De mon vivant, j’arpentais les rues de la capitale,
Dans ma mort, me voilà confondu au sein des plaines.
À l’aube, mes pas vifs résonnaient dans le grand hall du palais
À l’ombre, je loge désormais auprès des sources jaunes.
Un soleil blanc se dépose dans le Golfe de Yu
Son char d’or à l’arrêt, ses coursiers au repos.
Le dieu, dans sa gloire céleste,
Ne pourrait-il restaurer mon unité perdue ?
Corps et visage lentement décomposés,
Dents et cheveux dispersés au loin.
Voilà le chemin des hommes et toute chose ;
Qui saurait en rompre la trame de bronze ?
(Miu Xi)
(186-245)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Ton souvenir est comme un livre bien-aimé,
Qu’on lit sans cesse, et qui jamais n’est refermé,
Un livre où l’on vit mieux sa vie, et qui vous hante
D’un rêve nostalgique, où l’âme se tourmente.
Je voudrais, convoitant l’impossible en mes voeux,
Enfermer dans un vers l’odeur de tes cheveux,
Ciseler avec l’art patient des orfèvres
Une phrase infléchie au contour de tes lèvres ;
Emprisonner ce trouble et ces ondes d’émoi
Qu’en tombant de ton âme, un mot propage en moi :
Dire quelle mer chante en vagues d’élégie
Au golfe de tes seins où je me réfugie ;
Dire, oh surtout ! tes yeux doux et tièdes parfois
Comme une après-midi d’automne dans les bois ;
De l’heure la plus chère enchâsser la relique,
Et, sur le piano, tel soir mélancolique,
Ressusciter l’écho presque religieux
D’un ancien baiser attardé sur tes yeux.
(Albert Samain)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Un golfe de silence l’un de l’autre nous sépare.
Je me tiens sur une rive, toi sur l’autre.
Je ne peux te voir ni t’entendre, mais je sais que tu es là.
Souvent je t’appelle par ton nom d’enfance
Et m’imagine que l’écho de mon cri est ta voix.
Quel pont pourrait joindre les rives de ce golfe?
Ni la parole ni le toucher.
Autrefois je pensais que nous le comblerions de nos larmes ;
A présent je veux le briser par notre rire.
***
The gulf
A gulf of silence separates us from each other.
I stand at one side of the gulf, you at the other.
I cannot see you or hear you, yet know that you are there.
Often I call you by your childish name
And pretend that the echo to my crying is your voice.
How can we bridge the gulf? Never by speech or touch.
Once I thought we might fill it quite up with tears.
Now I want to shatter it with our laughter.
Donne-moi tes doutes que je les redresse
Comme des clous tordus,
Donne-moi tes incertitudes, toi qui vas
Sur ce que tu crois être une fausse route.
J’ai assez erré, assez cogné à des portes pour savoir
Qu’il n’y a pas d’autre sagesse,
Depuis l’infini jusqu’au point zéro,
Que d’être à la besogne, entiché de fini.
Versez vos griefs dans ma solitude,
Aussi large qu’un golfe,
Dans mon chantier où l’on répare
Les vaisseaux qui firent naufrage.
Je suis le vieil ami
De ceux qui sont grands dans leurs actions
Et pas dans leurs paroles;
Moi je peux mourir parmi les fourmis
Et que l’on m’oublie.
Dans l’immense nuit du monde; pourtant,
J’ai élevé, aux côtés des autres,
Le jour sous le soleil, la nuit dans les ténèbres,
Efforts douloureux, rêve chimérique
Payé de pleurs dans des bols de terre —
Des foyers pour durer, de hautes pyramides,
Avec la foi qu’un jour
Le ciel partout s’éclairera.
1
Parcourir un corps dans son extension de voile
C’est s’ouvrir sur le monde
Traverser sans boussole la rose des vents
Îles golfes péninsules digues battues par des vagues furieuses
Pour être plaisante, ce n’est point tâche facile
Ne pense pas y parvenir en un jour ou une nuit de draps en bataille
Il est des secrets dans les pores pour combler tant de lunes
2
Le corps est une carte astrale en langage chiffré
Découvres-tu un astre, peut-être te faudra-t-il alors
Changer de cap lorsque nuée ouragan ou hurlement profond
Te feront tressaillir
Conque de la main que tu ne soupçonnais pas
3
Parcours plusieurs fois telle étendue
Découvre le lac aux nénuphars
Caresse de ton ancre le centre du lys
Plonge suffoque distends-toi
Ne te refuse point l’odeur le sel le sucre
Les vents profonds cumulus rhumbs des poumons
Brume dans le cerveau
Tremblement des jambes
Raz-de-marée assoupi des baisers
4
Attends pied dans l’humus sans peur de la fatigue sans hâte
Ne prétends pas atteindre le terme
Retarde l’entrée au paradis
Place ton ange retombé ébouriffe sa dense chevelure
De l’épée de feu usurpée
Croque la pomme
5
Sens
Ressens
Échange des regards salive imprègne-toi
Tourne et retourne imprime des sanglots peau qui s’éclipse
Pied découverte à l’extrémité de la jambe
Suis cherche secret du pas forme du talon
Courbure de la démarche baies croquant une allure cambrée
Savoure…
6
Écoute conque de l’oreille
Comme gémit l’humidité
Lobe qui s’approche de la lèvre rumeur de la respiration
Pores qui se dressent formant de minuscules montagnes
Sensation frémissante de peau insurgée au toucher
Pont suave nuque descends à la houle poitrine
Marée du coeur susurre à ton oreille
Découvre la grotte de l’eau
7
Franchis la terre de feu la bonne espérance
Navigue fou là où se rejoignent les océans
Traverse les algues arme-toi de coraux hulule gémis
Émerge avec le rameau d’olivier pleure fouissant des tendresses
occultes
Dénude des regards stupéfaits
Éveille le sextant depuis le haut des cils
Hausse les sourcils dilate les narines
8
Aspire soupire
Meurs un peu
Doucement lentement meurs
Agonise contre la pupille accrois la jouissance
Plie le mât gonfle les voiles
Navigue cingle vers Vénus
Étoile du matin
— la mer comme un vaste cristal étamé —
endors-toi naufragé.
(Giaconda Belli)
Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Celui qui sans quitter la courbe prudente
écoute venir de loin une lame de ta pensée,
comme le golfe écoute la mer frapper son arc ouvert
et repartir avec la fraîche poussée du large ;
celui qui ne chasse point la mer avec le vent
mais la laisse déborder de ses larges fonds,
celui qui t’attend au plus long de sa tendresse
te tiendra mieux que la mer son soleil engouffré…
Sous un dais de feuillage embaumé qui se mire
Dans le golfe, où la lune au visage blêmi
Epanche la clarté de son regard ami,
La vierge se recueille en effleurant sa lyre.
Elle égrène des chants que ses yeux semblent lire
Au beau livre du ciel entr’ouvert, et parmi
Les larmes, bleus feuillets déroulés à demi
Par le doigt invisible et léger du zéphire.
Le rêve voilé d’ombre, et qui sommeille encor,
Tressaille aux sons glissant le long des cordes d’or ;
Du silence s’élève une lente harmonie ;
Et des fleurs, dont un souffle agite l’encensoir,
Jusqu’aux astres épars dans la sphère infinie,
S’exhale avec douceur l’âme errante du soir.