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DANS L’ATTENTE DES BARBARES (Constantin Cavafis)

Posted by arbrealettres sur 10 mars 2024



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DANS L’ATTENTE DES BARBARES

—Qu’attendons-nous, rassemblés sur la place ?
—C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares.
—Pourquoi, au Sénat, cette inertie ?
Que font les Sénateurs à ne pas légiférer ?
—C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares.

Quelles lois passeraient les Sénateurs ?
Les Barbares, installés, les voteront.
— Pourquoi l’Empereur, levé si tôt,
trône-t-il en grande pompe
à la porte principale de la ville, couronne en tête ?
—C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares.

L’Empereur s’apprête à recevoir leur chef ;
il lui a même préparé un parchemin
lui octroyant honneurs et titres.
— Pourquoi nos deux Consuls et nos prêteurs
arborent-ils toge pourpre et brodée ?
Pourquoi portent-ils bracelets d’améthyste
et bagues d’émeraude ?
Pourquoi brandissent-ils leurs cannes argent et or ?
— C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares,

et ces objets-là éblouissent les Barbares.
— Pourquoi nos savants rhéteurs
rie déclament-ils pas leurs discours, comme d’habitude ?
— C’est aujourd’hui qu’arrivent les Barbares,

et ils n’aiment ni phrases ni discours.
— Pourquoi soudain ce désarroi, cette inquiétude ?
Comme ils sont graves, les visages !
Pourquoi les rues, les places, se vident-elles,
et que chacun rentre chez soi, pensif ?
— C’est que la nuit tombe déjà
et les Barbares ne sont pas venus.

Des hommes, arrivés de la frontière,
disent qu’il n’y a point de Barbares.
— Qu’allons-nous devenir sans les Barbares ?

C’était une solution, en un sens, ces gens-là.

(Constantin Cavafis)

Illustration

 

 

 

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LA PIERRE PÉRIPHRASE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Illustration: René Magritte
    
LA PIERRE PÉRIPHRASE

Parle.
Dis quelque chose, n’importe quoi.
Mais ne reste pas là comme une absence en acier.
Choisis ne serait-ce qu’un mot,
qui te liera plus étroitement
à l’indéfini.
Dis :
«en vain »,
arbre »,
«nu».
Dis :
« on verra »,
impondérable »,
poids ».
Il y a tant de mots qui rêvent
d’une vie brève, sans liens, avec ta voix.

Parle.
Nous avons tant de mer devant nous.
Là où nous finissons
la mer commence.
Dis quelque chose.
Dis «vague », qui ne tient pas debout.
Dis « barque », qui coule
quand trop chargée d’intentions.
Dis «instant»,
qui crie à l’aide car il se noie,
ne le sauve pas,
dis
«rien entendu».

Parle.
Les mots se détestent les uns les autres,
ils se font concurrence :
quand l’un d’entre eux t’enferme,
un autre te libère.
Tire un mot hors de la nuit
au hasard.
Une nuit entière au hasard.
Ne dis pas « entière »,
dis « infime »,
qui te laisse fuir.
Infime
sensation,
tristesse
entière
qui m’appartient.
Nuit entière.

Parle.
Dis «étoile», qui s’éteint.
Un mot ne réduit pas le silence.
Dis «pierre »,
mot incassable.
Comme ça, simplement
pour mettre un titre
à cette balade en bord de mer.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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LE CELA (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 15 novembre 2023



Illustration: Miklós Barabás
    
LE CELA

Partout on suit le même ton
Partout la gaudriole
Est un langage de raison,
Qui paraît toujours drôle.
Dans un cercle, ou dans un festin
Joliment on s’escrime,
Quand Vénus, ou le Dieu du vin
Sur ce point nous anime.

Chez jeune, ou vieux, fille, ou garçon
Ce propose s’accrédite.
Femme jolie à ce jargon
Donne un nouveau mérite,
Chacun se réveille à Cela ;
L’on s’arrête à ce titre :
Où l’on en revient toujours là,
Sans tarir le chapitre.

Sur ce que l’on nomme Cela,
En langue de Cythère,
Jamais on ne se méprendra,
Fut-on simple bergère.
Iris de ce mot expressif
Entend le badinage ;
On en voit un rouge plus vif
Lui monter au visage.

Fille est rêveuse, quand
Cela Lui trotte dans la tête ;
Ou soudain aux champs la voilà,
Il n’est rien qui l’arrête :
De novice en Cela souvent
Elle devient maîtresse ;
Et même une fille aisément
En Cela nous redresse.

Ce que l’on entend par Cela,
Est donc pas excellence,
Chose exquise qu’on désigna,
Sous ce mot d’importance.
C’est à Cela, dans tout pays,
Que tout tend, tout aspire ;
C’est par Cela, mes chers amis,
Qu’ici bas tout respire.

