
pour éviter qu’il ne se disperse
comme un amas de plumes arrachées.
Entourer par exemple
le tintement initial d’une cloche,
le bruit que fait le temps quand il lime les choses,
le choc des vertèbres du rêve,
le toucher menu de la pluie,
le frôlement interstitiel d’une chute.
Et de tous les cercles
faire au son une demeure,
pour que le silence cesse d’être une trahison.
Et aussi pour que la vie
qui n’est rien qu’un autre son,
apprenne à construire son propre cercle.
(Roberto Juarroz)
Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard
je te peau
je te porte
et te fenêtre
tu m’os
tu m’océan
tu m’audace
tu me météorite
je te clé d’or
je t’extraordinaire
tu me paroxysme
Tu me paroxysme
et me paradoxe
je te clavecin
tu me silencieusement
tu me miroir
je te montre
tu me mirage
tu m’oasis
tu m’oiseau
tu m’insecte
tu me cataracte
je te lune
tu me nuage
tu me marée haute
je te transparente
tu me pénombre
tu me translucide
tu me château vide
et me labyrinthe
tu me parallaxes
et me parabole
tu me debout
et couché
tu m’oblique
je t’équinoxe
je te poète
tu me danse
je te particulier
tu me perpendiculaire
et soupente
tu me visible
tu me silhouette
tu m’infiniment
tu m’indivisible
tu m’ironie
je te fragile
je t’ardente
je te phonétiquement
tu me hiéroglyphe
tu m’espace
tu me cascade
je te cascade
à mon tour mais toi
tu me fluide
tu m’étoile filante
tu me volcanique
nous nous pulvérisable
Nous nous scandaleusement
jour et nuit
nous nous aujourd’hui même
tu me tangente
je te concentrique
tu me soluble
tu m’insoluble
en m’asphyxiant
et me libératrice
tu me pulsatrice
pulsatrice
tu me vertige
tu m’extase
tu me passionnément
tu m’absolu
je t’absente
tu m’absurde
je te marine
je te chevelure
je te hanche
tu me hantes
je te poitrine
je buste ta poitrine
puis ton visage
je te corsage
tu m’odeur
tu me vertige
tu glisses
je te cuisse
je te caresse
je te frissonne
tu m’enjambes
tu m’insupportable
je t’amazone
je te gorge
je te ventre
je te jupe
je te jarretelle
je te peins
je te bach
pour clavecin
sein
et flûte
je te tremblante
tu m’as séduit
tu m’absorbes
je te dispute
je te risque
je te grimpe
tu me frôles
je te nage
mais toi
tu me tourbillonnes
tu m’effleures
tu me cerne
tu me chair cuir peau et morsure
tu me slip noir
tu me ballerine rouge
et quand tu ne haut talon pas mes sens
tu es crocodile
tu es phoque
tu es fascine
tu me couvres
et je te découvre
je t’invente
parfois
tu te livres
tu me lèvres humides
je te délivre je te délire
tu me délires et passionnes
je t’épaule je te vertèbre je te cheville
je te cils et pupilles
et si je n’omoplate pas avant mes poumons
même à distance tu m’aisselles
je te respire
jour et nuit je te respire
je te bouche
je te palais je te dent je te griffe
je te vulve je te paupières
je te haleine
je t’aine
je te sang je te cou
je te mollets je te certitude
je te joues je te veines
je te main
je te sueur
je te langue
je te nuque
je te navigue
je t’ombre je te corps je te fantôme
je te rétine dans mon souffle
tu t’iris
Être comme un enfant tu es comme un enfant
Grande comme un enfant quand tu es raisonnable
Quand tu fais la grande personne
Quand tu fais tomber le ciel sur la table
D’un geste mieux réglé que celui des saisons
Quand prête à tout créer tu choisis d’imiter
Quand tu me fais rire d’un rire
D’amoureuse pitié.
