Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘breuvage’

La douce voix du rossignol sauvage (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
La douce voix du rossignol sauvage
Qu’ouïs nuit et jour gaiement retentir,
M’adoucit tant mon cœur et le soulage
Qu’ai désir de chanter pour m’ébaudir.
Bien dois chanter puisqu’il vient à plaisir
Celle à qui j’ai fait de mon cœur hommage.
Je dois avoir grande joie en mon coeur,
Si me veut à son service retenir.

Onc envers ellen’eus cœur faux ni volage,
Il m’en devrait pour ce mieux advenir ;
Je l’aime et sers et adore par usage,
Et ne lui ose mes pensers découvrir,
Car sa beauté me fait tant ébahir
Que je ne sais devant ell’ nul langage,
Ni regarder n’ose son simple visage
Tant en redoute mes yeux à départir.

Tant ai en elle ferme assis mon coeur
Qu’ailleurs ne pense, et Dieu m’en laisse jouir ;
Jamais Tristan, cil qui but le breuvage,
Si tendrement m’aima sans repentir.
Car j’y mets tout, cœur et corps et désir,
Sens et savoir, ne sais si fais folie :
Encore me doute qu’en toute ma vie
Ne puisse assez elle et s’amour servir.

Je ne dis pas que je fasse folie,
Ni si pour elle, il me faudra mourir ;
Car au monde n’est si belle ni si sage
Et nulle chose n’est tant à mon plaisir.
Moult aime mes yeux qui me la firent choisir :
Dès que je la vis, lui laissai en otage
Mon cœur qui depuis y a fait long stage
Et ja nul jour ne l’en quiers départir.

Chanson, va t’en pour faire mon message
Là où je n’ose retourner ni aller,
Car tant redoute la male gent jalouse
Qui devine avant que puissent advenir
Les biens d’amour ; Dieu les puisse maudire !
A maint amant on fait ire et dommage,
Mais j’ai sur eux ce cruel avantage,
Qu’il me faut vaincre mon cœur pour obéir.

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil: Troubadours et trouvères
Traduction: France Igly
Editions: Pierre Seghers

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE CAFÉ (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024



 


   
LE CAFÉ

D’où remonte que noir est le café en tasse,
Profond dès sa surface ? Et que peut-il vouloir,
Que veut-il que je fasse autre chose que boire
Ce breuvage de choix rallongé d’eau fadasse ?

Hé ! il vient de la nuit qui affleure au matin,
Tel un miroir sans tain où la ténèbre luit.
À sept heures moins vingt un relent de minuit.
Tout l’obscur s’amenuise au clair du kaolin.

Le vieux fond de mystère en fumée se dissipe.
Le principe s’éclaire aux abords de la lippe.
Les lointains amenés sur les rivages sus

Délaissent l’ambigu pour la clarté donnée
À travers le feuillu d’un coeur acuminé.
Attaquons la journée maintenant que c’est bu.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

J’aime te voir souffrir (Jane Catulle-Mendès)

Posted by arbrealettres sur 6 juin 2023



Illustration: Rolf Armstrong
    
J’aime te voir souffrir. Je suis douce pourtant.
Mais j’aime, sur ton front, la douleur qui ravage
Et j’aime, dans tes yeux, cette lueur sauvage
Comme un couteau brandi sur un sein palpiltant.

Je t’aime. Et d’un coeur sec, attentif, ínsistant,
Je verse la douleur, lent et brûlant breuvage,
Dans tes veines, afin d’y mettre un esclavage
Aussi fort que la joie et que l’amour constant.

Je t’aime. Mais l’amour porte une face double;
Il me faut ton bonheur et ton plus mauvais trouble,
Ton bonheur rayonnant, ton trouble qui l’éteint.

Il faut que l’un en l’autre et s’habite et s’obsède,
Pour que soient satisfaits, lorsque je te possède,
L’âme grande et suave et le cruel instinct.

(Jane Catulle-Mendès)

Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

FRERE ET SOEUR (Gyula Illyès)

Posted by arbrealettres sur 27 mars 2020



 

Anne-Marie Zilberman (27)

FRERE ET SOEUR

J’aurais pu trois jours, trois jours contempler
le val de tes yeux, ce val de mystère
ceint de tes sourcils comme un champ d’osier.
Il y brille au fond une eau vive et claire,
des poissons d’argent, des poissons y dansent,
d’un étang peut-être en son pur éclat.
Trois jours j’aurais pu, trois jours en Silence,
Contempler ceci, contempler cela.

Trois jours j’aurais pu, trois beaux jours encore
suivre de tes seins la courbe si tendre,
cette courbe-là qu’affirme ta robe
et voir s’y poser l’étoile tremblante,
étoile pourtant de mes nuits trop sombres
et quelle clarté sur son lit de soie.
Trois jours j’aurais pu, trois jours en silence,
Contempler ceci, contempler cela.

Et j’aurais voulu, voulu tout à coup
trouver à mes yeux pâture et breuvage
dans le lourd épi de tes deux genoux,
tes genoux serrés, tes genoux bien sages,
battants d’une porte aux vives nuances
s’invitant l’un l’autre à s’ouvrir tout grands.
Trois jours j’aurais pu, trois jours en silence,
Contempler ceci, contempler cela.

Dans l’immensité tiède de ton corps,
dans ce que ton corps contient de lumière

(Gyula Illyès)

Illustration: Anne-Marie Zilberman

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Tableau de Paris à cinq heures du matin (Marc-Antoine Désaugiers)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2020




    
Tableau de Paris à cinq heures du matin

L’ombre s’évapore
Et déjà l’aurore
De ses rayons dore
Les toits alentours
Les lampes pâlissent,
Les maisons blanchissent
Les marchés s’emplissent :
On a vu le jour.