Chacun veut tâter de Cela
Notre mère nature,
Par un doux instinct, nous porta
A Cela… qu’en conclure !
Sinon que si tout nous parla
De Cela sans mystère,
Nous devons, sans en rester là,
Chercher tous à le faire.

(Chansons du XVIIIè)

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Au-dedans tes yeux (Ingeborg Bachmann)

Posted by arbrealettres sur 20 juin 2023




    
Au-dedans tes yeux sont des fenêtres
sur un pays où je suis en clarté.

Au-dedans ta poitrine est une mer
qui m’attire vers le fond.
Au-dedans tes hanches sont un débarcadère
pour mes vaisseaux qui rentrent au pays
après de trop longs voyages.

Le bonheur tisse un cordage d’argent
auquel je suis amarrée.

Au-dedans ta bouche est un nid duveteux
pour ma langue prête à voler de ses ailes.
Au-dedans ta chair de melon est lumineuse
douce et savoureuse indéfiniment.
Au-dedans tes veines sont calmes
et saturées de cet or
que je lave de mes larmes
et qui un jour m’équilibrera.

Tu reçois des titres, tes bras embrassent des biens
qui te sont décernés en premier.

Au-dedans tes pieds ne sont jamais en chemin
mais déjà arrivés dans mes pays de velours.
Au-dedans tes os sont des flûtes claires
dont je tire des sons enchanteurs
qui charmeront même la mort…

(Ingeborg Bachmann)

Recueil: Anrufung des großen Bären /Invocation de la grande Ourse
Editions: Werke
Traduction: Françoise Rétif

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Il est vrai (Michel Houellebecq)

Posted by arbrealettres sur 21 avril 2023




    
Il est vrai que ce monde où nous respirons mal
N’inspire plus en nous qu’un dégoût manifeste,
Une envie de s’enfuir sans demander son reste,
Et nous ne lisons plus les titres du journal.

Nous voulons retourner dans l’ancienne demeure
Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange,
Nous voulons retrouver cette morale étrange
Qui sanctifiait la vie jusqu’à la dernière heure.

Nous voulons quelque chose comme une fidélité,
Comme un enlacement de douces dépendances,
Quelque chose qui dépasse et contienne l’existence ;
Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité.

(Michel Houellebecq)

Recueil: Non réconcilié
Editions: Gallimard

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Nous sommes les rossignols (Zatî)

Posted by arbrealettres sur 6 avril 2023



    

Nous sommes les rossignols du plus haut des cieux,
notre roseraie est un clos d’amis

Nous sommes les amoureux au coeur épris,
notre vigueur est souffrance.

Sur l’arène du Seigneur chacun de nous est une noctuelle
Devant le soleil de la Face, toujours nous menons notre ronde.

Le dévot nous croit fous, nous croit pleins de révolte
Nous sommes libres de pure liberté, nos ruines sont florissantes.

Nous venons de nulle part, nous venons d’une grande souche
Au delà de la voûte céleste, au delà du trône nous mènent nos pas.

Le secret de la confiance est en nous, en nous l’éclat de la volonté
La grâce du bonheur est en nous, nombreux sont nos titres.

Qui n’est pas le vrai Salomon, qui ne connaît pas le langage des oiseaux
Celui-là est un indifférent, ô Zatî ! Il ne connaît pas notre savoir.

(Zatî)

Recueil: Poèmes des derviches anatoliens
Traduction: Guzine Dino,Michèle Aquien,Pierre Chuvin
Editions: Fata Morgana

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L’Angkar (Paul de Brancion)

Posted by arbrealettres sur 11 juillet 2022



Illustration


Illustration
    

L’Angkar*

J’espère ne jamais savoir d’expérience
ne jamais vivre cela

ni mes enfants
ni mes semblables

jamais

je demande pardon à ceux qui liront
ce titre et qui ont eu à souffrir des Khmers rouges

« l’Angkar ne dit rien, ne parle
pas mais il a des yeux et des
oreilles partout »

« qui proteste est un ennemi
qui s’oppose est un cadavre »

regretté
le toucher de ton corps

Automutilation
on s’est exterminés les uns les autres
ce pays
naguère paradis
terrestre
sourire
nous tue
charnier

oser en toute méconnaissance
tu connais autre chose
mais féroce aussi
rester vivant
avec cela dans le coeur
encore tari
alors que l’enfance est nue
et la pluie la pluie
la lutte est inégale

il pleut

encore et encore

les rizières
s’étendent dans le lointain
gris vert
des ombres marchent dans l’eau

vivants qui reviennent

cette grande nonchalance
fut ponctuée de sang

[…]

