Tremble mon âme sous la douleur de l’éveil,
la lourde immobilité d’un corps
indocile aux injonctions du soleil,
imperméable aux invectives de la foudre.
Toute écorchure mon oreille si sensible
aux respirations du temps présent
que j’écoute mourir doucement
les langoureux glissements d’un long soupir
qui plus tard en souvenir
sera devenu plaisir morbide.
Et si l’on vous demande
Vous répondrez que je ne suis qu’une crieuse d’herbes
Cultivant son âge et sa déraison dans un rire frais
Découpé dans les clairières de l’enfance et que je répare
En toutes saisons l’oiseau que le vent indocile a cassé
Qu’il aurait été trop facile de faire rimer demande avec amandes
Dans ces conditions et au coin de votre oeil hilare.
Il est deux Amitiés comme il est deux Amours.
L’une ressemble à l’imprudence ;
Faite pour l’âge heureux dont elle a l’ignorance,
C’est une enfant qui rit toujours.
Bruyante, naïve, légère,
Elle éclate en transports joyeux.
Aux préjugés du monde indocile, étrangère,
Elle confond les rangs et folâtre avec eux.
L’instinct du coeur est sa science,
Et son guide est la confiance.
L’enfance ne sait point haïr ;
Elle ignore qu’on peut trahir.
Si l’ennui dans ses yeux (on l’éprouve à tout âge)
Fait rouler quelques pleurs,
L’Amitié les arrête, et couvre ce nuage
D’un nuage de fleurs.
On la voit s’élancer près de l’enfant qu’elle aime,
Caresser la douleur sans la comprendre encor,
Lui jeter des bouquets moins riants qu’elle-même,
L’obliger à la fuite et reprendre l’essor.
C’est elle, ô ma première amie !
Dont la chaîne s’étend pour nous unir toujours.
Elle embellit par toi l’aurore de ma vie,
Elle en doit embellir encor les derniers jours.
Oh ! que son empire est aimable !
Qu’il répand un charme ineffable
Sur la jeunesse et l’avenir,
Ce doux reflet du souvenir !
Ce rêve pur de notre enfance
En a prolongé l’innocence ;
L’Amour, le temps, l’absence, le malheur,
Semblent le respecter dans le fond de mon coeur.
Il traverse avec nous la saison des orages,
Comme un rayon du ciel qui nous guide et nous luit :
C’est, ma chère, un jour sans nuages
Qui prépare une douce nuit.
L’autre Amitié, plus grave, plus austère,
Se donne avec lenteur, choisit avec mystère ;
Elle observe en silence et craint de s’avancer ;
Elle écarte les fleurs, de peur de s’y blesser.
Choisissant la raison pour conseil et pour guide,
Elle voit par ses yeux et marche sur ses pas :
Son abord est craintif, son regard est timide ;
Elle attend, et ne prévient pas.
Des robes à la nuit sont bâties
par d’indociles ouvrières
aux voix vives
à l’odeur de chairs actuelles
au milieu de pierres usées.
Au jour on reverra encore
grilles, piliers, tourelles,
tuiles jaunes, murs fissurés
dans la clarté d’une cité
édifiée au haut d’un rocher
contemplation des voyageurs.
(Jean Follain)
Recueil: Des Heures
Traduction:
Editions: Gallimard
Je suis blonde et charmante,
Ailée et transparente,
Sylphe, follet léger, je suis fille de l’air,
Que puis-je avoir à craindre ?
Une nuit de m’éteindre ?
Qu’importe de mourir comme meurt un éclair !
Je vole sur la nue ;
Aux mortels inconnue,
Je dispute en riant la vitesse aux zéphirs !
Il n’est point de tempête
Qui pende sur ma tête ;
Je plane, et n’entends plus des trop lointains soupirs.
Je vais où va l’aurore ;
On me retrouve encore
Aux mers où tout en feu se plonge le soleil !
Quand son tour le ramène,
Prompte, sans perdre haleine,
je le joins, et c’est moi qu’on salue au réveil.
Qui suis-je ? où suis-je ? où vais-je ?
N’ayant pour tout cortège
Que les oiseaux de l’air, les étoiles aux cieux ?
Je ne sais ; mais tranquille,
Aux pensers indocile,
Je m’envole au zénith, au fronton radieux !
Parfois je suis contrainte ;
Mais c’est la molle étreinte
De l’amour qui me berce en ses vives ardeurs !
J’en connais tous les charmes ;
J’en ignore les larmes,
Et toujours en riant, je vais de fleurs en fleurs
Vive, alerte et folâtre
De l’air pur idolâtre
Je vole avec Iris aux couleurs sans pareil ;
Souvent je me dérobe
Dans les plis de sa robe
Faite d’un clair tissu des rayons du soleil.
Souvent dans mon courage,
Je rencontre au passage
Une âme qui s’envole au céleste séjour ;
Je ne puis, bonne et tendre,
Lorsqu’elle peut m’entendre,
Ne pas lui souhaiter vers moi le gai retour !
Des échos la tristesse
M’apprend que l’allégresse
Ne règne pas toujours aux choses d’ici-bas,
Et que parfois la guerre
Va remuer la terre.
La faim, le froid, la soif ! qu’on ne m’en parle pas !
Si jadis quelque chose
Me venait ; de la rose
C’était le doux parfum que le vent m’apportait !
Je croyais, pauvre folle,
La rose, le symbole
Du bonheur que la terre à mes yeux présentait !
La terre par l’espace
Dans l’ordre qu’elle trace
Traîne trop de malheurs et de peine en son vol ;
Le bruit souvent l’atteste,
Son spectacle est funeste,
Et certes ne vaut pas un détour de mon col !
Pourquoi m’occuper d’elle,
Je suis jeune, et suis belle ;
Mes lèvres sont de rose, et mes yeux sont d’azur :
A mes traits si limpides
L’honneur mettrait des rides ;
La terre ternirait l’éclat de mon ciel pur !
Parfois vive et folette,
Poursuivant la comète,
Dans l’espace inconnu nous prenons notre essor !
A mon front je mesure
Sa blonde chevelure
Qui traîne dans les airs un ardent sillon d’or !
Lorsque je me promène,
Pour qu’elle m’entretienne,
Pourquoi pas de compagne aux mots doux et vermeils ?
Quoi ! n’en aurais-je aucune ?
Ah ! pardon, j’ai la lune,
L’étoile, la planète, et mes mille soleils !
J’ai quelquefois des anges,
Car leurs saintes phalanges,
Je les suis en priant ; plus prompte que l’éclair ;
Sans leur porter envie,
Je préfère ma vie :
Rien n’est si doux aux sens que de nager dans l’air.
Si le sommeil me gagne,
Ma couche m’accompagne,
Couverte d’un manteau brodé de bleus saphirs ;
Dans les flots de lumière,
Je ferme ma paupière,
Laissant flotter ma robe entrouverte aux zéphirs.