*
Tu es venue à moi par les voies de l’enfance
Sérieuse comme une herbe et comme une hirondelle
La mi-nuit des matins était tachée d’aurore
Le crépuscule ouvrait avec prudence l’ombre
Pour en chasser les bêtes noires.
*
Je suis entré dans la ronde
De ta vie malgré le temps
Je t’accorde le temps de vivre
Et le temps d’avoir vécu
Tu m’accordes le temps d’être
Avec toi comme un enfant.
*
Que l’hiver aiguise les branches
Pour agripper la mort rêvée
Que des moissons épouvantables
Encombrent la sève des fleuves
Que le gel raisonne la chair
Tu ne me promets que jeunesse.
*
Et je sais que je dois t’aimer
L’hiver se croise avec l’été
La feuille morte tombe dans un bain d’azur.
*
Et je respire et je me double
Du vent qui va vers le printemps
Déserts et ruines mauvais temps
Purifient l’aube des récoltes.
*
Je t’aime j’ai dans les vertèbres
L’émancipation des ténèbres.
Je te narine je te chevelure
je te hanche
tu me hantes
je te poitrine je buste ta poitrine puis te visage
je te corsage
tu m’odeur tu me vertige
tu glisses
je te cuisse je te caresse
je te frissonne tu m’enjambes
tu m’insupportable
je t’amazone
je te gorge je te ventre
je te jupe
je te jarretelle je te bas je te Bach
oui je te Bach pour clavecin sein et flûte
je te tremblante
tu me séduis tu m’absorbes
je te dispute
je te risque je te grimpe
tu me frôles
je te nage
mais toi tu me tourbillonnes
tu m’effleures tu me cernes
tu me chair cuir peau et morsure
tu me slip noir
tu me ballerines rouges
et quand tu ne haut-talon pas mes sens
tu les crocodiles
tu les phoques tu les fascines
tu me couvres
je te découvre je t’invente
parfois tu te livres
tu me lèvres humides
je te délivre je te délire
tu me délires et passionnes
je t’épaule je te vertèbre je te cheville
je te cils et pupilles
et si je n’omoplate pas avant mes poumons
même à distance tu m’aisselles
je te respire
jour et nuit je te respire
je te bouche
je te palais je te dents je te griffe
je te vulve je te paupières
je te haleine je t’aine
je te sang je te cou
je te mollets je te certitude
je te joues et te veines
je te mains
je te sueur
je te langue
je te nuque
je te navigue
je t’ombre je te corps et te fantôme
je te rétine dans mon souffle
tu t’iris
Quelqu’un a-t-il déjà vu le cheval ? Je le
dessine dans le jeu des syllabes
musculaires. Haleine longue, volume de
désir, air pulsé des naseaux, jour clair.
Ici le pied ne pèse pas plus que l’ombre
du cheval en liberté lente,
pour que le cheval perde son halo, pour
que la main soit fidèle au regard lent,
et le profil de cendre bleue baigné
d’une clarté hivernale. Haletant, le temps
du cheval est une terre piétinée,
dénudée, aux vertèbres apparentes,
lisez le cheval dans l’ombre, en alerte,
dans la solitude de la plaine. Et d’une montagne.
(António Ramos Rosa)
Recueil: Le cycle du cheval
Traduction: du portugais par Michel Chandeigne
Editions: Gallimard
Ce piano voyage en dedans,
voyage par sauts joyeux.
Ensuite il médite, en repos ferré,
cloué par dix horizons.
Il avance. Il se traîne sous des tunnels,
plus loin, sous des tunnels de douleur,
sous des vertèbres qui fuguent naturellement.
D’autres fois, ses trompes vont,
lents et jaunes désirs de vivre,
vont s’éclipsant
et s’épouillent d’insectiles cauchemars
déjà morts pour le tonnerre, héraut des genèses.
Obscur piano qui guettes-tu
avec ta surdité qui m’entend,
avec ton mutisme qui m’assourdit ?