Tout ce que nous avons subi
d’atroce
ne peut être dissous

et nos tortionnaires
humains
comme nous

quoi de plus déroutant
de plus affligeant
se sentir le semblable
de ces travailleurs consciencieux

ces éradicateurs sont nos frères

regretter jusqu’à
cette humanité

douter d’exister pleinement

*En khmer, «l’Organisation», nom sous lequel le Parti communiste du Kam-
puchéa (Khmers rouges) a gouverné le Cambodge lorsqu’il a pris le pouvoir en 1975

(Paul de Brancion)

Recueil: Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
Traduction:
Editions: Lanskine

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Maman ne cesse de rire… (Krishnakânt)

Posted by arbrealettres sur 5 juillet 2021




    
Maman ne cesse de rire…

Maman ne connaît pas
Le nom du Premier ministre
Elle n’a jamais entendu parler
Du Gouverneur
Maman ne sait rien non plus
Du Commonwealth, de la 2G
Et des concessions de charbon
Elle ne sait pas lire
Pas même les gros titres des scandales
Imprimés dans les journaux
Il est également difficile de lui faire comprendre
Combien représente en réalité
La somme de plusieurs dizaines de milliards, en pièces de 50 centimes
Maman ne sait que ceci
Si un père maçon reçoit au travail
Un billet à l’effigie de Gandhi
Alors on obtient
250 grammes de gros sel
Deux kilos de pommes de terre
Deux morceaux de mélasse
Deux doses de médicament pour l’asthme
Et du tabac pour une semaine
Là-dessus elle peut encore économiser
Quelques piécettes
Maman sait très bien
Ce que signifie ne plus avoir de grain dans la jarre
Le docteur de la ville prend
Beaucoup, beaucoup de billets à l’effigie de Gandhi
C’est pourquoi elle ne parle jamais
De ses yeux troubles
Et ses poumons malades
Maman s’échine sans relâche avec le bétail
Et ne cesse jamais de rire.

(Krishnakânt)

 

Recueil: Pour une poignée de ciel Poèmes au nom des femmes dalit (Intouchable)
Traduction: Traduit du Hindi par Jiliane Cardey
Editions: Bruno Doucey

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Le bœuf, le cheval et l’âne (Jean-Pierre Claris de Florian)

Posted by arbrealettres sur 18 décembre 2020




    
Le bœuf, le cheval et l’âne

Un bœuf, un baudet, un cheval,
Se disputaient la préséance.
Un baudet ! Direz-vous, tant d’orgueil lui sied mal.
À qui l’orgueil sied-il ? Et qui de nous ne pense
Valoir ceux que le rang, les talents, la naissance,
Élèvent au-dessus de nous ?
Le bœuf, d’un ton modeste et doux,
Alléguait ses nombreux services,
Sa force, sa docilité ;
Le coursier sa valeur, ses nobles exercices ;
Et l’âne son utilité.
Prenons, dit le cheval, les hommes pour arbitres :
En voici venir trois, exposons-leur nos titres.
Si deux sont d’un avis, le procès est jugé.
Les trois hommes venus, notre bœuf est chargé
D’être le rapporteur ; il explique l’affaire,
Et demande le jugement.
Un des juges choisis, maquignon bas-normand,
Crie aussitôt : la chose est claire,
Le cheval a gagné. Non pas, mon cher confrère,
Dit le second jugeur, c’était un gros meunier,
L’âne doit marcher le premier ;
Tout autre avis serait d’une injustice extrême.
Oh que nenni, dit le troisième,
Fermier de sa paroisse et riche laboureur ;
Au bœuf appartient cet honneur.
Quoi ! Reprend le coursier écumant de colère ;
Votre avis n’est dicté que par votre intérêt !
Eh mais ! Dit le normand, par qui donc, s’il vous plaît ?
N’est-ce pas le code ordinaire ?

(Jean-Pierre Claris de Florian)

 

Recueil: Fables
Traduction:
Editions:

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Sur deux jambes maigres (Hala Mohammad)

Posted by arbrealettres sur 8 août 2018



Illustration: Jeannette Guichard-Bunel

    

Sur deux jambes maigres
Chaussée de petits souliers usés
Je suis sortie de mon enfance
Sans pitance
Ni baiser
Ni titre
Comme qui aurait à se confronter à ses rêves
Le lendemain.
Avec ce talon
J’enfonce un clou
Derrière la porte
Sur lequel j’accroche
Les clefs de mes rêves
Comme qui aurait à se confronter à son Dieu
Le lendemain.

***

(Hala Mohammad)

 

Recueil: Ce peu de vie
Traduction: Antoine Jockey
Editions: Al Manar

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