Posted by arbrealettres sur 1 Mai 2024
Illustration: ArbreaPhotos
Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poème éternel ! — La Bible ? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.
J’épelle les buissons, les brins d’herbe, les sources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,
Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, —
J’étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : « Ô pauvre homme, tremblant
Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t’emplissent de clarté !
Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !
Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,
A des rayons : la roue au dur moyeu, l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,
L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.
Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’oeuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.
L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.
Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,
La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme : DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui dure peu ;
Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée ;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s’épanouit ;
Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin ;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.
Ainsi tu fais ; aussi l’aube est sur ton front sombre ;
Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. »
Je répondis : « Hélas ! tu te trompes, oiseau.
Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe ;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant. »
Et je continuai la lecture du champ.
(Victor Hugo)
Recueil: Les Contemplations
Editions:
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Posted by arbrealettres sur 18 février 2024
APPEL CHAMPÊTRE
Un morceau de pain
couvert de raisiné sombre
est le goûter du garçon assis
sur un mur d’éclatante argile
et ses pieds pendants sont chaussés
de brodequins cloutés de fer;
lorsqu’on l’appelle de loin
il ne répond pas aussitôt
la même voix
clamant alors plus fort son nom
à l’unique syllabe brève
trouble à peine le calme des îles.
(Jean Follain)
Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard
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Posted by arbrealettres sur 8 juin 2023
Illustration: Gustav Klimt
ADIEU
N’oublie pas, mon trésor, qu’on s’est aimées un jour.
Libérée aujourd’hui, cependant, souviens-toi
Qu’il était nu, poisseux, humide, notre amour,
Et que toute ta peau frémissait sous mes doigts.
Le monde avance, et toi avec, tu te convaincs
Que rien de tout cela n’a existé vraiment.
Crois-moi: ton coeur se moquera de ton chagrin.
C’est un étrange traître, aux costumes changeants.
Remords, remémorer — ces syllabes sont soeurs,
Si elles sonnent pareil, qu’il en soit donc ainsi !
Va, passe de mon coeur à un tout autre coeur,
Mais remémore-toi notre amour à demi.
(Vita Sackville-West)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
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Posted by arbrealettres sur 12 avril 2023
FAUSSE ÉLÉGIE
Nous ne faisons que partager un lent désastre.
Je me vois mourir en toi, en d’autres, en tout
et pourtant je bâille et je suis distraite
comme à un spectacle ennuyeux.
Les jours se défissent,
les nuits se consument avant qu’on s’en rende compte :
ainsi finissons-nous.
Rien. Il n’y a rien
entre lever et fermer les paupières.
Mais si quelqu’un vient à naître (son annonce,
la possibilité de son imminence,
son poids de syllabes dans l’air)
il bouleverse ce qui existe,
il est plus fort que le réel
et déloge les vivants dans leur corps.
(Rosario Castellanos)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
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