De la Villette
Dans sa charrette,
Suzon brouette
Ses fleurs sur le quai,
Et de Vincenne,
Gros-Pierre amène
Ses fruits que traîne
Un âne efflanqué.

Déjà l’épicière,
Déjà la fruitière,
Déjà l’écaillère
Sautent au bas du lit.
L’ouvrier travaille,
L’écrivain rimaille,
Le fainéant baille,
Et le savant lit.

J’entends Javotte,
Portant sa hotte,
Crier : Carotte,
Panais et chou-fleur !
Perçant et grêle,
Son cri se mêle
A la voix frêle
Du noir ramoneur.

L’huissier carillonne,
Attend, jure, sonne,
Ressonne, et la bonne,
Qui l’entend trop bien,
Maudissant le traître,
Du lit de son maître
Prompte à disparaître,
Regagne le sien.

Gentille, accorte
Devant ma porte
Perrette apporte
Son lait encor chaud ;
Et la portière,
Sous la gouttière,
Pend la volière
De Dame Margot.

Le joueur avide,
La mine livide,
et la bourse vide,
Rentre en fulminant ;
Et sur son passage,
L’ivrogne, plus sage,
Rêvant son breuvage,
Ronfle en fredonnant.

Tout, chez Hortense,
Est en cadence ;
On chante, on danse,
Joue, et cætera…
Et sur la pierre
Un pauvre hère,
La nuit entière,
Souffrit et pleura.

Le malade sonne,
Afin qu’on lui donne
La drogue qu’ordonne
Son vieux médecin ;
Tandis que sa belle,
Que l’amour appelle,
Au plaisir fidèle,
Feint d’aller au bain.

Quand vers Cythère,
La solitaire,
Avec mystère,
Dirige ses pas,
La diligence
Part pour Mayence,
Bordeaux, Florence,
Ou les Pays-Bas.

« Adieu donc, mon père,
Adieu donc, mon frère,
Adieu donc, ma mère,
– Adieu, mes petits. »
Les chevaux hennissent,
Les fouets retentissent,
Les vitres frémissent :
Les voilà partis.

Dans chaque rue,
Plus parcourue,
La foule accrue
Grossit tout à coup :
Grands, valetaille,
Vieillards, marmaille,
Bourgeois, canaille,
Abondent partout.

Ah ! quelle cohue !
Ma tête est perdue,
Moulue et fendue,
Où donc me cacher !
Jamais mon oreille
N’eut frayeur pareille…
Tout Paris s’éveille…
Allons nous coucher.

(Marc-Antoine Désaugiers)

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Tristesse d’été (Stéphane Mallarmé)

Posted by arbrealettres sur 2 août 2018



Tristesse d’été

Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.

De ce blanc Flamboiement l’immuable accalmie
T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l’antique désert et les palmiers heureux! »

Mais ta chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.

Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s’il sait donner au coeur que tu frappas
L’insensibilité de l’azur et des pierres.

(Stéphane Mallarmé)


Illustration: Giorgione

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 2 Comments »

III (Elégie de la Maison des Morts) (Edmond-Henri Crisinel)

Posted by arbrealettres sur 9 juin 2018




    
III (Elégie de la Maison des Morts)

Quand le soir est trop lourd d’angoisse, quand le miel
Du jasmin dans la nuit vous oppresse, on s’évade.
Mais les murs sont trop hauts. Ils montent jusqu’au ciel.
On reste prisonnier, pour toujours, dans la rade.

Calme, breuvage amer, cet excès de douleur.
Ô lumière ennemie ! et vous, roses parterres !
Sachant que, jamais plus, la fleur ne sera fleur,
Par delà les œillets je regarde la terre.

(Edmond-Henri Crisinel)

Découvert ici: http://laboucheaoreilles.wordpress.com/

Recueil: Oeuvres (complètes)
Traduction:
Editions: L’âge d’homme

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

ODORANT AUTOMNE MÉLODIEUX AUTOMNE (Marie Dauguet)

Posted by arbrealettres sur 16 novembre 2017




    
ODORANT AUTOMNE
MÉLODIEUX AUTOMNE

La folie des parfums

Que je les goûte et que j’en meure,
Tel un philtre aphrodisiaque,
Les parfums déments qui m’effleurent
Embrumant les nuiteux cloaques.

Que j’en comprenne le mystère
De cet étourdissant breuvage,
Effluve de Pan solitaire
Dansant par les tourbeux pacages.

O voluptés exténuantes,
Odeurs, qui sont des mains tenaces,
Des souches que l’hiver crevasse
Des champignons aux chairs gluantes.

Comme un Dieu qui m’enlacerait,
Que votre errance me possède,
Plus mythique qu’un chant d’aède
M’enseignant le divin secret.

(Marie Dauguet)

 

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE LOUP ET L’AGNEAU (Jean de la Fontaine)

Posted by arbrealettres sur 9 août 2017


 


 

LE LOUP ET L’AGNEAU

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

(Jean de la Fontaine)

Illustration: Marc Chagall

 

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 Comment »

La Bonne Coupe (Renée Vivien)

Posted by arbrealettres sur 21 juillet 2017



    

La Bonne Coupe

Je souhaite âprement la coupe de ciguë,
Car l’amour est en moi comme une fièvre aiguë…

Je veux terriblement le breuvage final
Qui seul guérit, qui seul peut endormir le mal.

J’ai traîné cette vie incertaine et mauvaise,
Car mon âme est en moi, en éternel malaise…

Je sens grandir toujours l’effroi des lendemains !
Qui donc m’apportera la ciguë en ses mains ?…

(Renée Vivien)

 

Recueil: Dans un coin de violettes
Editions: E. SANSOT & Cie

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »